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Rand continua à avancer, décrivant de plus larges cercles autour de ses appartements. Le Repli de Lumière utilisait très peu de Pouvoir – si peu que personne ne pouvait sentir l’usage du saidin avant d’arriver droit sur lui – et il s’en servait quand quelqu’un était sur le point de l’apercevoir. Ses attaquants n’avaient pas ciblé ses appartements à l’aveuglette. Ils avaient des Yeux-et-Oreilles au Palais. C’était peut-être un effet du ta’veren qui l’avait fait sortir de la Salle du Trône, si toutefois celui-ci pouvait agir sur lui ou était-ce le hasard ? En tirant le Dessin, il risquait probablement de se mettre à la portée de ses ennemis, alors qu’ils le croyaient mort ou mourant. Lews Therin gloussa à cette pensée. Rand le sentait se frotter les mains.

Il dut se cacher derrière le Pouvoir encore trois fois quand des Vierges voilées passèrent en courant, et une autre quand il vit Cadsuane enfiler le couloir devant lui, avec six Aes Sedai sur les talons, et sans personne d’autre qu’il reconnût. Elles semblaient à l’affût. Bien qu’il ne redoutât pas la sœur aux cheveux gris, il attendit qu’elle et ses amies soient hors de vue pour lâcher le tissage qui le dissimulait. Lews Therin ne réagit pas à la vue de Cadsuane. Il observa un silence de mort jusqu’à ce qu’elle ait disparu.

Rand s’écarta du mur, une porte s’ouvrit juste à côté de lui, et Ailil passa la tête dans l’entrebâillement. Il ne savait pas qu’elle était si près de ses appartements. Derrière se tenait une femme à la peau sombre, avec de gros anneaux d’or dans les oreilles, et une fine chaîne en or barrant sa joue gauche jusqu’à son nez, à laquelle pendaient quantité de médaillons. Shalon, Pourvoyeuse-de-Vent de Harine din Togara, l’ambassadrice des Atha’an Miere s’était installée au palais avec son escorte, dès que Merana l’avait informée du marché. Elle était accompagnée par une femme qui voulait peut-être sa mort. Quand elles le virent, elles sursautèrent.

Il se montra aussi gentil qu’il le put. Il devait agir vite. Quelques instants après l’ouverture de la porte, il bordait dans son lit Ailil étendue à côté de Shalon. Peut-être ne faisaient-elles pas partie du complot. Sécurité vaut mieux que regrets. Les yeux rageurs au-dessus de leurs bouches bâillonnées par les écharpes d’Ailil, les deux femmes se débattaient dans les bandes de draps avec lesquelles il leur avait attaché les mains et les pieds. L’écran qu’il avait noué sur Shalon tiendrait un ou deux jours avant de se dénouer, mais quelqu’un les trouverait et trancherait leurs liens avant longtemps. Inquiet au sujet de cet écran, il entrebâilla la porte pour vérifier qu’il n’y avait personne, et sortit vivement, se hâtant dans le couloir désert. Il ne pouvait pas laisser la Pourvoyeuse-de-Vent libre de canaliser, mais imposer un écran à une femme ne se faisait pas avec des miettes de Pouvoir. Si l’un de ses assaillants avait été proche… Il ne rencontra personne. À cinquante toises des appartements d’Ailil, le couloir débouchait sur un balcon en marbre bleu, avec, à chaque extrémité, un large escalier menant à une salle carrée au haut plafond voûté. Des tapisseries de dix toises de long décoraient les murs, avec des motifs d’oiseaux s’envolant vers le ciel selon des lignes géométriques. En contrebas, se tenait Dashiva, regardant autour de lui en s’humectant les lèvres, l’air hésitant. Gedwyn et Rochaid étaient avec lui ! Lews Therin se remit à parler de tuer.

— … vous dis que je n’ai rien senti, disait Gedwyn. Il est mort !

Dashiva aperçut Rand en haut des marches.

Le visage de Dashiva se déforma. Il canalisait. Sans avoir le temps de réfléchir, Rand tissa sans savoir quoi ; c’étaient peut-être des souvenirs de Lews Therin. Il n’était même pas sûr d’être l’auteur du tissage ou si Lews Therin lui avait arraché le saidin – Air, Feu et Terre enroulés autour de lui. Le feu jaillissant de Dashiva explosa, fracassant le marbre, projetant Rand dans le couloir, roulant et bondissant dans son cocon.

