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— Tout ira bien, dit Serpent. Ne t’inquiète pas.

Le fou grimpait à une vitesse surprenante ; on eût dit qu’un sentier s’ouvrait effectivement devant ses pas, et pour lui seul. Serpent avait peine à le suivre, et la sueur lui piquait les yeux. Elle escalada quelques mètres de roc noir rugueux et empoigna sa robe.

— Pas si vite.

Le fou était haletant lui aussi, mais sous le seul effet de la surexcitation.

— Les serpents du rêve sont tout près.

Il se dégagea d’un coup sec et s’élança sur un roc abrupt. Serpent s’essuya le front sur une manche et grimpa à sa suite.

Lorsqu’elle réussit à le rejoindre, elle l’empoigna par les épaules et ne le lâcha qu’après l’avoir fait asseoir sur une corniche.

— Nous allons nous reposer ici, dit-elle, et ensuite continuer notre chemin plus lentement et plus tranquillement. Sinon vos amis seront informés de notre arrivée prématurément.

— Les serpents du rêve…

— North peut nous les refuser. S’il vous voit, va-t-il vous laisser continuer à monter ?

— Vous me donnerez un serpent du rêve pour moi tout seul ? Pas comme North ?

— Non, pas comme North.

Serpent était assise à l’ombre dans un espace étroit, la tête appuyée sur la roche volcanique noire. En bas dans la vallée, elle voyait un coin de pré entre des arbres à feuilles persistantes, mais Vive et Ecureuil ne se trouvaient pas dans cette partie de la clairière, ce petit morceau de velours vert. Soudain Serpent se sentit seule, au moral comme au physique.

La roche n’était pas si aride qu’elle paraissait vue de la vallée. Le lichen y formait des taches gris-vert çà et là, et de petites plantes au feuillage charnu nichaient dans des creux ombragés. Serpent se pencha pour en examiner une de plus près. À l’ombre et sur fond de roche noire, sa couleur était indistincte.

Serpent se redressa brusquement.

Armée d’un fragment de pierre, elle s’agenouilla au-dessus de la plante trapue. Lorsqu’elle se mit à taquiner ses feuilles vert-bleu, elles se fermèrent énergiquement.

Elle s’est échappée, pensa Serpent. Elle vient du dôme.

Elle s’étonnait d’avoir été prise au dépourvu ; elle aurait dû s’attendre à trouver là des choses d’un autre monde. Elle se remit à harceler la plante, toujours du même côté. Elle se déplaçait bel et bien. Si Serpent la laissait faire, elle allait descendre jusqu’au bas de la montagne. Elle glissa la pointe de sa pierre sous l’aventureux végétal pour le sortir de sa fissure, le retournant sens dessus dessous. Son aspect n’en fut pas modifié, mis à part les radicelles dont son cœur se hérissait ; ses brillantes feuilles turquoise pivotaient sur leur base pour chercher une prise. Serpent ne connaissait pas cette espèce végétale ; mais elle avait assisté à l’invasion de choses semblables – on hésite à les appeler plantes car elles échappent aux classifications traditionnelles – qui en une nuit avait conquis tout un champ, l’empoisonnant et le rendant impropre à toute culture. Un été, quelques années auparavant, elle avait participé, avec les autres guérisseurs, à la destruction par le feu d’une armée massive de ces « choses » qui menaçait les fermes environnantes. Elles n’étaient pas revenues en nombre, mais de temps à autre, en petits commandos, elles s’emparaient d’un champ et le rendaient improductif.

Elle aurait aimé brûler la plante qu’elle avait capturée, mais il n’était pas question de se risquer à faire du feu. Elle la sortit de l’ombre pour l’exposer au soleil, et elle se ferma hermétiquement. Serpent remarqua alors autour d’elle les cadavres ratatinés de certaines de ses congénères, desséchées par le soleil, vaincues par la nudité de ce versant abrupt.

— Partons, dit Serpent, se parlant à elle-même plus qu’à son compagnon.

