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— Grand Maître ?

Moridin détourna à peine la tête de la fenêtre.

— Oui, Madic ?

Que son âme soit damnée, qu’avait fait cette fille ?

Le chauve, habillé en vert et blanc, qui s’était glissé dans la petite pièce, s’inclina profondément avant de tomber à genoux. Madic au long visage, l’un des serviteurs les plus haut placés du palais, se drapait dans une dignité pompeuse qu’il s’efforça de conserver même dans cette posture. Moridin avait vu des hommes de plus haut rang faire bien pire.

— Grand Maître, j’ai appris ce que les Aes Sedai ont apporté au palais ce matin. On dit qu’elles ont trouvé un grand trésor ancien caché, de l’or, des bijoux, du cuendillar, des artefacts de Shiota et Eharon, et même de l’Ère des Légendes. On dit qu’il y a parmi eux des objets qui utilisent le Pouvoir Unique. On dit que l’un d’eux peut contrôler le climat. Personne ne sait où elles vont, Grand Maître. Le palais bourdonne de rumeurs, mais dix langues citent dix destinations.

Moridin se remit à observer la cour des écuries dès que Madic commença à parler. Ces histoires ridicules d’or et de cuendillar n’avaient aucun intérêt. Rien ne pouvait faire qu’un portail se comporte ainsi. À moins que… Se pouvait-il qu’elle ait détissé le tissage ? La mort ne lui inspirait aucune peur. Froidement, il considéra la possibilité d’avoir été témoin du détissage d’un réseau. Celui qui avait été détissé avec succès. Nouvelle impossibilité offerte par ces…

Quelque chose dans les paroles de Madic lui fit dresser l’oreille.

— Le climat, Madic ?

Les ombres des tours du palais s’étaient à peine allongées, mais il n’y avait pas un nuage pour abriter la cité des rayons brûlants du soleil.

— Oui, Grand Maître. Cela s’appelle la Coupe des Vents.

Le nom ne lui dit rien. Mais… un ter’angreal pour contrôler le climat… À son époque, le temps était soigneusement régulé par l’usage de ter’angreals. Un seul de ces objets ne devait pas suffire à affecter même une grande partie d’un seul continent. Mais qu’est-ce que ces femmes pourraient bien en faire ? Quoi ? Et si elles utilisaient un Cercle ?

Il saisit le Pouvoir Unique sans réfléchir, le saa traversant sa vision. Ses doigts se resserrèrent sur l’écran de fer forgé. Le métal gémit, non pas sous sa poigne, mais sous les volutes de Pouvoir Unique tirées du Grand Seigneur lui-même, qui s’enroulèrent autour de l’écran, s’incurvant chaque fois qu’il serrait les mains de colère. Le Grand Seigneur ne serait pas content. De sa prison, il avait fait d’immenses efforts pour toucher le monde afin de modifier les saisons. Il était impatient d’en faire plus, de fracasser le vide qui le retenait prisonnier, et il ne serait pas content. La rage s’empara de Moridin, le sang tambourinant dans ses oreilles. Un instant plus tôt, il ne souciait pas de la destination de ces femmes, mais maintenant… Quelque part loin d’ici. Les fuyardes couraient aussi vite et aussi loin qu’elles pouvaient. Quelque part où elles se sentiraient en sécurité. Inutile d’envoyer Madic poser des questions pour avoir des informations ; elles n’auraient pas été assez bêtes pour laisser derrière elles quelqu’un connaissant leur destination. Pas à Tar Valon. Près d’al’Thor ? Près de cette bande d’Aes Sedai rebelles ? Dans ces trois endroits, il avait des yeux-et-oreilles, dont certains ne savaient même pas qu’ils le servaient. Tous le serviraient avant la fin. Il ne permettrait pas à des erreurs fortuites de gâcher ses plans maintenant.

Brusquement, il entendit autre chose que le sang tambourinant sa rage dans ses oreilles. Une sorte de gargouillement. Il regarda Madic avec curiosité, et recula devant la flaque de sang s’élargissant sur les dalles. Dans sa fureur, il n’avait pas serré seulement l’écran de fer forgé à l’aide du Pouvoir Unique… La quantité de sang qui pouvait être tirée d’un corps humain était toujours étonnante.