La barrière arrêterait tout sauf le Malefeu. Y compris l’air pour respirer. Rand la lâcha, rampant sur le sol, dans un bruit d’explosion vibrant dans l’air, et entouré des blocs de marbre qui retombaient. Comme pour la respiration, il la lâcha, parce que ce qui pouvait maintenir le Pouvoir à l’extérieur le pouvait à l’intérieur. Avant la fin de sa glissade, il canalisa Feu et Air, mais d’une façon différente. De minces fils rouges sortirent de sa main gauche, se déployant comme s’ils tranchaient dans la pierre qui le séparait de l’endroit où il avait vu Dashiva et les autres. De sa main droite surgirent des boules de flammes, Feu et Air, plus vite qu’il ne pouvait les compter et elles brûlaient la pierre avant d’exploser dans la pièce. Des grondements assourdissants faisaient sans cesse trembler le Palais. La poussière qui était retombée se souleva de nouveau et des blocs de marbre rebondirent.

Aussitôt, il se releva et se remit à courir, repassant devant les appartements d’Ailil. Un homme qui restait à la même place courtisait la mort. Il était prêt à mourir, mais pas tout de suite. Grondant intérieurement, il emprunta un nouveau couloir, descendit un escalier de service et atteignit le dernier niveau.

Avec mille précautions, il retourna à l’endroit où il avait vu Dashiva lancer ses tissages mortels à la moindre apparition.

J’aurais dû les tuer tous dès le début, haleta Lews Therin. J’aurais dû les tuer tous !

Rand l’abandonna à sa rage.

La grande salle semblait avoir été dévastée par un déluge de feu. Il ne restait des tapisseries que quelques fragments calcinés léchés par les flammes. De grands sillons de dix pieds de large avaient été creusés dans les sols et les murs. Les escaliers que Rand s’apprêtait à descendre se terminaient par un effondrement de dix pieds. Aucune trace des trois hommes. Pourtant, ils ne pouvaient pas avoir été complètement consumés. Il devait en rester quelque chose.

Un domestique en tunique noire passa prudemment la tête par une minuscule porte à côté de l’escalier à l’autre bout de la salle. Ses yeux tombèrent sur Rand, se révulsèrent, et il s’évanouit. Une servante sortit d’un couloir, puis resserra ses jupes et repartit en courant d’où elle était venue, hurlant à pleins poumons que le Dragon Réincarné massacrait tout le monde au Palais.

Rand sortit discrètement de la salle en grimaçant. Il était très fort pour effrayer les gens qui ne pouvaient rien contre lui. Très fort pour détruire.

Détruire ou être détruit, dit Lews Therin en riant. Quand c’est votre choix, quelle est la différence ?

Quelque part dans le Palais, quelqu’un canalisa suffisamment pour créer un portail. Dashiva et les autres fuyaient-ils ? Ou voulaient-ils qu’il le croie ?

Il enfilait les couloirs du Palais, sans se cacher. Tout le monde avait fui. Les rares domestiques qu’il aperçut s’enfuyaient en hurlant. Couloir après couloir, il se mit en chasse, plein de saidin à exploser, plein de feu et de glace qui essayaient de l’annihiler à l’instar de Dashiva, plein de la souillure qui voulait s’insinuer dans son âme. Il n’avait pas besoin des délires et des rires démentiels de Lews Therin pour avoir le désir de tuer.

Un éclair sombre frappa devant lui. Sa main se leva d’elle-même, des traînées de feu explosèrent, détruisant l’angle où les deux couloirs se croisaient. Rand laissa le tissage s’apaiser, sans le lâcher. Avait-il tué ?

— Mon Seigneur Dragon, cria une voix venant de derrière les gravats, c’est moi Narishma ! Et Flinn !

— Je ne vous avais pas reconnus, mentit Rand. Venez ici.

— Je crois que vous avez le sang trop chaud pour l’instant, répondit la voix de Flinn. Attendons que tout le monde soit un peu calmé.