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Il prend la vie du bon côté, Prosper. Nous fait entrer dans son petit bureau qui a des relents d’école.

— Il paraît que vous êtes un spécialiste des vieilles demeures du pays ?

En guise de réponse, il va dans un placard bourré des exemplaires d’une même brochure (éditée à compte d’auteur, j’en mettrais ta bite à couper). En saisit une qu’il tapote contre sa jambe afin de la dépoussiérer et qu’il me tend.

L’ouvrage s’intitule sobrement Cent belles demeures de Saône-et-Loire. Il y a deux photos en noir et blanc par page, à gauche. Le texte concernant chacune est à droite, en italiques, encadré d’un filet noir.

— Voilà, fait-il, je vous l’offre, commissaire, et je crois pouvoir vous dire que ce choix est exhaustif.

Je feuillette avec ravissement l’album.

— Pourriez-vous, à partir de la table des matières, me cocher les « castels » qui se trouvent à une cinquantaine de kilomètres de Chalon ?

A cet instant, Mme Rebuffade surgit.

— Edmond, dois-je faire remettre le lapin au four ? s’enquiert la dame avec sévérité.

Elle nous gratifie d’un imperceptible signe de tête.

Je me présente :

— Commissaire San-Antonio, de la police parisienne. Madame, veuillez excuser cette visite inopportune que des motifs graves et pressants justifient. Nous allons libérer votre époux dans moins de cinq minutes et je ne crois pas que l’excellente gibelotte dont le fumet ensorcelle nos papilles gagne à être transférée au four pour si peu de temps.

La voilà sous le charme.

La renversée ! Je pense que mon regard de velours lui essore le slip.

— Aimeriez-vous la partager avec nous, commissaire ? Je cuis toujours beaucoup de lapin à la fois, car…

— Plus il est réchauffé, meilleur il est, complété-je ; c’est également la devise de maman qui, comme vous, est un incomparable cordon-bleu.

Et c’est ainsi que, quatre minutes plus tard, nous sommes installés à la table de l’ancien proviseur, pour parler châteaux. Moment de qualité, la chère étant bonne, sa conversation pleine d’intérêt et la pluie d’une rare violence à l’extérieur (évidemment).

Je lui relate la réplique de l’homme qui vint chercher July Larsen à l’aéro-club : « C’est à une cinquantaine de kilomètres d’ici, un ravissant petit château bourguignon, à la corne d’une forêt… »

Le proviseur agite la tête avec frénésie, ressort de sa bouche la cuisse de lapin déjà proposée à ses molaires et hurle :

— Je sais ! Je sais ! A la corne d’une forêt ! Poupée bleue (là c’est à sa femme qu’il s’adresse), le commissaire veut parler de l’Hostellerie du Chevalier noir !

— Sans doute, approuve la digne personne.

Là-dessus, Hermance, la bonne, une grande bringue aux joues creuses et aux cheveux gras vient apporter une seconde bouteille d’un vin rouge dépourvu d’étiquette, mais tout à fait excellent. Elle sert avec maladresse. Son genou se frotte au mien pendant qu’elle emplit mon verre. Je lui souris-zob et elle rougit.

Je ressens toujours un léger pincement de regret sous les testicules quand je suis en présence d’un coup perdu. Note que ça doit pas être l’affaire du siècle, Hermance : l’inexpérience… Et si ça se trouve, elle dégage du fouinozoff. Les ancillaires de province n’ont pas le Cadum spontané. Souvent, elles ne se briquent les dépendances que les veilles de fête ou les jours de bal.

Il m’explique ce qu’est l’Hostellerie du Chevalier Noir, mon hôte. Un délicieux château Louis XIII aux exquises proportions qui, trois fois hélas, partait en digue-digue à cause de sa situation isolée. Un jour, un riche Britannique s’est pointé, a eu le coup de foudre et l’a acheté. Il s’est engagé à le remettre en état à condition qu’on lui accorde le droit de le transformer en hostellerie de luxe, sans en altérer l’architecture ni le style. Ça s’est parfaitement bien goupillé avec les Beaux-Arts et l’Urbanisme, et le Rosbif a tenu parole. Maintenant, le Chevalier Noir est un établissement de classe, le propriétaire ayant eu la sagesse de prendre un chef français, ancien élève de Girardet.

