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— Et parce que vous avez conclu un marché avec Mat Cauthon, qui est mon sujet. Ou bien vous irez volontairement où je le souhaite, ou vous serez attachées sur une selle comme des sacs. Tels sont les termes que vous avez acceptés. Alors, descendez cette colline, Renaile in Calon Étoile bleue, avant que les Seanchans ne nous tombent dessus avec une armée et quelques centaines de femmes qui peuvent canaliser et n’aimeraient rien tant que nous voir tenues en laisse à côté d’elles. Immédiatement ! Courez !

À sa stupéfaction, elles s’exécutèrent.

6

Fils

Bien sûr, Elayne courut aussi, retroussant ses jupes. Elle prit bientôt la tête sur le sentier de terre battue. Seule Aviendha la suivait de près, bien qu’elle ne sache pas courir en jupe, divisée ou non. Sans cela, elle aurait sûrement dépassé Elayne malgré la fatigue. Toutes les autres suivaient à la queue leu leu sur l’étroit chemin. Aucune Atha’an Miere ne dépassait Renaile qui, malgré ses chausses de soie, avançait lentement à cause de la Coupe qu’elle serrait sur son cœur. Nynaeve n’y prenait pas garde, et filait à toute vitesse, jouant des coudes, criant de lui faire place quand elle se cognait dans une autre, qu’elle fût une Pourvoyeuse-de-Vent, une Aes Sedai ou une femme de la Famille.

Dégringolant la pente, trébuchant et reprenant son équilibre, Elayne avait envie de rire malgré l’urgence et le danger. Depuis ses douze ans, sa mère et Lini lui interdisaient de courir et de grimper aux arbres. Mais ce n’était pas seulement le pur plaisir de la course qui lui plaisait. Elle s’était comportée comme une reine était censée le faire, et cela avait marché exactement comme prévu ! Elle avait pris la tête pour conduire ces femmes hors de danger, et elles avaient suivi ! Depuis toujours, elle s’était entraînée pour parvenir à ce résultat. C’était la satisfaction qui lui donnait envie de rire, et sa fierté risquait de la transporter hors d’elle-même comme le rayonnement de la saidar.

Après le dernier tournant, elle avala la dernière ligne droite parallèle à une grange. Un de ses orteils heurta une pierre presque enterrée. Elle piqua, partit vers l’avant, avec de grands moulinets de bras, et soudain fit la culbute pieds par-dessus tête. Pas même le temps de crier. Dans un choc qui fit claquer ses dents et chassa tout l’air de ses poumons, elle atterrit au bord du sentier, juste devant Birgitte. Un instant, elle fut incapable de réfléchir, et quand elle le put, toute satisfaction s’était envolée. Et voilà pour la dignité royale ! Écartant ses cheveux de son visage, elle s’efforça de reprendre son souffle dans l’attente des commentaires caustiques de Birgitte. C’était l’occasion pour elle de jouer les grandes sœurs plus sages, et elle ne laissait que très rarement passer l’occasion.

À la surprise d’Elayne, Birgitte l’aida à se relever sans le moindre sourire, avant même qu’Aviendha n’arrive à sa hauteur. Tout ce qu’Elayne sentait chez sa Lige, c’était une impression de… concentration. Elle imagina qu’une flèche encochée sur l’arc devait ressentir la même chose.

— On fuit ou on se bat ? demanda Birgitte. J’ai reconnu ces Seanchans volants vus à Falme, et, à dire vrai, je suis pour la fuite. Mon arc est du genre ordinaire aujourd’hui.

Aviendha fronça les sourcils, et Elayne soupira. Birgitte devait vraiment apprendre à tenir sa langue si elle avait l’intention de cacher sa véritable identité.

— Bien sûr que nous fuyons, haleta Elayne, terminant la descente du sentier. Combattre ou fuir ! Question stupide ! Croyez-vous que nous soyons complètement… ? Par la Lumière ! Qu’est-ce qu’elles font ?

Sa voix commença à monter dans les aigus.

— Alise ! Alise, où êtes-vous ? Alise ! Alise !

Elayne sursauta, réalisant que la ferme était autant en ébullition que lorsqu’elles avaient reconnu le visage de Careane. Peut-être plus. Cent quarante-sept femmes de la Famille étaient présentes à la ferme, leur avait dit Alise, y compris cinquante-quatre Sages-Femmes à ceinture rouge arrivées quelques jours plus tôt, et quelques autres de passage dans la cité. Maintenant, chacune semblait courir vers ailleurs, ainsi qu’une bonne partie des autres femmes. La plupart des domestiques du Palais Tarasin, en livrée vert et blanc, filaient dans toutes les directions, chargés de paquets. Canards et poules détalaient, battant des ailes et caquetant, ajoutant à la confusion. Elayne vit même un Lige, le vieux Jaem grisonnant de Vandene, trottiner, ses bras filiformes serrés autour d’un gros sac de jute !

