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Quand elle reprit son souffle, elle le regarda à travers ses cils.

— La première fois…

Elle déglutit pour s’éclaircir la voix.

— La première fois, Jahar Narishma est entré, essayant de pénétrer mes pensées comme à son habitude, et il a disparu après m’avoir donné un bout de parchemin. Voyons. Il disait : « J’ai conquis la couronne de l’Illian. Ne faites confiance à personne jusqu’à mon retour. Rand. » Un peu court pour une lettre d’amour, non ?

Il l’embrassa de nouveau.

Cette fois, elle mit plus longtemps à retrouver son souffle. Tout n’allait pas si mal.

— La deuxième fois, Jonan Adley m’a apporté un bout de papier qui disait : « Je reviendrai quand j’en aurai terminé ici. Ne faites confiance à personne. Rand. » Adley est entré pendant que j’étais dans mon bain, ajouta-t-elle, et il s’est rincé l’œil autant qu’il a pu.

Rand prétendait toujours qu’il n’était pas jaloux – comme s’il y avait un homme au monde qui ne le fût pas ! – mais elle avait remarqué qu’il fronçait les sourcils quand un homme la regardait. Et son ardeur était encore plus torride après. Elle se demanda où mènerait ce baiser ? Peut-être devraient-ils se retirer dans la chambre à coucher ? Non, elle ne lui ferait pas des avances, pas après…

Rand la reposa, le visage soudain morne.

— Adley est mort, dit-il.

Soudain, la couronne de laurier s’envola de sa tête, tourbillonnant sur toute la longueur de la salle comme s’il l’avait lancée. Juste au moment où Min pensa qu’elle allait s’écraser sur le dossier du Trône du Dragon, et peut-être même le transpercer, le large bandeau d’or s’immobilisa et se posa doucement sur le siège.

Min regarda Rand, le souffle coupé. Du sang luisait dans ses boucles roux sombre, au-dessus de l’oreille gauche. Tirant de sa manche un mouchoir bordé de dentelle, elle voulut lui essuyer la tempe, mais il lui saisit le poignet.

— C’est moi qui l’ai tué, déclara-t-il calmement.

Elle frissonna au son de sa voix. Calme, comme une tombe. La chambre à coucher était peut-être une très bonne idée. Et au diable si elle semblait l’aguicher. S’obligeant à sourire – et rougissant en pensant au grand lit – elle s’empara de sa chemise, prête à la lui arracher sur-le-champ en même temps que la tunique.

On frappa à la porte.

Elle écarta ses mains et recula d’un bond. Qui ce pouvait bien être ? Les Vierges annonçaient les visiteurs quand Rand était là, ou les introduisaient simplement.

— Entrez, dit-il tout haut, avec un sourire de regret qui la fit s’empourprer de nouveau.

Dobraine passa la tête par la porte, puis entra et referma le battant derrière lui. Le seigneur cairhienin était petit, à peine plus grand qu’elle, avec le devant de la tête rasé et le reste de ses cheveux gris lui tombant jusqu’aux épaules. Des raies bleu et blanc décoraient le devant de sa tunique presque noire, jusqu’au-dessous de la taille. Même avant de s’être acquis la faveur de Rand, il représentait une puissance dans le pays, avec laquelle il fallait compter. À présent, il y régnait, au moins jusqu’à ce qu’Elayne puisse revendiquer le Trône du Soleil.

— Mon Seigneur Dragon, murmura-t-il. Ma Dame Ta’veren.

— C’est une plaisanterie, murmura Min, voyant Rand hausser un sourcil perplexe.

— Peut-être, dit Dobraine, haussant les épaules. Pourtant, la moitié des dames nobles de la cité s’habillent avec des couleurs vives, comme Dame Min. Leurs chausses mettent leurs jambes en valeur, et beaucoup d’entre elles portent aussi des tuniques qui ne couvrent même pas leurs…

Il toussota discrètement en réalisant que les hanches de Min étaient à peine dissimulées.

