Je tire les rideaux, arrache le couvre-lit.
Tiens, une bafouille est posée en évidence sur mon oreiller. Mes oreillettes réagissent. Je me saisis du message. L’enveloppe ne comporte aucun libellé. A l’intérieur, je trouve une feuille de papier à en-tête de l’hôtel. Aucun mot n’a été tracé dessus. Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je jette la bafouille muette dans la corbeille à papzingues.
Le château des mystères, te dis-je !
Rosette sort de la salle de bains, opérationnelle. A mon tour de poser mes loques.
On se couche. Merde : ma queue pend comme la cravate de mon tonton Gustave, sauf que la sienne possédait un tout petit nœud de misère.
Heureusement, au lieu de m’emboucher la Renommée, Rosette me presse… de questions.
J’y réponds. Le Vieux ! Son signe m’intimant de jouer La Muette. Elle s’exclame à satiété puis, vaincue par la bonne chère, s’endort. Mon honneur est sauf.
Satisfait sur ce point, je croise mes bras sous ma tête pensante et me plonge dans des réflexions tellement profondes que, franchement, je devrais m’encorder avant de descendre en moi-même. A quoi rime ce fourbi ? Le Vieux, bourré de virus au point de se faire pomper à travers une cage hermétique et de m’abandonner son bureau ! Il part de chez lui en ambulance et je le retrouve dans une hostellerie grand luxe, seul apparemment. Etablissement où j’espérais trouver July Ier et d’où mon brave Pinaud a disparu après avoir tenté de me téléphoner. Etablissement où un monte-en-l’air visite ma chambre et que je tue accidentellement ! Son cadavre disparaît sans avoir causé, semble-t-il, la moindre émotion dans le Landerneau.
Il y fait quoi, au Chevalier Noir, Pépère ? Et moi, hein ?
Je m’y goberge, j’y fais l’amour alors que mes hommes les plus valeureux ont disparu : Mathias. Jérémie, Pinuche, Violette (je peux la citer parmi les hommes, cette indomptable). Et ce salaud de Béru qui s’est mis à tuer du bougne, l’immonde !
Je regarde la peinture du ciel de lit. Rarement je me suis senti pareillement démuni. Baisé à bloc ! A croire que ma bonne étoile a changé de galaxie et que mon ange gardien s’est cassé avec une danseuse du Lido !
Voilà que dans la chambre contiguë, les pensionnaires viennent de brancher la téloche pour suivre le tennis sur la 3. Malgré l’épaisseur des murs je perçois le claquement sec des balles ; mais un petit grésillement métallique se produit dans ma carrée, juste au-dessus de ma tronche. Léger, fusant, avec des sautes, des crachotements.
Soucieux d’en avoir le cœur net, je me coule hors des draps, grimpe sur une chaise et examine le dessus du baldaquin. Me faut pas deux secondes pour retapisser la source du petit couinement insolite : un micro. Il a été déposé pile sur le fente qui lézarde le panneau de bois peint constituant le plafond du baldaquin. La téloche crée des interférences et fait vibrer la plaque sensible du micro.
Je songe que « ô putasse ! », je viens de déballer le topo à Rosette et que ceux qui nous espionnent ont tout entendu. Décidément, je ferais mieux de me retirer à l’Armée du Salut où je pourrais peut-être rendre encore de menus services en servant les repas aux clodos et en passant leurs paillasses à l’insecticide. En qualité de flic, c’est plutôt râpé, pour ma pomme.
Je redescends de la chaise, m’y assois et me tiens le langage suivant :
« San-Antonio, je t’accorde une minute pour mettre au point un plan d’action susceptible de sauver la mise au Vieux. Passé ce délai, je te traîne devant une glace et je te crache à la gueule jusqu’à ce que je ne te voie plus. »
Je mate le cadran de ma Pasha. Au bout de quarante-deux secondes, j’ai trouvé.
Alors je réveille Rosette.
Elle s’est toquée rapidement et a glissé dans la poche de son tailleur le petit tube de plastique, format stylo, que je lui ai remis.
— Tu as tout compris, chérie ?
— Ça n’a rien de compliqué : je vais au salon, je prends une revue que je feins de lire. Pendant ce temps, j’enfonce ce machin sous les coussins de mon canapé après en avoir retiré le capuchon et je repars tranquillement.
Inutile de te préciser que notre converse est chuchotée dans la salle de bains !
— Et au retour ? insisté-je.
— Au retour, tu me proposes de faire l’amour, j’accepte et j’assure le bruitage de circonstance pendant que tu pars « au travail ».
— Bravo !
On revient dans la chambre.
Moi à la cantonade (ce salaud de Béru dit « à la canonnade ») :
— Tu sors, chérie ?
— Je vais voir si je trouve de quoi lire au salon.
— Tu ne restes pas longtemps partie, j’ai des projets te concernant.
— Mais non, mon grand fou !
Doubles baisers gazouilleurs, claquement de porte. Le beau San-A. se met à chanter le grand air de la Tosca d’une voix qui inciterait les bouquinistes des quais de Seine à remballer leur marchandise avant la pluie :
Tiens, il fait soleil. Le coup de projo céleste, sans crier gare. Un rayon oblique passe entre les rideaux et plonge dans la corbeille à papier grillagée. Il met en valeur la lettre blanche que j’y ai balancée.
Encore une énigme de plus : elle rime à quoi, cette bafouille ? Froissée, elle ressemble un peu à une mouette morte, voire à une tourterelle.
Je me mets à chanter autre chose… Du Piaf. Milord ! Quand les paroles me manquent, je siffle.
Je stoppe net. Est-ce un mirage ? Je fonce à la corbeille pour y ramasser la lettre inécrite. Je crois y déceler comme l’ombre de caractères. C’est quasi impondérable, mais ÇA EST ! Alors, je pige, triple con qu’I am ! Encre sympathique. Il faut chauffer le papelard. Et mister Ducon-Lajoie qui n’a même pas été effleuré par cette pensée ! M. Dunœud qui mijotait peinard dans sa connerie bouffite. Faut que ça soit le mahomed qui le rappelle à l’ordre, vienne lui donner la leçon en chauffant la babille ! Suis-je-t-il en méforme ? Traversé-je-t-il un passage avide ?
Rapidos, je gratte une allumette du petit paquet réclame mis à la disposition de sa clientèle par le Chevalier Noir et promène la flamme sous la feuille de noble papelard. Sans attendre, des caractères se constituent, en majuscules d’imprimerie. Et je lis :
PARTEZ IMMÉDIATEMENT PAR PITIÉ
CHAT CLOWN 14
L’homme au loup était à ce point à l’aise avec cette pièce de velours sur le visage qu’il donnait l’impression de vivre continuellement masqué. Il portait un grand béret de parachutiste et un complet de jean bleu. Il proposa à son tueur d’élection :
— Vous prenez un petit Cointreau avec moi ?
— Si c’s’rait n’pas vous déranger, j’aimererais plus mieux un verre de rouge, assura l’interpellé.
Le « Big Chief » fit claquer ses doigts et donna à l’un de ses sbires l’ordre muet de satisfaire son invité.
— Vous faites un sacré travail ! complimenta-t-il. Votre tableau de chasse se monte à combien de pièces ?