Alise apparut, comme se matérialisant par enchantement, calme et pleine d’assurance, malgré la sueur luisant sur son visage.

— Inutile de piailler, dit-elle calmement, plantant ses poings sur ses hanches. Birgitte m’a expliqué ce que sont ces grands oiseaux, et j’ai pensé que nous partirions sans doute plus tôt que plus tard, surtout en vous voyant dévaler la colline comme si vous aviez le Ténébreux aux trousses. J’ai dit aux femmes d’emporter chacune une robe propre, trois chemises et trois paires de chaussettes, du savon, un nécessaire de couture, et tout leur argent. Cela, et rien d’autre. Les dix dernières feront la lessive jusqu’à ce que nous arrivions à destination ; cela les stimulera. J’ai dit aussi aux domestiques de rassembler toutes leurs provisions au cas où. Et vos Liges. Pleins de bon sens pour la plupart et très raisonnables pour des hommes. Est-ce que le fait d’être des Liges les améliore ?

Nynaeve la regardait, la mâchoire affaissée, prête à donner des ordres, mais il n’y en avait plus. Des émotions conflictuelles passaient sur son visage, trop rapides pour les identifier.

— Très bien, marmonna-t-elle finalement, amère.

Soudain, elle s’éclaira.

— Les femmes qui n’appartiennent pas à la Famille. Oui ! Elles doivent être…

— Calmez-vous, l’interrompit Alise avec un geste apaisant. Elles sont déjà parties, pour la plupart. Surtout celles qui ont un mari et des enfants qui leur donnaient du souci. Je n’aurais pas pu les retenir même si je l’avais voulu. Mais une bonne trentaine pensent que ces oiseaux sont en réalité des Engeances de l’Ombre, et veulent rester aussi près que possible des Aes Sedai.

Un reniflement bruyant traduisit ce qu’elle pensait de cette analyse.

— Maintenant, il ne vous reste plus qu’à vous ressaisir. Buvez de l’eau froide, mais pas trop vite. Et rafraîchissez-vous le visage. Moi, je dois surveiller les opérations.

Considérant l’agitation et les femmes qui couraient dans tous les sens, Alise branla du chef.

— Beaucoup s’évanouiraient si des Trollocs apparaissaient en haut de la colline, et les femmes de la noblesse ne se sont jamais vraiment habituées à nos règles. Deux ou trois ont besoin que je les leur rappelle avant de partir.

Sur quoi, elle se dirigea vers les turbulences de la ferme, laissant Nynaeve stupéfait.

— Eh bien, dit Elayne, époussetant sa jupe, vous disiez que c’était une femme très capable.

— Je n’ai jamais dit ça, répondit sèchement Nynaeve. Je n’ai jamais dit « très ». Hum ! Où est passé mon chapeau ? Elle pense qu’elle sait tout. Je parie que ça, elle ne le sait pas !

Elle s’éloigna, en colère, à l’opposé d’Alise.

Elayne la suivit des yeux. Son chapeau ? Elle aurait bien voulu savoir où était passé son chapeau – qui était magnifique – mais vraiment ! Peut-être que le fait de participer à un cercle, en utilisant tant de Pouvoir avec un angreal, lui avait temporairement dérangé l’esprit. Elle se sentait elle-même encore un peu bizarre, comme si elle pouvait cueillir dans l’air des petits bouts de saidar. Pour le moment, elle avait d’autres sujets d’inquiétude : elle devait se tenir prête à partir avant le retour des Seanchans. D’après ce qu’elle avait vu à Falme, ils avaient une centaine de damanes, et d’après le peu qu’Egwene leur avait raconté de sa captivité, la plupart de ces femmes étaient prêtes à en capturer d’autres. Elle disait que ce qui l’avait dégoûtée le plus, c’était de voir les damanes rire avec leurs sul’dams, jouer avec elles et leur faire la fête, tels des toutous bien dressés par leur maître adoré. Egwene disait que certaines femmes capturées à Falme s’étaient comportées de la même façon. Le sang d’Elayne se glaça. Elle aurait préféré mourir plutôt que se laisser tenir en laisse et abandonner aux Réprouvés plutôt qu’aux Seanchans ce qu’elle avait trouvé. Elle se tourna vers la citerne, Aviendha à côté presque aussi essoufflée qu’elle.