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Je t’en reviens : trois Maliens, normaliens, du nord Le chantier était pour l’instant une démolition. En général, un chantier c’est quand on bâtit. Mais pour bâtir, faut démolir, de nos jours où c’est plein partout.

L’un était grutier, et ses deux compatriotes aides grutiers. Le contremaître et les autres hommes (Européens) de l’équipe étaient partis se restaurer ; tu sais où ? Au restaurant. Y en avait justement un pas chérot le moindre à deux pas, rue du Maréchal-Bernique. Pour dix francs, tu avais : hors-d’œuvre variés, entrecôte-pommes frites, fromage, compote de fruits. Boissons en sus ! Mais hein ? Bon. Et la serveuse : une grande Polak rousse se laissait palper la motte. L’ennui, elle avait une écœurante excroissance de chair à l’intérieur de la cuisse, pas loin de la chatte. Chacun se demandait ce que ça pouvait être. Ils lui caressaient néanmoins la moulasse parce que, pour un menu à dix points, on ne peut pas, en supplément, te donner à trifouiller dans la culotte de Lady Di, quoi merde !

Et je me suis éloigné des Maliens à la gamzoule malodorante.

Ils s’asseyent en rond et en tailleurs (en tailleurs qui prennent du rond ; dis : sans moukère faut composer avec Dame Nature, comme disait mémé) autour de leur chiche brasier. Le bois de chantier est toujours humide à Levallois. Ils ont une espèce de galette chacun et se mettent à piocher dans l’infâme ragoût accommodé avec on ne sait plus trop quel animal mort, fortement pimenté.

Et puis voilà une bagnole qui pile devant la grande brèche de la palissade jaune sur laquelle des enfants de salauds on écrit en gigantesque et en noir-goudron : « Les cons sont parmis nous ». Ils ont mis un « s » à parmi, mais je crois pas qu’il en faille un, je regarderai sur mon Bescherelle.

Un gros type sort de l’auto. Il porte un pull troué à col roulé, un chapeau de feutre limoneux comme la pierre d’un lavoir public somalien, et il tient un fort calibre à la main. Le voilà qui s’avance vers le trio. Les Blacks le regardent surviendre sans s’émouvoir. Ils n’ont même pas remarqué la pétoire de l’arrivant. Faut dire qu’avec son silencieux, elle a plutôt l’apparence de quelque chose d’utile, tel qu’un outil, tu vois ?

Le gros se plante devant les Nord-Maliens. Il lance, joyeux :

— Salut, les négros ! Elle marche l’appétit ?

Il obtient trois grosses tranches de noix de coco, tellement ça les fait marrer, l’apostrophe, ces gentils.

Le gros type avance son poing armé dans le dos de celui qui est devant lui et tire à deux reprises. Le gars se couche à la renverse, malgré l’impact arrière, comme un pique-niqueur qui a trop bouffé et qui confie sa digestion à l’herbe tendre du sous-bois. Chose surprenante, ses potes n’ont pas de réaction de panique. Fatalisme ? Inconscience ? Ils suivent les faits et gestes du gros type sans s’émouvoir, presque avec curiosité.

Pan, pan ! Le second, lui, tombe sur le côté. Le troisième, mitraillé en pleine poitrine, part en arrière, comme le premier, mais là, ça s’explique.

L’exécuteur souffle sur sa lampe à souder. Puis il pêche un morceau de quelque chose dans la gamelle, juste pour goûter. Dégueulasse. Il recrache, furax.

— Ces fumiers de niaques, c’est des bouffeurs de merde au vitriol ! déclare-t-il en regagnant la voiture.

Il se met à chanter une chanson dans laquelle il est question d’un matelassier. L’œuvre évoque un cardeur, qui carde jusqu’à son dernier quart d’heure ! Ça n’a l’air de rien, mais c’est très drôle. Tu te rends compte ? Le cardeur jusqu’à son dernier quart d’heure ! Hilarant, non ?

* * *

Mon futal est sec, mais je passe néanmoins l’imper que m’a prêté Mizinsky parce qu’il pleut. C’est bête, non ?

