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Rand posa sa tasse près du fauteuil. Le thé était toujours amer, et avait refroidi. La neige commençait à s’accumuler sous les fenêtres.

— C’est moi qui suis censé devenir fou, car vous l’êtes déjà, Aes Sedai.

Il se leva et se dirigea à grands pas vers la porte.

— J’espère que vous n’avez pas essayé d’utiliser Callandor, dit-elle complaisamment derrière lui. Il paraît qu’elle n’est plus à la Pierre. Vous êtes parvenu à vous échapper une fois, mais vous ne réussirez peut-être pas deux.

Il s’arrêta net, regardant par-dessus son épaule. Elle enfonçait sa maudite aiguille dans le tissu tendu sur son tambour ! Une bourrasque entra, l’entourant d’un tourbillon de neige, et elle ne leva même pas la tête.

— Que voulez-vous dire par échapper ?

— Quoi ? dit-elle sans lever les yeux. Oh ! Peu de gens, même à la Tour, connaissaient la vraie nature de Callandor avant que vous la retiriez de la Pierre. Mais il y a des choses étonnantes cachées dans les coins poussiéreux de la Bibliothèque de la Tour. Je suis allée y farfouiller il y a quelques années, quand j’ai commencé à soupçonner que vous tétiez votre mère. Juste avant de décider de repartir en retraite. Les bébés sont de petites choses dégoûtantes, et je ne voyais pas comment vous trouver avant que vous cessiez d’avoir des fuites par les deux bouts.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-il, presque grossièrement.

Cadsuane leva alors les yeux, et, malgré son chignon défait et la neige qui couvrait sa robe, elle avait l’air d’une reine.

— Je vous ai dit que je ne tolère pas le manque de respect. Si vous revenez me demander mon aide, j’attends que vous la demandiez poliment. Et j’exigerai des excuses pour votre comportement d’aujourd’hui !

— Que voulez-vous dire au sujet de Callandor ?

— Elle est imparfaite, répondit-elle sèchement. Il lui manque les sauvegardes qui permettent d’utiliser les autres sa’angreals sans danger. Apparemment, elle amplifie la souillure, qui induit des pensées délirantes. Tant que c’est un homme qui s’en sert, en tout cas. La seule façon pour vous d’utiliser l’Épée-Qui-N’est-Pas-Une-Épée, sans risquer de vous tuer ou de tenter la Lumière seule sait quelle folie, c’est de vous lier avec deux femmes, dont l’une guide les flux.

S’efforçant de ne pas courber les épaules, il sortit à grands pas. Ainsi, ce n’était pas uniquement l’étrangeté du saidin autour d’Ebou Dar qui avait tué Adley. Il l’avait assassiné à l’instant où il avait envoyé Narishma quérir Callandor.

La voix de Cadsuane le poursuivit.

— N’oubliez pas, mon garçon. Vous devez demander poliment et vous excuser. Et il se peut que j’accepte, si vos excuses semblent vraiment sincères.

Rand l’entendit à peine. Il avait espéré se servir une nouvelle fois de Callandor, et qu’elle serait assez puissante. Maintenant, il ne restait plus qu’une chance, et elle le terrifiait. Il lui sembla entendre la voix d’une autre femme, celle d’une morte. Vous pourriez défier le Créateur.

28

Épine pourpre

Le cadre semblait mal choisi pour l’explosion que craignait Elayne. Pont d’Harlon était un village de taille moyenne, avec trois auberges et suffisamment de maisons pour que personne n’ait à coucher dans le foin. Ce matin-là, quand Elayne et Birgitte descendirent à la salle commune, Maîtresse Dill, la corpulente aubergiste, leur adressa un sourire chaleureux et une révérence aussi profonde que le permettait son volume. Avec la neige qui recouvrait les routes, Maîtresse Dill était aux anges parce que son auberge affichait complet, et elle faisait des courbettes à tout le monde, et pas seulement à une Aes Sedai. À leur entrée, Aviendha avala à la hâte les dernières bouchées de pain et de fromage de son petit déjeuner, épousseta les miettes tombées sur sa robe verte, et attrapa sa cape pour les rejoindre.

