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Alors je décide d’agir. Pendant la guerre, les avions chleuhs qui harcelaient les troupes françaises en débandade (les stukas) fonçaient sur elles dans un terrifiant vacarme de sirènes hurlantes. Le bruit ajoutait à l’effroi de nos pauvres bidasses, les rendait fous de terreur, car un son d’une forte amplitude lèse le cerveau. Je vais lui faire le coup du stuka en piqué, au visiteur, bouge pas, Benoît !

Je gonfle mes soufflets au max, puis je me rue hors du plumzingue en faisant un « Vrrrrrrouhahahaaaaa ! » si formidable que si je portais un râtelier, il claquerait des dents dans son verre. Un rugissement si tant bourré de décibels, je te fous mon bifton que, super-pro de la cambriole ou non, il te paralyse un instant. Non, te « tétanise » ! On est dans un polar et j’allais oublier le verbe transitif clé !

Dans mon élan forcené, j’emplâtre le fauteuil. Ouille ! Ouille ! Je dérouille l’un des accoudoirs en pleine cuisse, à quatre centimètres de mes précieuses ! Ce dégât, si j’avais dégusté ça en plein emballage-cadeau ! Je sens que le siège a renversé mon farfouilleur noctambule. Pour faire bonne mesure, je m’aplatis sur le dossier. J’entends un cri, un craquement.

Tu parles que ce rodéo a réveillé la môme Rosette. Elle n’en rajoute pas, se contentant d’éclairer. Merci, ma belle.

Je me redresse et fais basculer le fauteuil. Dieu que le con du sort est triste au fond des boas ! Autant te le déclarer net, sans tergiverser : mort !

Je pige tout. Dans un premier temps, le fauteuil culbuté l’a fait tomber en arrière. Sa nuque a porté contre le pied d’un landier en fer forgé du XVIIe siècle. Lorsque je me suis jeté sur le dossier, pour faire le bon poids, les cervicales de l’individu ont déjanté.

Je me relève, appréciant la situasse d’un regard semi-circulaire. J’aperçois le rideau de la fenêtre écarté ; la grande croisée Louis XIII est entrouverte car le voleur a découpé un carreau au diamant de vitrier.

Je m’approche. Une échelle d’alpiniste, légère, en nylon et barreaux de duralumin est accrochée à la barre d’appui par un crampon. Alors, ayant appréhendé toutes ces choses, ni une ni deux, je vais ramasser le gisant sous le regard fasciné de Rosette à laquelle je dédie un sourire réconfortant.

— Dur, dur, ce métier ! lui fais-je.

Le gars que je tiens est âgé d’une trentaine d’années. Il est fluet, porte un training noir, des chaussons noirs, un passe-montagne noir, des gants noirs. Rat d’hôtel, quoi !

Je m’approche de la fenêtre. En bas, moutonnent des massifs d’hortensias. Plouf ! Un bruit amorti. Je décroche l’échelle et la laisse choir près du zozo, referme la croisée, tire le rideau, redresse le fauteuil et vais écouter dans le couloir. Nothing ! Il semble que mon cri de kamikaze n’a pas réveillé le voisinage. Faut dire que les murs du castel sont si épais !

Rosette continue de m’observer d’un air méditatif.

— Vous avez des nerfs d’acier, murmure-t-elle.

— Si l’on n’en a pas dans ce boulot, on se retrouve vite allongé sur un catafalque dans la cour de la Préfecture de Police, avec la Légion d’honneur épinglée sur un coussin. Or je n’ai jamais eu envie de la Légion d’honneur.

Je me recouche.

— Tu es superbe quand tu as ce petit air anxieux, lui déclaré-je. Je sens que je vais beaucoup t’aimer.

Elle montre la fenêtre.

— Qu’est-ce que ça va donner ?

— On va voir.

— Vous n’allez rien faire ?

— Si, lui dis-je : l’amour ! Cette fois, je ne peux plus me contenir.

CHAT CLOWN 13

Et ce n’est pas une promesse en l’air ! Ou plutôt si : terriblement en l’air !

