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Dans la cave, aux murs en grossiers moellons, éclairée par des lampes dorées disposées tout autour, ses yeux se posèrent d’abord sur une jolie femme en robe de soie écarlate bordée de dentelle, aux cheveux retenus dans un vaporeux filet de guipure. Il ne savait pas qui était cette Dame Shiaine, mais ses ordres stipulaient qu’il devait lui obéir. Il lui fit sa plus belle révérence, en souriant. Elle se contenta de le regarder, attendant qu’il remarque ce qu’il y avait d’autre dans la pièce.

Cela ne risquait guère de lui échapper. À part quelques tonneaux, il n’y avait qu’une large et lourde table très curieusement décorée. Deux ovales étaient découpés dans le plateau, et de l’un d’eux, sortaient la tête et les épaules d’un homme, la tête renversée en arrière, et maintenue dans cette position par des courroies en cuir clouées à la table et attachées à un bloc de bois serré entre ses dents. Une femme, dans la même posture, occupait l’autre découpe. Sous la table, ils étaient à genoux, les poignets attachés aux chevilles. Ils étaient immobilisés pour n’importe quelle sorte de plaisir. L’homme grisonnait et avait un visage de seigneur, bien qu’il roulât des yeux effarés. Les cheveux de la femme, étalés sur la table, étaient noirs et luisants, avec un visage un peu long au goût d’Hanlon.

Soudain, il reconnut le visage de la femme, et porta par réflexe la main à son épée. Il s’efforça de lâcher la poignée. C’était un visage d’Aes Sedai. Il jugea qu’une Aes Sedai qui se laissait attacher ainsi n’était pas dangereuse.

— Ainsi donc, vous avez un peu de cervelle, dit Shiaine.

Il reconnut à son accent qu’elle était noble. Elle en avait l’allure impérieuse, quand elle contourna la table pour venir scruter le visage de l’homme.

— J’ai demandé au Grand Maître Moridin de m’envoyer un homme doué d’un soupçon de cervelle. Le pauvre Jaichim ici présent manquait un peu d’expérience.

Hanlon fronça les sourcils et se reprit immédiatement. Ses ordres venaient de Moghedien elle-même. Qui, par le Gouffre du Destin, était Moridin ? Peu importait. Ses ordres venaient de Moghedien, et ça suffisait.

Le géant tendit à Shiaine un entonnoir, qu’elle mit dans un trou pratiqué dans le bloc en bois que ce Jaichim serrait entre ses dents. Ses yeux semblaient prêts à jaillir de leurs orbites.

— Le pauvre Jaichim ici présent a échoué lamentablement, dit Shiaine, souriant comme un renard qui regarde un poulet. Moridin désire qu’il soit puni. Le pauvre Jaichim n’aime pas son brandy.

Elle recula légèrement pour mieux l’admirer, puis Hanlon sursauta quand le géant s’approcha avec un tonneau. Hanlon se dit qu’il aurait peut-être été capables le soulever tout seul, alors que le géant le maniait comme une plume. L’homme attaché gémit, puis un flot de liquide sombre se déversa dans l’entonnoir, transformant son cri en gargouillement. Une odeur de brandy emplit la pièce. Attaché comme il l’était, l’homme parvint à se débattre, réussissant à soulever la table d’un côté. Le brandy continuait à couler. Des bulles se formaient dans l’entonnoir quand il essayait de crier ou de hurler. Le flot ne s’arrêtait pas. Ses gesticulations ralentirent, puis cessèrent. Ses yeux vitreux et exorbités fixaient le plafond, et du brandy dégouttait de ses narines. Le géant s’interrompit quand le tonneau fut complètement vide.

— Je crois que le pauvre Jaichim n’a plus soif, dit Shiaine avec un rire ravi.

Hanlon hocha la tête. Il supposa qu’elle disait vrai.

Shiaine n’en avait pas terminé. Elle fit un geste, et le géant arracha à son clou l’une des courroies maintenant le bâillon de l’Aes Sedai. Hanlon pensa que le bloc de bois avait ébranlé quelques-unes de ses dents en sortant de sa bouche. Si c’était le cas, elle ne perdit pas de temps à s’en plaindre. Elle se mit à s’égosiller avant même que l’homme n’ait lâché la courroie.

