Il a un rire de ventre :
— Du moment que ça n’est pas moi qui suis à votre place, mon pauvre Antoine !
— Eh bien, en ce cas nous allons interrompre un instant notre conversation, si vous le voulez bien, afin que je puisse me concentrer.
— Je me tais, je me tais ! promet ce bavard.
J’ai encore suffisamment d’énergie pour suggérer à Edmond :
— Le mignon fessier d’Hermance ne vous inspire pas ?
— Du tout : beaucoup trop maigre à mon goût. Et puis je suis un mari fidèle, Antoine. Si je succombais à la tentation, j’en traînerais le cuisant remords jusqu’à la fin de mes jours.
Franchement, je ne sais pas ce que tu en penses, mais il est assez unique en son genre, ce mec !
Seigneur, Tes créatures m’épateront toujours !
Je procède sans à-coups à mon lâcher de ballons. La Rebuffade en est asphyxiée et glousse de bonheur et de surprise ravie devant la générosité de mes séminales. Longtemps qu’elle n’a pas été à une telle fête, la mère. Nuit de liesse ! Les folles soirées de Chalon-sur-Saône ! Comme c’est une opportuniste et une maîtresse de maison économe qui ne laisse rien perdre, elle profite de ce que ma virilité court encore sur son erre pour se mettre à califourchon dessus et s’emporter aux pâmades. Comprenant que ça va être scié pour sa pomme, la pauvre Hermance se bricole un solo de banjo express en caressant le dargif de sa chère patronne. Celle-ci choit, exténuée sur ma couche. Son mari vient l’aider à se relever.
— Allons, viens te coucher ! ordonne-t-il gentiment. Tu es bien avancée, maintenant !
Elle sourit et s’évente de la main. Mimique d’excuse, style « que veux-tu, je suis incorrigible. » Il hausse les épaules.
— Et vous aussi, Hermance ! dit-il. Au lit ! Vous avez suffisamment importuné monsieur ! Et demain, c’est le jour de la lessive.
Je reste seul avec ma joie de vivre et une certaine perplexité à propos du comportement des Rebuffade.
CHAT CLOWN 10
La pluie a cessé et une journée pâlement ensoleillée commence. Des brumes filandreuses courent au-dessus de la Saône.
Hermance a préparé des tartines croustillantes avec du pain de campagne genre Poilâne. Dix pots de confitures faites maison sont groupés dans une corbeille plate en osier. Ça sent bon le café du matin. Hermance s’affaire autour de la table, impavide ; à croire qu’elle n’a aucun souvenir des événements casanovesques de la nuit. Elle est plus placide que la grosse motte de beurre qui trône au milieu de la table cirée.
Les époux Rebuffade surgissent, briqués à neuf, parés pour la journée, souriants, voire radieux. Ils sentent la bonne eau de Cologne sans chichis.
— Je vais pouvoir voler ce matin, annonce Edmond. Avez-vous passé une bonne nuit ?
— Excellente ! affirmé-je avec un max de sincérité dans l’intonation.
— La pluie ne vous a pas réveillé ? s’inquiète l’épouse. Votre chambre est au nord et l’orage y est plus présent qu’ailleurs.
— J’ai dormi comme un bébé.
Elle me demande si je souhaite des œufs. Je lui réponds que j’adore trop les confitures pour ne pas me jeter sur les siennes.
Ensuite je prends congé. Edmond me propose de me conduire à l’aéro-club puisqu’il s’y rend et que je ne dispose plus de voiture.
— Oh ! A propos, j’ai complètement oublié ! sursaille-t-il.
— Oublié quoi ?
Cette nuit, s’il a été réveillé c’était par la sonnerie du téléphone. Mon adjoint, l’inspecteur-chef Pinaud qui me réclamait. Il est donc venu frapper à ma chambre et puis nous nous sommes mis à bavarder et il a omis de me prévenir. Plus tard, quand il est rentré chez lui, le téléphone était toujours décroché, naturellement, mais il n’y avait plus personne en ligne. Alors il s’est couché avec sa fidèle épouse et s’est endormi du sommeil du juste.
