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Il avait lancé la charge sur quarante mille Shaidos à la tête de deux cents lanciers, mais à cette idée, il se sentait mal à l’aise. Bien sûr, il l’avait fait parce qu’une Aes Sedai le lui avait ordonné.

— Je ferai ce que je pourrai, marmonna Perrin.

La situation était peut-être pire qu’il ne l’avait cru. Et il devait empêcher qu’elle n’empire. S’il le pouvait. Il aurait préféré affronter les Shaidos une fois de plus.

Nurelle hocha la tête, comme si Perrin lui avait promis tout ce qu’il demandait, et davantage.

— Fort bien, dit-il, d’un air soulagé.

Coulant un regard en coin à Perrin, il prit son courage à deux mains, mais apparemment, le sujet était moins délicat que les Aes Sedai.

— Il paraît que vous avez laissé l’Aigle Rouge déployé.

Perrin faillit sursauter. La nouvelle avait vite voyagé, même si l’on n’était que de l’autre côté de la colline.

— J’ai cru bon de le faire, dit-il lentement.

Il faudrait dire la vérité à Berelain, mais si trop de gens la connaissaient, elle atteindrait bientôt le village voisin, puis se répandrait de ferme en ferme.

— Cette région faisait autrefois partie du Manetheren, dit-il, comme si Nurelle ne le savait pas parfaitement.

La vérité ! Il en était arrivé au point où il pouvait la travestir comme une Aes Sedai, même auprès des hommes de son camp !

— Ce n’est pas la première fois que cette bannière est déployée par ici, je crois, mais aucun de ses partisans n’avait le Dragon Réincarné derrière lui.

S’il ne récoltait pas les fruits de ce qu’il avait semé, c’est qu’il n’avait pas les bonnes graines.

Brusquement, il réalisa que presque tous les Gardes Ailés et leurs officiers l’observaient, se demandant sans aucun doute ce qu’il disait, après avoir traversé le camp au pas de course. Même Gillenne, le vieux chauve, avait appelé son chien de garde et était sorti pour regarder, en plus des deux servantes de Berelain, femmes rondelettes en robes assorties à la tente de leur maîtresse. Perrin n’avait rien remarqué d’anormal, et il savait qu’il devait faire quelques compliments.

Élevant suffisamment la voix pour être entendu de tous, il dit :

— Les Gardes Ailés feront honneur à Mayene si nous devons jamais livrer une autre bataille comme celle des Sources de Dumai.

Ce furent les premiers mots qui lui vinrent à l’idée, mais il grimaça en les prononçant.

À sa stupéfaction, les soldats l’acclamèrent. « Perrin-les-Yeux-d’Or ! », « Mayene pour Les-Yeux-d’Or ! », et « Les-Yeux-d’Or et Manetheren ! » crièrent-ils. Les hommes dansaient et sautaient de joie, certains s’emparant d’une lance sur un faisceau et la secouant, ses rubans rouges flottant à la brise. Les porte-drapeau les regardaient, bras croisés, hochant la tête avec approbation. Nurelle rayonnait et il n’était pas le seul. Des officiers grisonnants souriaient jusqu’aux oreilles, comme des écoliers fiers d’être complimentés sur leur travail. Par la Lumière, il était le seul à ne pas avoir perdu la raison ! Il pria pour ne jamais revivre une bataille !

Se demandant si ces démonstrations allaient créer des problèmes avec Berelain, il prit congé de Nurelle et des autres et attaqua la montée au milieu des feuilles et des buissons morts, dont aucun ne lui arrivait à la taille. Les herbes brunes craquaient sous ses bottes. Des acclamations s’élevaient toujours du camp des Mayeners. Même après avoir appris la vérité, la Première ne serait peut-être pas contente que ses hommes l’acclament ainsi. Bien sûr, cela pouvait avoir ses avantages. Peut-être serait-elle assez furieuse pour cesser de le séduire.