— Je vous obéirai ! hurla-t-elle. J’obéirai ainsi que le Grand Maître l’a ordonné ! Il m’a entourée d’un écran qui disparaîtra si j’obéis ! Il me l’a dit ! Laissez-moi vous le prouver ! Je ramperai ! Je suis un ver de terre et vous êtes le soleil ! Oh, s’il vous plaît ! S’il vous plaît !

Shiaine mit un terme à ses gémissements, en lui posant la main sur la bouche.

— Comment saurai-je que vous n’échouerez pas une nouvelle fois, Falion ? Vous avez échoué une fois, et Moridin a laissé votre châtiment à ma discrétion. Il m’a donné une autre assistante ; ai-je besoin d’en avoir deux comme vous ? Je vous donnerai peut-être une seconde chance de plaider votre cause, Falion, mais dans ce cas, vous devrez me présenter des arguments convaincants. J’exigerai un enthousiasme sincère.

Falion se remit à supplier, dès que Shiaine retira sa main, faisant des promesses extravagantes. Bientôt, elle ne fut plus que pleurs et gémissements quand on lui replaça son bâillon, qu’on recloua la courroie et que l’entonnoir de Jaichim fut planté dans le bloc de bois au-dessus de sa gorge béante. Le géant posa un autre tonneau sur la table, près de sa tête. L’Aes Sedai frappée de folie, roulait des yeux déments et se débattait sous la table à la faire trembler.

Hanlon fut impressionné. Une Aes Sedai devait être plus difficile à briser qu’un gros marchand ou sa fille joufflue. Elle avait quand même bénéficié de l’aide d’une des Élues, semblait-il. Réalisant que Shiaine l’observait, il s’arrêta de sourire en regardant Falion. La première règle était de ne jamais offenser ceux que les Élus plaçaient au-dessus de lui.

— Dites-moi, Hanlon, aimeriez-vous poser vos mains sur une reine ?

Il se lécha les babines malgré lui pour la première fois.

29

Une tasse de sommeil

— N’agissez pas sans réfléchir, Rand, dit Min.

S’obligeant à rester assise, elle croisa les jambes, agitant machinalement le pied, sans pouvoir contenir l’exaspération qui s’entendit dans sa voix.

— Allez la voir ! Parlez-lui !

— Pourquoi ? demanda-t-il sèchement. Je sais quelle lettre croire maintenant. C’est mieux comme ça. Elle est en sécurité maintenant ; à l’abri de tous ceux qui voudraient me frapper à travers elle ! À l’abri de moi-même ! C’est mieux comme ça !

En bras de chemise, il arpentait la salle entre les deux rangées de fauteuils devant le Trône du Dragon, les poings serrés, foudroyant à travers les vitres les nuages noirs qui ensevelissaient Cairhien sous un nouveau tapis de neige.

Min échangea des regards avec Fedwin Morr, debout devant les grandes portes sculptées de soleils dorés. À présent, les Vierges laissaient passer sans les annoncer ceux qui ne représentaient pas une menace évidente. Mais le solide gaillard refuserait l’entrée à ceux que Rand ne désiraient pas voir ce matin-là. Il portait l’Épée et le Dragon épinglés sur son col noir, et Min savait qu’il avait déjà vu plus de batailles et d’horreurs que bien des hommes trois fois plus âgés, alors qu’il n’était encore qu’un adolescent. Aujourd’hui, jetant des regards inquiets à Rand, il paraissait plus jeune que jamais. Aux yeux de Min, l’épée qu’il portait au côté semblait toujours déplacée.

— Le Dragon Réincarné est un homme, Fedwin, dit-elle. Et comme n’importe quel homme, il est sombre parce qu’il pense qu’une certaine femme ne veut plus le revoir.

Écarquillant les yeux, le jeune homme sursauta comme si elle l’avait pincé. Rand abandonna son air renfrogné. La seule chose qui empêcha Min d’éclater de rire, c’est de savoir qu’il dissimulait une souffrance aussi réelle qu’un coup de poignard, et que son amusement l’aurait blessé. En apprenant cet événement, Rand était resté comme frappé par la foudre. Taim avait apporté la nouvelle à Caemlyn à l’aube, mais tout de suite après son départ, Rand avait quitté son air accablé et avait commencé… Ça !