Je me rends à l’hosto dont le dirlo est le beauf de Mathias.

Chacun aimant à montrer ce qu’il possède de mieux, il est tout heureux de me faire visiter sa morgue moderne. Dans un luxueux casier de marbre, July 2 repose, nue, dans un bac métallique coulissant. Un jour, étant reçu à Bruxelles par le fameux directeur de galerie Isy Brachot, j’eus la surprise de me trouver nez à nez dans son salon avec une fort jolie dame entièrement dévêtue et qui me souriait d’un air engageant. C’est au moment de la saluer que je m’aperçus qu’elle était en chlorure de vinyle (ou un truc comme ça). Ma convoitise spontanée s’éteignit pour faire place à une déconvenue teintée de mélancolie.

Ce que je ressens, à cet instant, procède de la même démarche mentalo-sensorielle (menthe à l’eau sensorielle). Sa nudité et sa grâce m’appâtent (ma pâte), la mort me fait disjoncter. Je l’examine en détail, nonobstant ma gêne répulsive. Je constate que Mathias a prélevé ses empreintes digitales, palmaires et dentaires. Il a sectionné une mèche de ses cheveux, une autre de ses poils pubiens. Lui a coupé les ongles. Bref, c’est l’investigation de grand style avant celle, plus poussée, du médecin légiste.

Que suis-je venu chercher auprès de cette pauvre morte ? La fraîcheur du lieu m’incite à remonter le col de l’imper et à mettre mes mains aux poches. Dans celle de gauche je sens une clé. Pourvu qu’elle ne fasse pas défaut à Mizinsky ; j’espère que son obligeance à mon égard ne va pas le contraindre à dormir sur son paillasson.

Je sors la clé. Elle est courante, dentelée, brillante. Un bout de chaînette de deux centimètres la lie à un disque de plastique frappé de caractères en relief. Je lis : Hôtel du Roi Jules.

Je fais signe au dirluche qu’il peut remettre sa viande froide au congélateur. La môme July 2 disparaît avec son énigmatique sourire. Tu vois, j’ai bien fait de lui rendre visite. S’il n’avait pas fait si froid chez elle, je n’aurais pas mis mes mains au chaud.

— Et ses vêtements ? demandé-je à mon mentor.

— Xavier les a emportés pour examen.

J’opine comme un cheval.

— C’est bien. Pardon de vous avoir dérangé.

Ma 500 SL blanche brille sous la flotte car il y a un disquaire en face qui crache de la luce en pagaille ! Au moment d’y prendre place, j’ai comme une notion de péril ; non, pas exactement de péril, il s’agit plutôt d’une mise en alerte. Mon security system qui se branche. Je lui fais confiance et démarre peinardos, avec l’appréhension que m’éclate une bombinette sous les miches. Mais tout se passe bien.

Au bout d’un peu, grâce à mon œil infaillible, je repère dans mes rétroviseurs extérieurs une petite Honda rouge pompier qui me filoche. Ma pomme, avec mon bolide, si je veux, je champignonne à mort et la Honda disparaîtra de ma vie. Mais j’ai un autre projet.

Je sors mon bigophone de la boîte à gants et compose le numéro du Central gérant la circulation. Me fais connaître en annonçant mon numéro de code. J’explique le topo. Rien de plus simple : il s’agit pour eux de dépêcher une voiture banalisée sur mon itinéraire. Quand ils auront retapissé la Honda (j’ai pu relever à l’envers son numéro de plaque), ils auront un accrochage avec elle pour la stopper. Si elle n’obtempère pas, ils la courseront. Il faut qu’il y ait une altercation entre le conducteur et eux de manière à ce qu’ils puissent l’emballer. Ensuite j’irai les rejoindre.

C’est parti. Je ne raccroche pas afin de rester en ligne et pouvoir ainsi donner ma position de temps en temps. Je roule dans des quartiers propices à une telle opération. Mon ange gardien continue sa filoche, imperturbable. Un vrai pro ; il se joue de la circulation et me conserve en point de mire. Son aisance est déconcertante ; cela dit je ne fais rien pour lui compliquer la tâche.