Выбрать главу

Se levant, elle rajusta sa tunique vert clair, croisa les bras et le regarda en face.

— Qu’est-ce que ça peut être d’autre ? demanda-t-elle calmement.

Bien qu’elle aimât Rand, elle avait envie de lui frictionner vigoureusement les oreilles après une telle matinée.

— Vous n’avez pas mentionné Mat deux fois, et vous ne savez même pas s’il est vivant.

— Mat est vivant, gronda Rand. Je le saurais s’il était mort. Croyez-vous que je sois… !

Il serra les dents, ne se résignant pas à prononcer le mot.

— Boudeur, termina-t-elle. Bientôt, vous ferez la moue. Certaines femmes trouvent les hommes plus jolis quand ils font la moue. Je n’en fais pas partie.

C’en était assez. Son visage s’assombrit.

— Ne vous êtes-vous pas démené pour qu’elle monte sur le trône d’Andor ? Qui lui appartient de droit, ajouterai-je. N’avez-vous pas dit que vous vouliez qu’elle possède Andor intact, et non ravagé comme le Tear et le Cairhien ?

— Oui, je l’ai dit ! rugit-il. Et maintenant qu’il est à elle, elle veut m’en évincer. Parfait ! Et ne venez pas me dire de me taire ! Je ne suis pas… !

Il réalisa qu’il l’était, et ferma brusquement la bouche. Un grondement sourd sortit de sa gorge. Morr s’absorba dans la contemplation d’un de ses boutons, qu’il tripota entre ses doigts. Il l’avait fait souvent, ce matin.

Min resta calme. Elle n’allait pas le gifler, et il était trop grand pour qu’elle lui donne la fessée.

— Andor est à elle, exactement comme vous le désiriez, dit-elle, s’efforçant d’adopter un ton calme. Aucun Réprouvé ne la pourchasse maintenant qu’elle a déchiré vos bannières.

Une lueur menaçante apparut dans les yeux de Rand. Elle poursuivit quand même.

— Exactement ce que vous désiriez. Et vous ne croyez quand même pas qu’elle va prendre le parti de vos ennemis. Andor suivra le Dragon Réincarné, et vous le savez. Et donc, la seule raison que vous avez de vous mettre dans cet état, c’est que vous croyez qu’elle ne veut pas vous voir. Allez la trouver, imbécile !

La suite était plus difficile.

— Avant que vous ayez dit deux mots, elle vous embrassera.

Par la Lumière, elle aimait Elayne presque autant qu’elle aimait Rand. Comment une simple femme pouvait-elle rivaliser avec une reine aux cheveux d’or qui avait toute une puissante nation à ses pieds ?

— Je ne suis pas… en colère, dit Rand d’une voix tendue.

Et il se remit à faire les cent pas. Min eut envie de lui donner un coup de pied au derrière.

Une porte s’ouvrit, et Sorilea aux cheveux blancs écarta Morr, alors même qu’il regardait Rand pour voir s’il devait la laisser passer. Rand ouvrit la bouche – avec colère, malgré ses dénégations – et cinq femmes en lourdes robes noires trempées de neige fondue suivirent la Sagette, les mains croisées, les yeux baissés, leurs capuches cachant leurs visages. Leurs pieds étaient emmaillotés de chiffons.

Min sentit son cuir chevelu la picoter. Devant ses yeux, des images et des auras dansèrent et s’évanouirent, remplacées par d’autres auras autour de Rand et des six femmes. Elle avait espéré qu’il avait oublié que ces cinq femmes étaient vivantes. Au nom de la Lumière, que voulait cette méchante vieille ?

Sorilea fit un geste dans un cliquetis de bracelets d’or et d’ivoire, et les cinq s’alignèrent sur le Soleil Levant serti dans le sol. Rand parcourut la rangée, rabattant les capuchons, révélant les visages qu’il considéra d’un œil froid.

