Выбрать главу

— Oui, dit Rand.

Avait-il vraiment voulu tuer Narishma ? L’emprise de Lews Therin ne constituait pas une excuse.

— Oui, c’est sûrement mieux. Pour le moment.

Il n’y eut pas de réponse. Entendit-il des bottes qui s’éloignaient ? Il se força à abaisser les mains et repartit dans une autre direction.

Pendant des heures, il fouilla tout le Palais à la recherche des restes de Dashiva et des autres. Les couloirs, les grandes salles, et même les cuisines, étaient déserts. Il ne trouva rien. Il réalisa qu’il avait quand même appris une chose. La confiance était une dague, dont la poignée était aussi tranchante que la lame.

Puis il ressentit la souffrance.

Au plus profond des entrailles du Palais du Soleil s’ouvrait la petite pièce aux murs de pierre. Il y faisait chaud malgré l’absence de cheminée, mais Min avait froid. Trois lampes dorées posées sur une petite table en bois diffusaient assez de lumière. Rand avait dit qu’à partir de cette pièce, il pouvait la faire sortir même si quelqu’un déracinait le Palais jusqu’à ses fondations. Au ton, il n’avait pas plaisanté.

La couronne d’Illian sur les genoux, elle regarda Rand, qui observait Fedwin. Elle resserra les mains sur la couronne, puis la lâcha aussitôt, les doigts piqués par les petites épées cachées dans les feuilles de laurier. Il était étrange que la couronne et le sceptre aient survécu, alors que le Trône du Dragon lui-même n’était plus qu’un tas informe de bois doré au milieu des décombres. À côté de son fauteuil, une grande sacoche en cuir, avec le ceinturon et l’épée au fourreau posés dessus, contenait ce qu’il avait pu sauver de la destruction. Des choix étranges pour la plupart, pensa-t-elle.

Nigaud sans cervelle, pensa-t-elle, ne pas penser à ce qui vous attend ne le fera pas disparaître.

Rand était assis par terre en tailleur, toujours couvert de poussière et d’écorchures, sa tunique déchirée. Son visage aurait pu être sculpté dans la pierre. Il observait Fedwin sans ciller. Le garçon était assis par terre, lui aussi, les jambes écartées. La langue entre les dents, il se concentrait sur la construction d’une tour avec des cubes en bois. Min soupira.

Elle se rappela l’horreur qui s’était emparée d’elle quand elle avait réalisé que son « garde » avait à présent l’esprit d’un petit enfant. Elle était triste – par la Lumière, il n’était qu’adolescent ! Ce n’était pas juste ! –, mais elle espérait que Rand l’isolait toujours d’un écran. Il n’avait pas été facile de convaincre Fedwin de jouer avec ces cubes au lieu de détruire le mur pierre par pierre pour construire une tour où elle serait en sécurité. Après, c’était elle qui l’avait gardé, jusqu’à l’arrivée de Rand. Ô Lumière, ce qu’elle avait envie de pleurer ! Sur le sort de Rand encore plus que sur celui de Fedwin.

— Vous vous cachez dans les profondeurs, semble-t-il.

Dès que la voix qui venait de la porte s’était tue, Rand s’était aussitôt levé, affrontant Mazrim Taim. Comme d’habitude, l’homme au nez busqué était en tunique noire, des dragons bleu et or s’enroulant autour des manches. Contrairement aux autres Asha’man, il n’avait ni l’Épée ni le Dragon épinglés à son haut col. Son visage sombre était aussi impassible que celui de Rand. Les yeux rivés sur Taim, Rand semblait grincer des dents. Subrepticement, Min remua un couteau dans sa manche. Autant d’images et d’auras dansaient autour de l’un et de l’autre, mais ce ne fut pas la vision qui l’inquiéta soudain. Elle avait déjà vu un homme sur le point d’en tuer un autre. C’était ce à quoi elle assistait à présent.

— Vous venez ici en tenant le saidin, Taim ? demanda Rand, avec beaucoup trop de douceur.

Taim ouvrit les mains, et Rand ajouta :

— Voilà qui est mieux.

Mais il ne se détendit pas.

— C’est uniquement parce que je croyais pouvoir être poignardé par accident en traversant tous ces couloirs pleins d’Aielles, se justifia Taim. Elles semblent très agitées.

Il ne quittait pas Rand des yeux. Min était sûre qu’il l’avait vue dégager son couteau.

