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— Le Dragon Réincarné, annonça Dashiva d’une voix forte, un peu amplifiée par le Pouvoir, Roi d’Illian, Seigneur du Matin, vient voir la femme Cadsuane Melaidhrin.

Rand entra, se redressant de toute sa taille. Il ne reconnut pas l’autre tissage que Dashiva avait créé, mais l’air semblait bourdonner de menace, donnait l’impression que quelque chose d’inexorable approchait.

— Je vous ai envoyé chercher, dit Rand.

Il n’eut pas besoin de tissage. Sa voix était suffisamment dure et implacable.

La Sœur Verte était assise près d’une petite table, un tambour à broder dans les mains. Des écheveaux de fils de toutes les couleurs s’échappaient des poches du panier posé sur la table. Elle était exactement comme dans son souvenir. Son visage énergique était couronné d’un chignon gris fer d’où pendaient des petits sujets en or, poissons et oiseaux, étoiles et lunes. Les yeux sombres paraissaient presque noirs dans son visage au teint clair. Des yeux froids et réfléchis. Lews Therin poussa un gémissement et s’enfuit à sa vue.

— Eh bien, dit-elle, posant son tambour à broder sur la table, je dois dire que j’ai vu mieux sans payer. Après tout ce que j’ai entendu dire de vous, mon garçon, je m’attendais au moins à des coups de tonnerre, des sonneries de trompettes, des éclairs fulgurants dans le ciel.

Calmement, elle considéra les cinq hommes aux visages de pierre, tous capables de canaliser, ce qui aurait dû suffire à troubler n’importe quelle Aes Sedai. Puis, elle regarda le Dragon Réincarné.

— J’espère qu’au moins l’un de vous va faire un numéro de jongleur, dit-elle. Ou d’avaleur de feu ? J’ai toujours aimé regarder les saltimbanques.

Flinn s’esclaffa avant de se ressaisir, puis il passa la main dans sa couronne de cheveux et sembla réprimer son amusement. Morr et Hopwil échangèrent un regard, l’air perplexe et un peu outré. Dashiva eut un sourire mauvais, et le tissage qu’il maintenait se renforça, au point que Rand eut envie de regarder par-dessus son épaule pour voir ce qui se ruait vers lui.

— Il suffit que vous sachiez que je suis qui je suis, lui dit Rand. Dashiva, allez tous m’attendre dehors.

Dashiva ouvrit la bouche pour protester. Cela ne faisait pas partie des instructions de Rand. Ils ne devaient pas trop intimider cette femme par leur présence. Il sortit, en grommelant entre ses dents. Hopwil et Morr suivirent avec empressement, coulant des regards en coin à Cadsuane. Flinn sortit dignement, malgré son boitillement. Il semblait toujours amusé !

Rand canalisa. Un fauteuil massif sculpté et orné d’un léopard, quitta sa place près du mur et tourbillonna au-dessus de leurs têtes avant de se poser comme une plume devant Cadsuane. En même temps, un lourd pichet d’argent s’éleva d’une longue table couverte d’une draperie dans un coin de la pièce, résonnant bruyamment quand il commença à chauffer. De la vapeur s’échappa de son bec et il s’inclina, tournant comme une toupie, tandis qu’une tasse en argent venait se placer sous son col pour recueillir le liquide sombre.

— Trop chaud, je crois, dit Rand.

L’une des hautes fenêtres s’ouvrit. Une rafale glaciale entra, charriant des flocons de neige. La tasse sortit par la fenêtre, puis rentra se poser dans sa main au moment où il s’asseyait. Il allait voir si elle restait calme avec un fou qui la dévisageait. Le liquide sombre était du thé, trop fort d’avoir bouilli, et amer à lui faire grincer les dents. Mais la température était parfaite. Les bourrasques hurlant dans la pièce et plaquant les tapisseries contre les murs lui donnèrent la chair de poule. Mais dans le Vide, ça lui semblait lointain, comme la peau d’un autre.

— La Couronne de Laurier est plus jolie que certaines autres, dit Cadsuane avec un faible sourire.

Les ornements de sa coiffure se balançaient au moindre souffle de vent, et des mèches folles s’échappaient de son chignon. Elle sembla ne pas s’en apercevoir, sauf pour attraper son tambour à broder sur la table avant qu’il ne s’envole.