La marionnette de Gnafron, tu sais, ce personnage de l’ivrogne lyonnais à la trogne rubiconde.

Rosette, je lui fais pas franchir le Rubicon, c’est le rubicond qui la franchit !

Pas de détails. C’est trop intime pour être raconté ! Faut parfois faire preuve de discrétion, de tact. Sache simplement que notre étreinte est très belle, très ardente, farouche, même ! Du travail (si je puis employer ce mot, cependant noble, pour qualifier un acte plus noble encore) de grande, de très grande classe. On s’aime, quoi !

C’est pas une « séance » d’amour, c’est l’amour. Sans calcul, sans plan ourdi ; l’amour impétueux qui s’improvise à chaque seconde. On se caresse, s’embrasse, se mêle, se pénètre, se goûte, se convainc, se découvre, se donne, s’active, s’affole, se démantèle, s’épuise, se reprend, s’idôlatre.

Pauvre sommier qui, bien que ne datant pas du roi Louis XIII, a supporté bien des assauts, au point de se déformer en son centre, formant ainsi une cavité qui nous rassemble sans que nous eussions à le décider ; douce fosse d’amour.

Ensuite, nous nous engloutissons dans cet « après » merveilleux, encore plus suave que l’amour.

Des bruits extérieurs nous guérissent du sommeil. Moteurs d’autos, aboiements de chiens, chants de coqs.

Je téléphone pour le breakfast. Un thé-citron et deux yaourts pour Rosette. Un café noir avec un croissant pour ma pomme.

Une servante campagnarde nous apporte le plateau. Elle semble d’une paisibilité infinie, d’où je conclus que mon visiteur de la noye doit encore gésir dans les géraniums.

Rosette boit une gorgée de thé brûlant avant de prendre mon braque en bouche, ce qui est une délicieuse attention de fille soucieuse de ton confort.

Comme il faut s’y attendre, à peine notre tout petit déjeuner expédié, on remet le couvert en toute sauvagerie. Baise de nuit et baise de jour sont très différentes. La première baigne dans la fantasmagorie des ténèbres, la seconde a la puissance de la réalité bien lisible.

Je sais qu’à un moment donné, propulsés par notre fougue, nous descendons du lit sans déjanter pour continuer cette fantasia sur le beau plancher marqueté. On pâme de concert, comme toujours dans les amours réussies, et on reste à haleter, l’un sur l’autre, nos corps soudés par la plus précieuse des sueurs.

Ayant recollé ma moustache, chaussé mes lunettes et coiffé ma gâpette, j’emmène Rosette en promenade dans le parc. Enlacés, nous en parcourons les allées, à petits pas vieillassous de gens ayant vidé leurs glandes et mis à mal leur énergie.

Nous passons sous notre fenêtre. Sans marquer de ralentissement je coule une œillade avide sur l’énorme massif d’hortensias bleus. Dans le milieu, quelques plantes ont été brisées, mais il ne s’y trouve aucun cadavre et pas davantage d’échelle d’alpiniste.

Drôle de château où l’on ne prévient pas la police quand un monte-en-l’air se fait foutre en bas ! Tu sais que ça commence à m’énerver singulièrement, ce bigntz ?

J’attends le repas de midi avec impatience.

La salle à manger est l’une des plus ravissantes qu’il m’ait été donné de voir. Mobilier de style élisabéthain, en bois très sombre, presque noir, ciré et poli jusqu’à le transformer en miroir.

Une dizaine de tables aux nappes exquises, brodées, et à la vaisselle de porcelaine décorée main. Verrerie de cristal, argenterie massive. Le maître d’hôtel est britannouille de même que les péones en spencers blancs à revers bleus. Quelle allure !

Nous sommes les premiers. On nous a réservé une table entre la cheminée monumentale et un fabuleux bouquet d’au moins trois mètres de circonférence trônant seul sur une table. Je suppose que notre coin est celui des amoureux.

Le menu du jour est joliment calligraphié sur du parchemin :