Peu avant d’arriver au sommet, il fit une pause, prêtant l’oreille aux acclamations qui s’estompaient peu à peu. Là-haut, personne ne l’acclamerait. Les rabats de toutes les tentes basses des Sagettes étaient fermés. Seules quelques Vierges étaient en vue. Accroupies sous un arbre qui avait encore un peu de feuillage, elles le lorgnèrent avec curiosité. Leurs mains s’agitèrent rapidement, comme un langage des signes. Au bout d’un moment, Sulin se leva, rajustant sa dague et avança dans sa direction. Elle était grande et svelte, avec une cicatrice rose barrant sa joue bronzée. Elle jeta un coup d’œil sur le chemin par lequel il était venu, et sembla soulagée de le voir seul, bien que ce fût difficile à dire chez les Aiels.

— Voilà qui est bien, Perrin, dit-elle doucement. Les Sagettes n’ont pas été contentes que vous les convoquiez devant vous. Seul un imbécile indispose les Sagettes, et je ne vous ai jamais considéré comme un imbécile.

Perrin se gratta la barbe. Il était resté à l’écart des Sagettes – et des Aes Sedai – dans la mesure du possible, mais il n’avait jamais eu l’intention de les forcer à se présenter devant lui. Il se sentait juste mal à l’aise en leur compagnie. Et c’était un euphémisme.

— Il faut que je parle à Edarra, lui dit-il. Au sujet des Aes Sedai.

— J’ai peut-être eu tort après tout, dit Sulin avec ironie. Mais je vais la prévenir !

Sur le point de faire volte-face, elle se ravisa.

— Dites-moi une chose. Teryl Wynter et Furen Alharra sont proches de Seonid Traighan – comme des premiers-frères avec une première-sœur, car elle n’aime pas les hommes en tant qu’hommes – pourtant, ils ont proposé de faire sa punition à sa place. Comment peuvent-ils lui imposer une telle honte ?

Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Une paire de gai’shains apparut en haut de l’autre versant, chacun guidant deux mules de bât. Les deux hommes en robe blanche passèrent à quelques toises en direction du ruisseau. Il n’en était pas certain, mais il pensa qu’ils étaient tous les deux Shaidos. Ils marchaient les yeux baissés, soulevant à peine assez les paupières pour voir où ils posaient les pieds. Ils auraient pu facilement s’évader durant ces corvées sans surveillance. Étrange peuple.

— Je vois que vous êtes choqué, vous aussi, dit Sulin. J’espérais que vous pourriez m’expliquer. Bon, je vais prévenir Edarra.

Se dirigeant vers les tentes, elle lança par-dessus son épaule :

— Les gens des Terres Humides sont très étranges, Perrin Aybara.

Perrin la suivit des yeux en fronçant les sourcils, et quand elle eut disparu dans une tente, il regarda les deux gai’shains qui menaient les mules au ruisseau. Les gens des Terres Humides étaient étranges ? Par la Lumière ! Ainsi, Nurelle avait raison. Il était trop tard pour fourrer son nez dans les rapports entre les Sagettes et les Aes Sedai. Il aurait dû agir avant. Il espéra que ce ne serait pas la même chose que fourrer son nez dans un nid de guêpes.

Il lui sembla que Sulin mettait du temps à reparaître. Son humeur ne s’arrangea pas quand elle fut là. Tenant pour lui le rabat de la tente, elle toucha dédaigneusement du doigt la dague qu’il portait à la ceinture au moment où il se baissa pour entrer.

— Vous devriez être mieux armé que ça pour cette danse, Perrin Aybara.

À l’intérieur, il fut surpris de voir les six Sagettes, assises en tailleur sur des coussins à pompons multicolores, leurs châles noués à la taille, et leurs jupes soigneusement déployées sur les tapis. Il ne comptait voir qu’Edarra. Aucune ne semblait avoir plus de quatre ou cinq ans de plus que lui, mais devant elles, il avait toujours l’impression de comparaître devant les anciennes du Cercle des Femmes, celles qui ont passé des années à apprendre à flairer toutes les erreurs cachées. Il lui était impossible de distinguer l’odeur d’une femme de celle d’une autre, mais ce n’était pas nécessaire. Six paires d’yeux se fixèrent sur lui, des yeux bleu pâle de Janina aux yeux gris de Marline, sans parler de ceux, vert vif, de Nevarin. Tous auraient pu l’embrocher.