— Je préfère ce nom. Mais vous ne pouvez pas me demander d’être impressionnée par des couronnes. J’ai fessé deux rois régnants et trois reines dans leur enfance. Ils n’ont pu s’asseoir pendant un jour ou deux, et ont reçu ainsi une bonne leçon. Vous voyez donc pourquoi les couronnes ne m’impressionnent pas.

Rand desserra ses mâchoires. Les grincements de dents ne servaient à rien. Il ouvrit grands les yeux, pour avoir l’air dément.

— La plupart des Aes Sedai évitent le Palais du Soleil, lui dit-il. Sauf celles qui m’ont juré allégeance. Et celles que je garde prisonnières.

Par la Lumière, qu’est-ce qu’il allait faire de ces captives ? Tant que les Sagettes les empêchaient de se mettre dans ses pattes, tout allait bien.

— Les Aiels semblent penser que je devrais pouvoir aller et venir à ma guise, dit-elle distraitement, considérant son tambour comme si elle avait envie de se remettre à broder. À cause d’une aide insignifiante que j’ai apportée à un enfant ou un autre, bien que je ne comprenne pas pourquoi quiconque peut le trouver digne d’intérêt, à part sa mère.

Rand fit un nouvel effort pour ne pas grincer des dents. Cette femme lui avait sauvé la vie, elle et Damer Flinn, à lui et à beaucoup d’autres qui plus est. Dont Min. C’est pourquoi il avait encore une dette envers Cadsuane. Qu’elle soit réduite en cendres !

— Je voudrais que vous soyez ma conseillère. Je suis roi d’Illian maintenant, et les Aes Sedai ont toujours été conseillères des rois.

Elle jeta un regard dédaigneux sur sa couronne.

— Certainement pas. Trop souvent à mon goût, une conseillère est le témoin silencieux des erreurs de celui qu’elle conseille. Elle doit aussi recevoir des ordres, ce pour quoi je ne suis pas du tout douée. Une autre ferait-elle l’affaire ? Alanna, par exemple ?

Malgré lui, Rand se redressa. Était-elle au courant du liage ? Merana avait dit qu’il était difficile de lui cacher quelque chose. Non, il s’occuperait plus tard de ce que ses « fidèles » Aes Sedai racontaient à Cadsuane. Par la Lumière, ce qu’il souhaitait que Min se soit trompée, pour une fois ! Mais il respirerait de l’eau avant que ça arrive.

— Je…

Il ne pouvait pas lui dire qu’il avait besoin d’elle. Pas de laisse !

— Et si vous n’aviez pas à prêter serment ?

— Ça pourrait marcher, je suppose, dit-elle, dubitative, scrutant sa maudite broderie.

Elle leva les yeux sur lui, réfléchissant.

— Vous semblez… mal à l’aise. Je n’aime pas dire à un homme qu’il est effrayé, même quand il a des raisons de l’être. Mal à l’aise à cause d’une sœur que vous n’avez pas transformée en toutou obéissant, et qui pourrait vous tendre un piège ? Je peux vous faire quelques promesses ; peut-être qu’elles vous tranquilliseront. J’exigerais que vous m’écoutiez, bien sûr – faites-moi gaspiller ma salive, et il vous en cuirait – mais je ne vous obligerais pas à faire ce que je veux. Je ne tolérerais pas que quiconque me mente, c’est certain – ça aussi, c’est quelque chose qui vous gêne –, mais je ne vous demanderais pas non plus de me confier les plus profondes aspirations de votre cœur. Eh oui, quoi que je fasse, ce serait pour votre bien, pas pour celui de la Tour Blanche. Pour le vôtre. Maintenant, cela calme-t-il vos craintes ? Pardon, votre malaise.

Se demandant s’il devait rire, Rand la dévisagea.

— Est-ce qu’on vous apprend ça ? demanda-t-il. À faire en sorte qu’une promesse sonne comme une menace, je veux dire ?

— Oh, je vois. Vous voulez des règles. La plupart des garçons sont comme ça, quoi qu’ils disent. Très bien. Voyons. Je ne supporte pas l’incivilité. Vous seriez donc courtois envers moi, mes amis et mes hôtes. Cela suppose que vous n’en fassiez pas l’objet de votre canalisage, au cas où vous ne l’auriez pas deviné, et que vous dominiez vos colères qui, paraît-il, sont spectaculaires. Et cela vaut aussi pour vos… compagnons en tunique noire. Il serait dommage que j’aie à vous fesser pour quelque sottise que l’un d’eux aurait faite. Cela vous suffit-il ? Je peux établir d’autres règles, si besoin est.