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— Qu’il s’agisse de Beslan ou du Ténébreux en personne, inutile de rester ici jusqu’à demain. Il faut nous préparer et partir pour la ferme. Eh bien ? Allez !

Elle frappa dans ses mains, et même Vandene sursauta.

Il restait peu de préparatifs à faire quand les sœurs s’écartèrent. Lan et les autres Liges n’étaient pas restés les deux pieds dans le même sabot quand ils avaient réalisé qu’aucun danger ne menaçait. Certains domestiques avaient repassé le portail avant qu’Aviendha ne le referme, mais les autres étaient restés avec les trois douzaines de chevaux de bât, et jetaient de temps en temps un coup d’œil vers les Aes Sedai, se demandant à l’évidence quelle merveille elles allaient produire. Les Pourvoyeuses-de-Vent étaient toutes en selle, quoique gauchement, les mains crispées sur leurs rênes à l’idée que leurs montures puissent s’emballer ou peut-être qu’il leur pousse des ailes et qu’elles s’envolent. Les femmes de la Famille étaient aussi montées, avec plus de grâce, indifférentes à leurs jupes et jupons retroussés jusqu’au-dessus des genoux, avec Ispan, toujours encagoulée, attachée en travers d’une selle comme un sac. Elle n’aurait pas pu monter assise. Même les yeux de Sumeko s’exorbitaient quand ils tombaient sur elle.

Promenant des yeux furibonds autour d’elle, Nynaeve semblait prête à fustiger tout le monde de remarques cinglantes, jusqu’à ce que Lan lui tende les rênes de sa jument brune. Elle avait catégoriquement refusé à Tylin le cadeau d’un meilleur cheval. Sa main trembla un peu en touchant celle de Lan, et elle changea de couleur en ravalant la colère qu’elle s’apprêtait à déchaîner. Quand il offrit de lui tenir le pied pour monter, elle le regarda un moment, perplexe, puis rougit quand il la souleva et la mit en selle. Elayne se contenta de secouer sa tête. Elle espérait ne pas se transformer en idiote quand elle se marierait. Si elle se mariait.

Birgitte s’approcha avec sa jument gris argent et le hongre jaune d’Aviendha, mais elle sembla comprendre qu’Elayne voulait s’entretenir en particulier avec l’Aielle. Elle hocha la tête comme si Elayne le lui avait demandé, sauta sur son hongre gris souris, et rejoignit les autres Liges qui attendaient. Ils la saluèrent d’un hochement et se mirent à discuter à voix basse. D’après les regards dirigés sur les sœurs, ça concernait le fait de prendre soin des Aes Sedai, qu’elles le veuillent ou non. Y compris elle-même, nota sombrement Elayne. Mais elle n’avait pas de temps à perdre à ça pour le moment. Aviendha tripotait les rênes de son cheval, le regardant telle une novice dans une cuisine pleine de marmites grasses. Certainement, Aviendha ne voyait guère de différence entre récurer des marmites et monter à cheval.

Enfilant ses gants d’équitation, Elayne déplaça Lionne pour les cacher à la vue des autres, puis toucha le bras d’Aviendha.

— Parler à Adeleas et Vandene serait peut-être une bonne chose, dit-elle avec douceur.

Elle devait procéder avec prudence, autant qu’avec n’importe quel ter’angreal.

— Elles sont assez âgées pour en savoir plus que vous ne pensez. Il doit y avoir une raison pour que… vous ayez des problèmes… à Voyager.

C’était un euphémisme. Au début, Aviendha avait presque échoué à faire fonctionner le tissage. Prudence. Aviendha était plus importante qu’aucun ter’angreal ne le serait jamais.

— Elles pourraient peut-être vous aider.

— Comment ?

Très raide, Aviendha fixait la selle de son hongre.

— Elles ne peuvent pas Voyager. Comment pourraient-elles savoir ce qu’il faut faire pour m’aider ?

Brusquement, ses épaules s’affaissèrent, et elle tourna la tête vers Elayne. Des larmes contenues brillaient dans ses yeux verts.

— Ce n’est pas la vérité, Elayne. Pas toute la vérité. Elles ne peuvent pas m’aider, mais… Vous êtes ma presque-sœur ; vous avez le droit de savoir. Elles croient que j’ai paniqué à la vue d’un domestique. Si je leur demande de l’aide, je devrai tout leur dire.

