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L’étoile à quatre branches devint une étoile à cinq branches. La composition du tissage s’altéra légèrement, et la Coupe devint une mer verte parcourue d’une grande houle. Les cinq branches devinrent six, et ce fut un autre ciel, d’un bleu différent, plus sombre, un ciel d’hiver peut-être, avec des nuages pourpres chargés de pluie et de neige. Sept branches, et une mer gris-vert ragea dans la tempête. Huit branches et le ciel. Neuf branches et la mer. Soudain, Elayne sentit la Coupe elle-même tirer la saidar en un torrent sauvage plus puissant que ce que tout le cercle pouvait réaliser.

Les changements se poursuivirent sans discontinuer à l’intérieur de la Coupe, successivement mer et ciel, vagues et nuages. Mais une colonne tordue, tressée de saidar, jaillit de la Coupe peu profonde, Feu et Air, Eau et Terre, et Esprit, colonne de filigrane complexe aussi large que la Coupe, montant dans le ciel jusqu’à ce que son sommet disparaisse à leur vue. Caire continua son tissage, le visage inondé de sueur, ne s’interrompant que pour cligner des paupières afin de chasser de ses yeux les gouttes salées et examiner les images paraissant dans la Coupe, puis créer un autre tissage. Les dessins tressés dans l’épaisse colonne s’altéraient à chaque tissage, faisant subtilement écho à ce que tissait Caire.

C’était une très bonne chose qu’elle n’ait pas désiré être le point focal de ce cercle, réalisa Elayne ; ce que faisait cette femme exigeait de nombreuses années d’études supplémentaires. De nombreuses années de plus. Soudain, elle réalisa que ce filigrane toujours changeant de saidar s’enroulait autour, de quelque chose d’invisible qui donnait sa solidité à la colonne. Elle déglutit difficilement. La Coupe attirait le saidin en même temps que la saidar.

L’espoir d’être la seule à avoir remarqué ce phénomène s’évanouit en regardant les autres. La moitié fixait la colonne avec une révulsion qui aurait dû être réservée au Ténébreux. La peur s’ajouta aux émotions qui l’avaient envahie. Chez certaines, elle approchait du niveau de Garenia et Kirstian, et c’était un miracle que ces deux-là ne se soient pas évanouies. Malgré son visage soudain trop lisse, Nynaeve était au bord de la nausée. Apparemment, Aviendha paraissait tout aussi calme, mais intérieurement, cette minuscule peur frémissait et pulsait, cherchant à croître.

Émanant de Caire, elle ne recevait que détermination farouche, dure comme l’acier et à l’image de son visage. Rien n’arrêterait Caire, et certainement pas la simple présence du saidin souillé par l’Ombre, mêlé à son tissage. Rien ne l’arrêterait. Elle travaillait les flux quand, soudain, des toiles d’araignée de saidar s’épanouirent au sommet invisible de la colonne, comme les rayons irréguliers d’une roue, un éventail vers le sud, deux autres plus réduits au nord et au nord-ouest, des rayons en filigrane isolés s’étirant dans diverses directions. Ils changeaient en croissant, jamais identiques d’un instant à l’autre, s’étendant à travers le ciel, de plus en plus loin, jusqu’au moment où les extrémités du dessin disparurent. Et là, il n’y avait pas que la saidar, Elayne en était sûre : à certains endroits, cette toile d’araignée s’accrochait et s’incurvait autour de quelque chose qu’elle ne pouvait pas voir.

Caire tissait toujours, et la colonne dansait selon sa volonté, la saidar et le saidin ensemble, et la toile d’araignée s’altérait et se transformait comme un kaléidoscope détraqué filant à travers le ciel et disparaissant à l’infini.

Sans avertissement, Caire se redressa, se massant les reins, et lâcha complètement la Source. La colonne et la toile d’araignée s’évaporèrent. Elle s’effondra plutôt qu’elle ne s’assit, la respiration saccadée. La Coupe redevint transparente, mais de petites parcelles de saidar continuèrent à fuser et crépiter autour de sa circonférence.

— C’est fait, la Lumière aidant, dit-elle d’une voix fatiguée.

Elayne entendit à peine. Ce n’était pas la façon de mettre fin à un cercle. Quand Caire avait lâché le Pouvoir, la saidar avait disparu simultanément de toutes les femmes. Les yeux d’Elayne s’exorbitèrent. Pendant un instant, ce fut comme si elle était debout au sommet de la plus haute tour du monde, et soudain, la tour n’était plus là ! Juste un instant, mais assez déplaisant. Elle se sentait lasse, mais loin de l’épuisement qui l’aurait accablée si elle avait fait autre chose que servir de conduit. Ce qu’elle ressentait le plus vivement, c’était une impression de perte. Lâcher la saidar était déjà pénible, mais qu’elle s’évapore simplement hors de vous défiait l’imagination.

D’autres avaient souffert plus qu’elle. Quand l’anneau lumineux qui avait uni le cercle s’éteignit, Nynaeve s’assit là où elle était, comme si ses jambes avaient fondu, caressant le bracelet et les bagues angreals, haletant sans les quitter des yeux. La sueur inondait son visage.

— J’ai l’impression d’être un tamis de cuisine dans lequel on a versé toute la farine du moulin, murmura-t-elle.

Il y avait un prix à payer pour contenir autant de Pouvoir même si on ne faisait rien, même avec un angreal.

Talaan chancelait, tel un roseau dans la tempête, regardant subrepticement sa mère, à l’évidence effrayée de s’asseoir. Aviendha restait debout, très droite, son visage figé affirmant que la volonté comptait plus que tout le reste. Elle eut un petit sourire et fit un signe dans le langage des Vierges – le prix en valait la peine – puis un autre, juste après. Cela valait plus que le prix. Toutes paraissaient fatiguées, mais moins que celles ayant utilisé un angreal. Puis tout s’immobilisa dans la Coupe, qui redevint un simple disque de cristal transparent, maintenant décoré de vagues immenses. Pourtant la saidar semblait y résider encore, inutilisée, invisible, mais vaguement perçue par éclairs, comme ceux qui avaient parcouru ses bords à la fin.

Nynaeve releva la tête pour foudroyer le ciel sans nuages, puis abaissa son regard sur Caire.

— Tout ça, pour quoi faire ? Avons-nous accompli quelque chose ou non ?

Une brise chaude comme l’atmosphère d’une cuisine traversa le plateau.

La Pourvoyeuse-de-Vent se leva péniblement.

— Croyez-vous que Tisser les Vents est la même chose que jeter la barre sur un coup de tête ? demanda-t-elle avec mépris. Je viens de bouger le gouvernail d’un skimmer avec une traverse aussi vaste que le monde ! Il lui faudra du temps pour virer de bord, et pour savoir qu’il est censé virer. Qu’il doit virer. Mais quand il le fera, le Père des Tempêtes lui-même ne pourra pas se mettre sur son chemin. J’ai réussi, Aes Sedai, et la Coupe des Vents est à nous !

Renaile entra dans le cercle, s’agenouilla près de la Coupe et l’enveloppa soigneusement dans ses linges de soie blanche.

— Je vais l’emporter à la Maîtresse-des-Vaisseaux, dit-elle à Nynaeve. Nous avons rempli notre part du marché. Maintenant, vous autres, Aes Sedai, devez remplir le reste du vôtre.

Merilille émit un bruit de gorge, mais quand Elayne la regarda, la Sœur Grise semblait le calme incarné.