Il lâcha sans regret ce qui restait de l’homme ; pensant d’ailleurs que lorsqu’on trouverait le cadavre, ce serait les Aes Sedai qu’on blâmerait. Petit supplément au chaos qui se déployait sur le monde. Déchirant un trou dans le tissu du Dessin, il Voyagea avec le Pouvoir Unique. Il devait retrouver ces femmes avant qu’elles n’utilisent la Coupe des Vents. Et sinon… Il avait horreur des gens qui bousculaient ses plans soigneusement établis. Ceux qui s’y risquaient survivaient pour payer.

Le gholam entra dans la pièce avec circonspection, les narines frémissantes à l’odeur du sang frais. La brûlure de sa joue ressemblait à une braise vivante. Le gholam avait maintenant l’apparence d’un homme svelte, un peu plus grand que la moyenne de cette époque, mais il n’avait jamais rencontré rien qui pût lui nuire. Jusqu’à cet homme au médaillon. Il découvrit les dents dans ce qui pouvait être un sourire ou un ricanement. Curieux, il examina la pièce, mais il n’y avait rien, à part le cadavre écrasé sur les dalles. Et un… une impression… indéfinissable. Ça n’était pas le Pouvoir Unique, mais quelque chose qui le… démangeait d’une façon différente. C’était la curiosité qui l’avait amené ici. L’écran de fer forgé était en partie écrasé et descellé aux deux extrémités. Le gholam sembla vaguement se rappeler quelque chose qui le démangeait de la même façon. Le monde avait changé en un clin d’œil, semblait-il. Il y avait eu un monde de guerres et de tueries à grande échelle, avec des armes capables de frapper à des miles, à des milliers de miles, et maintenant, il y avait… ça. Mais le gholam n’avait pas changé. Il était toujours l’arme la plus dangereuse de toutes.

De nouveau ses narines palpitèrent. Pourtant ce n’était pas par l’odorat qu’il traquait celles qui pouvaient canaliser. Le Pouvoir Unique avait été utilisé en bas et à des miles au nord. À suivre ou non ? L’homme qui l’avait blessé n’était pas avec elles ; il s’en était assuré avant de quitter son repaire. Celui qui le commandait voulait la mort de celui qui l’avait blessé, peut-être autant qu’il voulait la mort des femmes, mais celles-ci constituaient une cible plus facile. Les femmes avaient été nommées aussi, et pour le moment, il était contraint. Pendant toute son existence, il avait été contraint d’obéir à un humain ou à un autre, mais son esprit aspirait à ne plus être soumis. Il devait suivre les femmes. Il voulait les suivre. Le moment de leur mort, quand il sentait la capacité de canaliser s’évanouir avec la vie, produisait en lui l’extase. Le Ravissement. Mais il avait faim, et il avait le temps. Partout où elles pouvaient s’enfuir, il pouvait suivre. S’asseyant avec grâce près du corps mutilé, il se mit à manger. Le sang frais et chaud était une nécessité, mais le sang humain avait toujours la saveur la plus douce.

3

Une agréable chevauchée

Des champs, des prairies et des oliveraies couvraient la plus grande partie des terres autour d’Ebou Dar. Il y avait cependant de nombreuses petites forêts s’étendant sur quelques miles, et, bien que le terrain fût beaucoup plus plat que dans les monts de Rhannon, au sud, il était néanmoins vallonné, avec, de temps en temps, une colline de cent pieds ou plus, suffisante pour projeter de longues ombres sous le soleil de l’après-midi. La région était donc assez boisée pour dissimuler aux regards indiscrets ce qui pouvait passer pour une caravane de marchands, à savoir près de cinquante personnes montées et presque autant à pied. D’autant plus qu’il y avait les Liges pour trouver des sentiers peu fréquentés dans les sous-bois. Elayne ne releva aucun signe de présence humaine à part quelques chèvres broutant sur les collines.