Que j’ai Voyagé une fois pour échapper à un homme, dont j’espérais de toute mon âme qu’il me rattraperait. Pour détaler comme un lapin, tout en espérant être prise. Comment leur avouer une telle honte ? Même si elles pouvaient vraiment m’aider, comment leur avouer ça ?

Elayne aurait souhaité ne pas savoir. Sur le désir d’être prise, au moins. Sur le fait que Rand l’avait attrapée. Rassemblant les bribes de jalousie qui montèrent en elle, elle les poussa dans un sac qu’elle fourra tout au fond de sa tête. Puis elle sauta dessus pour faire bonne mesure. Quand une femme se conduit en imbécile, cherchez l’homme. C’était l’un des dictons favoris de Lini. Un autre disait : Les chatons emmêlent votre laine, les hommes emmêlent vos idées, et tous les deux font ça aussi facilement qu’ils respirent. Elle prit une profonde inspiration.

— Je ne dirai rien à personne, Aviendha. Je vous aiderai autant que je pourrai. Si j’arrive à savoir comment.

Non qu’elle eût beaucoup d’idées sur ce qu’elle pouvait faire. Aviendha voyait remarquablement vite comment se formaient les tissages, bien plus vite qu’elle.

Aviendha se contenta de hocher la tête, et se mit gauchement en selle, avec un peu plus de grâce que les Pourvoyeuses-de-Vent.

— Il y avait un homme qui regardait, Elayne, et ce n’était pas un domestique.

Fixant Elayne droit dans les yeux, elle ajouta :

— Il m’a fait peur.

Elle n’aurait sans doute fait cet aveu à personne d’autre au monde.

— Qui que ce soit, il ne peut plus rien nous faire maintenant, dit Elayne, faisant tourner Lionne pour suivre Nynaeve et Lan qui sortaient de la clairière.

En vérité, c’était sans doute un domestique, mais elle ne le dirait jamais à personne, et surtout pas à Aviendha.

— Nous sommes en sécurité, et dans quelques heures, nous serons à la ferme de la Famille. Nous activerons la Coupe, et le monde redeviendra normal.

Enfin, dans une certaine mesure. Le soleil semblait plus bas sur l’horizon que lorsqu’ils étaient dans la cour des écuries, mais elle savait que c’était le fruit de son imagination. Pour une fois, ils avaient pris de l’avance sur l’Ombre.

Derrière un écran ajouré en fer forgé peint en blanc, Moridin regarda le dernier cheval disparaître à travers le portail, avec les quatre derniers Liges et la grande jeune femme. Il était possible qu’ils emportent quelque objet qui pourrait lui servir – un angreal en résonance avec les humains, peut-être – mais les chances étaient faibles. Pour le reste, les ter’angreals, le plus probable était qu’elles se tuent en essayant de comprendre comment s’en servir. Sammael était un imbécile d’avoir tant risqué pour s’emparer d’un ramassis d’on ne savait quoi. Mais il faut dire que Sammael n’avait jamais été à moitié aussi intelligent qu’il se croyait. Il n’aurait jamais bouleversé ses plans simplement en tablant sur la chance de récupérer des bribes de civilisation. Seuls le désœuvrement et la curiosité l’avaient amené ici. Il aimait savoir ce que les autres trouvaient important. Mais il avait fait chou blanc.

Il s’apprêtait à se retourner quand, soudain, les contours du portail se mirent à fléchir et trembler. Stupéfait, il regarda jusqu’à ce que l’ouverture… fonde, tout simplement. Il n’avait pas l’habitude de jurer, mais plusieurs jurons se bousculèrent dans sa tête. Qu’avait fait la femme ? Ces paysans barbares recelaient trop de surprises. Une façon de Guérir supprimée, même imparfaitement. C’était impossible ! Sauf qu’elle l’avait fait. Anneaux involontaires. Ces Liges et le lien qu’ils partageaient avec leurs Aes Sedai. Il le savait depuis longtemps, très longtemps, mais chaque fois qu’il pensait avoir pris leur mesure, ces primitifs révélaient une nouvelle technique, faisaient quelque chose que quelqu’un de son Ère avait rêvé de faire. Quelque chose que la civilisation à son apogée n’avait pas connu ! Qu’avait fait cette fille ?