Toutes les femmes en robes noires étaient crasseuses, leurs cheveux aplatis et collés par la sueur. Elza Penfell, une Sœur Verte, le fixa droit dans les yeux. Nesune Bihara, une Brune mince, le dévisagea avec autant d’intensité qu’il le fit lui-même. Sarene Nemdhal, si belle malgré sa crasse qu’on aurait pu croire naturel son air d’éternelle jeunesse, semblait ne tenir que par un cheveu le sang-froid de son Ajah Blanche. Beldeine Nyram, trop nouvellement élevée au châle pour avoir cette beauté intemporelle, tenta un sourire défaillant qui s’évanouit sous le regard scrutateur de Rand. Erian Boroleos, pâle et presque aussi ravissante que Sarene, se troubla, puis se força à affronter ce regard glacial. Ces deux dernières étaient des Vertes, et toutes les cinq avaient fait partie du commando qui avait enlevé Rand sur l’ordre d’Elaida et qui l’avaient torturé pendant qu’elles tentaient de le transporter à Tar Valon. Parfois, Rand se réveillait encore en sueur, haletant, criant qu’il ne voulait pas être enfermé, battu. Min vit une lueur passer dans ses yeux, et elle espéra que ce n’était pas le désir de tuer.

— Ces femmes sont devenues des da’tsangs, Rand al’Thor, dit Sorilea. Je crois qu’elles ressentent leur honte jusqu’au plus profond d’elles-mêmes. Erian Boroleos fut la première à me demander d’être battue, matin et soir, comme vous l’avez été. À présent, elles l’ont toutes réclamé. Leur requête a été entendue. Chacune souhaite vous servir au mieux de ses capacités. Le toh de leur trahison ne sera jamais épuisé, dit-elle d’un ton sévère, car, pour les Aiels, la trahison de l’enlèvement était pire que ce qu’elles avaient fait après, mais elles ont conscience de leur honte et elles veulent essayer. Nous avons décidé de nous en remettre à votre décision.

Min fronça les sourcils. S’en remettre à sa décision ? Les Sagettes laissaient rarement à un autre le choix qu’elles pouvaient faire elles-mêmes. Sorilea jamais. La vigoureuse Sagette rajusta tranquillement son châle sur ses épaules, et regarda Rand comme si cette démarche n’avait aucune importance. Elle lança un regard glacial à Min, qui comprit soudain que si elle disait un mot de trop, cette vieille femme aurait sa peau. Elle connaissait Sorilea mieux qu’elle n’aurait voulu.

Elle se mit à étudier les images qui apparaissaient et disparaissaient autour de ces femmes. Comme elles se touchaient presque, Min ne distinguait pas avec exactitude si une image appartenait à l’une ou à sa voisine. Au moins, les auras ne mentaient jamais. Ô Lumière, faites que je comprenne au moins une partie de ce que je vois, pensa-t-elle.

Rand accueillit l’annonce de Sorilea avec froideur. Il se frotta lentement les mains, puis examina les hérons dans ses paumes.

Il étudia l’un après l’autre le visage de chaque Aes Sedai. Finalement, il se focalisa sur Erian.

— Pourquoi ? demanda-t-il d’une voix douce. J’ai tué deux de vos Liges. Pourquoi ?

Min grimaça. Rand possédait bien des qualités, mais il était rarement doux. Erian était l’une de celles qui l’avaient battu plus d’une fois.

La pâle Illianere se redressa. Des images dansèrent, des auras brillèrent, puis s’évanouirent. Rien que Min pût interpréter. Malgré son visage crasseux et ses longs cheveux noirs ternis par la sueur, Erian se redressa avec toute son autorité d’Aes Sedai et le regarda dans les yeux. Sa réponse fut simple et directe.

— Votre enlèvement fut une erreur. J’y ai beaucoup réfléchi. Vous devez livrer la Dernière Bataille, et nous devons vous aider. Si vous ne m’acceptez pas, je le comprendrai, mais je vous aiderai en tout ce que vous demanderez si vous l’autorisez.

Rand la dévisagea, impassible.

Il posa la même question, réduite au seul mot « pourquoi », à chacune, et leurs réponses furent aussi différentes que les femmes.

— L’Ajah Verte est celle des batailles, lui dit fièrement Beldeine, et malgré ses yeux cernés et les taches de boue sur ses joues, elle avait l’air d’une Reine des Batailles.

Il faut dire que, chez les Saldaeanes, c’était presque une seconde nature.