Dehors, le soleil, telle une grosse boule jaune pâle, pointait juste au-dessus de l’horizon. Seuls quelques nuages blancs et duveteux dérivaient dans un ciel merveilleusement bleu. Un beau temps pour le voyage.

Adeleas montait péniblement la rue enneigée, traînant par le bras une femme de la Famille, Garenia Rosoinde. Celle-ci était une Saldaeane aux hanches étroites, qui avait exercé le métier de marchande durant les vingt dernières années, bien qu’elle ne parût guère plus âgée que Nynaeve. Auparavant, son nez busqué lui avait donné l’air énergique d’une femme dure en affaires, qui ne cédait pas sur les prix. À présent, ses yeux en amande étaient exorbités, et sa mâchoire s’affaissait en une lamentation muette.

Un groupe de femmes de la Famille les suivaient, retroussant leurs jupes dans la neige et chuchotant entre elles, rejointes par d’autres qui arrivaient de toutes les directions. Reanne et le reste du Cercle du Tricot venaient devant, l’air sombre, sauf Kirstian, qui semblait encore plus pâle que d’habitude. Alise était là, elle aussi, le visage impassible.

Adeleas s’arrêta devant Elayne, et poussa Garenia si brutalement qu’elle tomba à quatre pattes dans la neige, où elle resta prostrée, continuant ses lamentations. Les femmes de la Famille se regroupèrent derrière elle, toujours plus nombreuses.

— Je vous l’amène parce que Nynaeve est occupée ailleurs, dit la Sœur Brune à Elayne.

Elle voulait dire par là que Nynaeve profitait de quelques instants d’intimité avec Lan. Pour une fois, pas l’ombre d’un sourire n’effleura ses lèvres.

— Silence, mon enfant ! dit-elle sèchement à Garenia, qui réprima immédiatement ses gémissements.

Adeleas hocha la tête avec approbation.

— Elle ne s’appelle pas Garenia Rosoinde, dit-elle. Je l’ai finalement reconnue. C’est Zarya Alkaese, une novice qui s’est enfuie juste avant que Vandene et moi ayons décidé de nous retirer pour écrire notre histoire du monde. Elle l’a admis quand je l’ai mise devant les faits. Je m’étonne que Careane ne se soit pas plus tôt souvenue d’elle ; elles ont été novices ensemble pendant deux ans. La loi est claire, Elayne. Une fugitive doit être remise en blanc dès que possible, et soumise à la discipline la plus stricte jusqu’à ce qu’elle puisse réintégrer la Tour pour être châtiée comme il convient. Elle ne pensera plus à s’enfuir après ça !

Elayne hocha lentement la tête, cherchant ce qu’elle pourrait répondre. Que Garenia – Zarya – pensât à s’enfuir de nouveau ou non, on ne la laisserait pas faire. Elle était très puissante dans le Pouvoir ; la Tour ne la lâcherait pas, même si elle consacrait le reste de sa vie à gagner le châle. Elayne se rappela quelque chose qu’avait dit cette femme la première fois qu’elle l’avait vue, qu’elle n’avait pas compris sur le moment. Comment Zarya pourrait-elle accepter de redevenir novice après avoir passé soixante-dix ans de sa vie en toute indépendance ? Les chuchotements des femmes de la Famille ressemblaient à présent à des grondements.

Elle n’eut pas le loisir de réfléchir longtemps. Soudain, Kirstian se jeta à genoux, saisissant d’une main l’ourlet de la robe d’Adeleas.

— Moi aussi, dit-elle avec sérénité, ce qui parut étonnant étant donné sa pâleur. J’ai été inscrite dans le livre des novices il y a près de trois cents ans, et je me suis enfuie moins d’un an après. Je me soumets au châtiment… et je vous demande miséricorde.