Moi, ça me contrarie, ce coup de grelot manqué. Je lui demande la permission d’appeler l’Hostellerie du Chevalier Noir et, l’ayant obtenue d’un seul doigt, je réclame M. César Pinaud. Stupeur ! La dame du standard m’apprend qu’il n’a séjourné que quelques heures à l’hôtel et l’a quitté très tard dans la soirée. Il a prié mon interlocutrice, pour le cas où un M. Saint-Antoine appellerait (et il appelle présentement), de lui dire qu’il rentrait immédiatement à Paris. Je réponds que « Merci beaucoup, vous êtes trop aimable » et repose une livre de matière plastique sur sa fourche d’acier.
Pourquoi Pinuche est-il si vite parti pour Paname, malgré mes instructions catégoriques ? A cela je ne vois qu’une explication : il a dû téléphoner chez lui et apprendre une fâcheuse nouvelle nécessitant son rapatriement immédiat. Peut-être la mort de sa bourgeoise ? Il a tenté de me parler, mais à cause de la partouzette divertissante, son appel téléphonique a sombré dans les oubliettes. Talonné par le temps, la Pine s’est cassé.
Je compose le numéro de son domicile, mais personne ne répond, ce qui avive mes craintes concernant l’état de santé de l’épouse pinulcienne. Enfin, je verrai ça sur place.
En route !
C’est un endroit étrange qui ressemble à un petit théâtre désaffecté. Il y a un vaste podium en guise de scène et des rangées de chaises maintenues alignées par des barres de bois fixées à leurs dossiers. L’assistance est composée de garçons jeunes, accoutrés guerriers à la mords-moi-le-nœud. Des coupes de cheveux de Huns fourvoyés dans le siècle, poignets de force, vêtements de cuir, croix gammées et croix de fer (si je mens je vais en enfer).
L’homme au loup de velours noir les considère en reniflant son mépris. Un moment, il a songé à exiger de ses « soldats » des tenues plus civiles, mais il sait qu’il perdrait alors la majeure partie de ses effectifs. Ils ont besoin de faire joujou, de se créer une personnalité de carnaval. Sous leur accoutrement, ils se croient invincibles et forts. Donc, sans uniformes, pas d’armée ! Ces jeunes cons privés de leur accoutrement redeviendraient ce qu’ils sont : des loubards qui s’emmerdent.
Du doigt, il chiquenaude son micro. Ça produit un bruit d’orage ou de train entrant en gare.
— Mes compagnons ! attaque-t-il.
Magique ! Les rumeurs cessent. Une soudaine exaltation passe sur l’assistance. Ils ont besoin d’un chef, ces jeunes glands. D’un tribun qui les galvanise. Ils sont pleins d’un louche courage inemployé, d’un intense besoin de mal faire qui soit couvert par « une idée porteuse ».
— Mes compagnons ! Comme vous l’avez vu, de nouveaux actes de justice ont continué de déstabiliser les forces du pouvoir. Plusieurs macaques en rut ont été liquidés au moment où ils entraînaient des filles de chez nous à l’hôtel pour copuler bassement avec elles ! Nos effectifs de choc grandissent. Je veux vous signaler qu’un policier a rejoint nos rangs et qu’il y fait du bon travail. Bien qu’il garde l’anonymat, applaudissez ce fonctionnaire du chaos qui a compris où se trouvaient son devoir et le véritable service de la France !
Un tonnerre d’acclamations éclate, enfle, dure…
L’homme au loup doit l’apaiser de ses mains pleines de mesure.
Il se racle la gargane et reprend :
— La lutte va encore s’intensifier, à partir de demain. Les nids à rats de ces occupants loqueteux seront passés au lance-flammes. Par le feu, nous purifierons le pays en détruisant la vermine qui lui flanque la peste et le choléra. Je demande à ceux d’entre vous qui auraient, lors de leur service militaire, suivi une instruction concernant le maniement des lance-flammes de se faire connaître. J’ai du travail pour eux !