En l’écoutant, je fais tilt. Un pan de mystère tombe, c’est comme le gus qui gratte pour se montrer à la téloche. Cet établissement à l’écart des villes et des grandes routes me semble parfaitement susceptible d’héberger une personne soucieuse de disparaître pendant quelque temps. Je gamberge loin, à perte de vue, par-delà les horizons. Supposons qu’une femme July Larsen no 1, soit pourchassée, menacée par des gens « X » et qu’on veuille coûte que coûte la sauver, tout en laissant croire à ses meurtriers qu’ils ont atteint leur cible ? Ostensiblement, je l’emmène faire la grande virée gastronomique chez Bocuse ; au retour, je la laisse à Chalon. Une autre femme en tout point semblable à elle prend sa place et notre petit scénario galant continue. Dans la soirée, un coup de turlu de Pinuche l’interrompt. Je vole à ce que je crois être mon devoir et, quand je reviens, July 2 est morte !

Ça y est ! Je tiens le bon bout, s’agit de ne plus lâcher le fil ! Maintenant, ça vase en cataracte (dehors). Je me dis que mon coucou ne doit pas pouvoir décoller sous ces trombes.

Il fait doux chez les Rebuffade. Faudra que je téléphone demain à Interflora pour faire livrer des roses à notre hôtesse, femme charmante au demeurant. Un peu trop d’heures de planeur, mais elle devait valoir qu’on se débraguette pour elle, il y a cinq ans encore ! Profitez ! Profitez ! mes chéries. C’est pas quand votre frime sera plissée soleil que les mâles exécuteront la danse du trognon de chou autour de votre vieux cul en gousse d’ail !

Hermance apporte de succulents fromages ainsi qu’une troisième boutanche de mâçon rouge.

— Voilà ce que nous allons faire, décidé-je. César, tu vas conserver la voiture de location. Tu me déposeras à l’aéro-club et ensuite tu descendras à l’Hostellerie du Chevalier Noir. Nous allons téléphoner immédiatement afin de te retenir une chambre, si nos hôtes exquis nous y autorisent. J’espère qu’ils auront une valise à te prêter, pour la vérité de la chose.

— Mais comment donc ! glousse la dame Rebuffade, ravie d’intervenir dans une affaire policière de haut niveau.

Histoire de la remercier, je lui fais un brin de genou et la voilà qui ne se sent plus, s’identifie à Adjani, Deneuve, refait sa vie par la pensée. Plus exactement, la termine autrement, avec un bel et intrépide amant chaleureusement monté dans son alcôve, d’où il jaillit sitôt que son singe va faire du vol à voile, pour lui, l’amant, faire du viol à poil, si tu me permets cette boutade un peu juste.

— La femme me connaît, expliqué-je à Pinuche, dès lors je ne puis me montrer au Chevalier Noir. Repère-la, si elle s’y trouve, et surveille ses agissements.

La main de la dame Rebuffade m’investit le bénoche. Oh ! la salope ! Avec elle, c’est droit au but ! Comme j’ai la main gauche sous la jupe d’Hermance (qui me propose les frometons), je trique, fatal ! Du coup, la vioque, tout comme Cyrano, a l’odeur du calandos et l’ombre de l’amour ! Elle prend ça pour elle.

— Avec une tempête pareille, vous n’allez pas pouvoir repartir en hélicoptère ! s’inquiète-t-elle. Je vais appeler le club pour qu’on prévienne votre pilote. Vous allez passer la nuit ici et vous vous en irez demain de bonne heure si le temps le permet.

Je n’hésite que par politesse, d’autant que l’Hermance me fait du morse avec sa cuisse contre la mienne.

— Madame, ma confusion se caramélise, bafouillé-je-t-il. Votre hospitalité…

Elle me fourbit la membrane à s’en disjoncter le poignet ; côté arthrite, elle semble épargnée, la Baronne. Dis, elle va pas me déterger la bouche d’incendie avant la fin du repas !