— C’est compréhensible, bien sûr, dit-il doucement. J’ai du mal à exprimer ma joie de vous trouver vivant après avoir vu le Palais. Je suis venu faire mon rapport sur les déserteurs. Normalement, ça n’aurait pas été nécessaire, mais en l’occurrence, il s’agit de Gedwyn, Rochaid, Torval et Kisman. Ils étaient mécontents au sujet des événements de l’Altara, mais je n’aurais jamais pensé qu’ils iraient si loin. Je n’ai vu aucun des hommes que j’avais laissés avec vous.

Un instant, son regard se porta sur Fedwin.

— Y a-t-il… d’autres… pertes ? Je vais emmener celui-là avec moi, si vous voulez.

— Je leur avais dit de rester hors de ma vue, dit Rand d’une voix dure. Et je vais m’occuper de Fedwin. Fedwin Morr, Taim ; pas celui-là.

Il recula jusqu’à la petite table et prit une tasse posée au milieu des lampes. Min retint son souffle.

— La Sagesse de mon village était capable de tout guérir, dit Rand, s’agenouillant près de Fedwin.

Il parvint à sourire au garçon sans quitter Taim des yeux. Fedwin eut un joyeux sourire et voulut prendre la tasse, mais Rand la garda dans sa main et le fit boire lui-même.

— Elle en sait plus sur les simples qu’aucune personne de ma connaissance. Avec elle, j’ai acquis quelques notions sur les herbes : celles qui sont bienfaisantes et celles qui sont toxiques.

Fedwin soupira quand Rand lui retira la tasse et le serra sur son cœur.

— Dors, Fedwin, murmura-t-il.

Il semblait effectivement que l’adolescent allait s’endormir. Ses yeux se fermèrent. Sa poitrine se souleva et s’abaissa lentement. Jusqu’au moment où elle ne bougea plus. Le sourire ne quitta jamais ses lèvres.

— Un petit quelque chose dans le vin, dit Rand, allongeant doucement Fedwin par terre.

Les yeux de Min la picotèrent, mais elle ne pleurerait pas. Non, elle ne pleurerait pas !

— Vous êtes plus dur que je ne pensais, murmura Taim.

Rand lui sourit, avec un rictus sauvage.

— Ajoutez Corlan Dashiva à votre liste de déserteurs, Taim. La prochaine fois que je viendrai à la Tour Noire, je veux voir sa tête pendue à votre Arbre au Traître.

Puis il se ressaisit, de nouveau maître de lui et dur comme la pierre.

— Retournez à la Tour Noire et ne revenez pas ici.

Debout, Rand fit face à Taim par-dessus le cadavre de Fedwin.

— Je vais sans doute bouger beaucoup pendant un certain temps.

Taim s’inclina à peine.

— À vos ordres.

Quand la porte se referma derrière lui, Min poussa un long soupir.

— Inutile de perdre un temps précieux, marmonna Rand. S’agenouillant devant elle, il lui prit la couronne et la glissa dans la sacoche.

— Min, je croyais être la meute de chiens qui pourchasse le loup. Désormais, il semble que je sois le loup.

— Que vous soyez réduit en cendres ! dit-elle dans un souffle. Lui saisissant les cheveux à deux mains, elle le regarda dans les yeux. Ces yeux tantôt bleus, tantôt gris, comme un ciel à l’aube. Et secs.

— Vous pouvez pleurer, Rand al’Thor. Vous n’allez pas fondre si vous pleurez !

— Je n’ai pas non plus de temps pour les larmes, Min, dit-il avec douceur. Parfois, le chien attrape le loup et le regrette. Parfois, il se retourne, ou attend en embuscade. Mais d’abord, le loup doit s’enfuir.

— Quand partons-nous ? demanda-t-elle.

Elle ne lâcha pas ses cheveux. Elle ne le lâcherait jamais. Jamais.

30

Commencements

Resserrant d’une main sa pelisse autour de lui, Perrin laissa Steppeur marcher à son pas. Le soleil de ce milieu de matinée ne dispensait aucune chaleur, et les ornières enneigées de la route conduisant à Abila rendaient la marche difficile. Lui et sa douzaine de compagnons ne la partageaient qu’avec deux lourds chars à bœufs et quelques paysans vêtus de drap sombre. Ils avançaient courbés vers l’avant, baissant la tête, retenant leur chapeau ou leur bonnet à chaque rafale de vent, concentrant leurs regards sur le chemin pour voir où ils mettaient les pieds.