Elle eut envie de lui dire qu’il avait lui-même de très jolies jambes, même si elles étaient noueuses, mais se ravisa aussitôt. La jalousie de Rand était peut-être un merveilleux activateur de flamme quand ils étaient seuls. Cependant, elle ne souhaitait pas atteindre Dobraine. Car il en était capable, elle en avait peur. De plus, elle se dit que c’était une maladresse de la part du Cairhienin. Le Seigneur Dobraine Taborwin n’était pas homme à faire des plaisanteries douteuses.

— Ainsi, vous changez le monde, vous aussi, dit Rand en souriant, lui tapotant le bout du nez.

Lui tapotant le nez ! Comme à une enfant qu’on trouve amusante ! Pire, elle lui rendit son sourire comme une idiote.

— Avec des méthodes plus agréables que les miennes, semble-t-il, ajouta-t-il.

Son sourire juvénile s’évanouit.

— Est-ce que tout va bien à Tear et en Illian, mon Seigneur Dragon ? s’enquit Dobraine.

— À Tear et en Illian, tout va bien, répondit Rand, sinistre. Qu’avez-vous pour moi, Dobraine ? Asseyez-vous, mon ami. Asseyez-vous, dit-il, lui indiquant un fauteuil et s’asseyant lui-même.

— J’ai agi selon les instructions que vous me donniez dans vos lettres, dit Dobraine, prenant place en face de Rand, mais j’ai peu de bonnes nouvelles, j’en ai peur.

— Je vais nous chercher des rafraîchissements, dit Min d’une voix tendue.

Des lettres ? Ce n’était pas facile de marcher dignement avec des bottes à hauts talons. Elle s’était habituée à les porter, mais elles la déséquilibraient, quelques efforts qu’elle fît pour marcher droit. La colère la motiva néanmoins pour aller dignement jusqu’à une petite table posée sous l’un des grands miroirs, où attendaient un pichet et des gobelets en argent. Elle versa le vin aux épices, dont une bonne partie se répandit sur le plateau. Les servantes apportaient toujours des tas de gobelets, pour le cas où elle aurait des visiteurs, quoiqu’elle n’en reçût pas souvent, à part Sorilea ou quelques imbéciles femmes nobles. Le vin était à peine chaud, mais ces deux-là ne méritaient pas mieux. Elle avait reçu deux lettres, mais elle aurait parié que Dobraine en avait eu au moins dix ! Vingt ! Reposant bruyamment le pichet et les gobelets sur le plateau, elle prêta l’oreille à leur conversation. Qu’est-ce qu’ils avaient mijoté derrière son dos avec leurs douzaines de lettres ?

— Toram Riatin semble avoir disparu, dit Dobraine, mais la rumeur prétend qu’il est encore vivant ; dommage. La rumeur dit aussi que Daved Hanlon et Jeraal Mordeth – Padan Fain, ainsi que vous l’appelez – ont déserté les rangs. Au fait, j’ai installé la sœur de Toram, Dame Ailil, dans de grands appartements, avec des domestiques fidèles.

À son ton, il voulait dire « fidèles envers lui ». Ailil ne pourrait pas changer de robe sans qu’il en soit informé.

— Je peux comprendre qu’elle soit ici, ainsi que le Seigneur Bertome et les autres, mais pourquoi le Haut Seigneur Weiramon et la Haute Dame Anaiyella ? Il va sans dire, naturellement, que leurs domestiques sont de confiance, eux aussi.

— Comment savoir quand une femme veut vous tuer ? demanda Rand, pensif.

— Quand elle sait votre nom ?

Dobraine n’avait pas l’air de plaisanter. Rand pencha pensivement la tête, puis opina. Opina ! Elle espéra qu’il n’était pas en train d’entendre des voix.

Rand fit un geste, comme pour balayer les femmes qui voulaient le tuer. Il prenait ainsi un risque, en présence de Min. Elle n’avait certes pas envie de le tuer, mais elle n’aurait rien contre les verges de Sorilea. Les chausses ne protégeaient guère.

— Weiramon est un imbécile qui commet beaucoup trop d’erreurs, dit Rand.

Dobraine acquiesça de la tête.

— J’ai fait une faute en pensant pouvoir me servir de lui. Mais il semble assez content de demeurer près du Dragon Réincarné. Quoi d’autre ?

Min lui tendit un gobelet, et il lui sourit malgré le vin qui se répandit sur son poignet. Peut-être pensa-t-il que c’était par accident.