Elle se hissa sur le sommet de l’escarpement dominant le creux où reposait le dôme. L’étrangeté de ce qu’elle découvrit la frappa comme un coup de poing. Des plantes d’un autre monde poussaient tout autour de la base du formidable édifice à moitié affaissé ; elles atteignaient presque l’escarpement, sans laisser de place à un passage bien marqué. Serpent n’avait jamais vu pareille végétation, ni herbe, ni broussailles, ni buissons. C’était comme une immense feuille plate, rouge vif ; mais en y regardant de plus près, elle vit qu’elle se composait en réalité de sections irrégulières, longues de trois mètres ou davantage, assemblées par un système de poils entrelacés. Partout où plusieurs feuilles se touchaient, une frondaison délicate s’élevait à quelques largeurs de main de l’intersection. Et partout où la pierre était fissurée, une bande turquoise de plantes reptiliennes divisait le tapis incarnat ; car elles recherchaient l’ombre aussi délibérément que les feuilles rouges s’étalaient à la lumière. Un jour viendrait où plusieurs d’entre elles triompheraient de l’obstacle du long versant exposé au soleil et prendraient possession de la vallée. Il suffirait pour cela que les intempéries, la chaleur et le froid ouvrent quelques fissures supplémentaires dans le roc.

Les dépressions sur la surface du dôme conservaient des poches de végétation normale car les vrilles reproductrices des reptiliennes ne pouvaient aller jusque-là. Si vraiment leur espèce offrait quelque similitude avec celle que Serpent connaissait, elles ne produisaient pas de graines. Mais d’autres plantes étrangères avaient atteint le haut du dôme, car ces creux abritaient une flore disparate comprenant des plantes vertes ordinaires, mais aussi des végétaux aux teintes vives et inconnues sur Terre. Dans quelques-unes des poches desséchées creusées par la chaleur à une grande hauteur, couleurs terrestres et extraterrestres se livraient une guerre dont l’issue paraissait encore incertaine.

Sous le dôme translucide, des formes élevées se dressaient comme des ombres indistinctes, inquiétantes. Entre la crête de l’escarpement et le dôme, il fallait progresser à découvert. Serpent paniquait de se sentir si visible, car sa silhouette se détachait sur le ciel.

Le fou la rejoignit.

— Suivons le sentier, dit-il. Il désignait les « plates-feuilles » qu’aucune piste ne traversait. La direction qu’il indiquait était coupée en plusieurs points par les veines sombres des reptiliennes.

Serpent s’avança vers le tapis rouge et risqua un pied prudent sur le bord d’une feuille. Rien ne se produisit. C’était exactement comme si elle foulait un feuillage ordinaire. En dessous le sol avait la dureté d’une roche quelconque.

Le fou la dépassa, se dirigeant à grands pas vers le dôme. Serpent le saisit par l’épaule.

— Les serpents du rêve ! cria-t-il. Vous m’avez promis.

— Avez-vous oublié que North vous a banni ? Si vous pouviez entrer ici comme dans un moulin, auriez-vous besoin de moi ?

Le fou fixa le sol.

— Il ne sera pas content de me voir, murmura-t-il.

— Restez derrière moi, et tout ira bien.

Serpent entreprit de traverser le tapis feuillu, qui cédait à peine sous son poids, y posant le pied avec précaution pour le cas où ces larges carpettes rouges cacheraient une fissure encore inoccupée par les reptiliennes bleues. Son compagnon la suivit.

— North aime les nouveaux venus, dit-il. Il est heureux qu’ils viennent lui demander de les faire rêver. Alors il va peut-être m’aimer de nouveau, conclut-il sur un ton nostalgique.

Les bottes de Serpent laissaient des marques sur les plates-feuilles incarnates tandis qu’elle se frayait un chemin sur l’affleurement rocheux qui soutenait le dôme crevé. Une seule fois elle se retourna : depuis le bord de l’escarpement elle avait laissé des places de pas violacés sur le tapis rouge. Les empreintes du maniaque étaient beaucoup plus légères. Il avançait un peu en crabe de manière à ne pas perdre de vue le dôme ; la fascination qu’exerçaient sur lui les serpents du rêve semblait l’emporter sur sa peur de North.