— Nous n’en avons pas, coupe le « président », mais baste, un moment de gêne est vite passé.
Bon, alors ils entrent. Trois gaillards coiffés à la Hun s’interposent, avec chacun un pistolet-mitrailleur.
Reconnaissant les survenants, ils les saluent avec onction, componction et coordination.
Dedans, cela se présente pas comme tu pouvais le supposer. La grotte se subdivise en une enfilade de salles rudimentaires où règne une fraîcheur humide. Malgré qu’on y ait stoppé la culture de ce végétal sans fleurs ni chlorophylle, le lieu sent toujours le champignon.
— Où sont vos pensionnaires ? questionne le champignonniste.
Les deux gardes indiquent la salle suivante. Là, l’obscurité règne en maître.
— Eclairez, bon Dieu ! rage le chef.
Un de ses sbires se précipite et se met à tâter le sol jusqu’à ce qu’il trouve un câble noir qui sort d’un petit groupe électrogène. Il rejoint un commutateur rudimentaire qu’il actionne. Une lumière d’une grande violence retentit (tellement elle est éblouissante !). Elle illumine un groupe dont chaque membre est garrotté. Sont rassemblés, dans un triste pêle-mêle : Pinaud, Mathias, Jérémie et Violette.
Tous ont la gueule saccagée, crépie de sang séché, et fleurie d’ecchymoses plus ou moins laides. Jérémie qui est le plus mal en point, a les deux yeux fermés et formidablement enflés, les arcanes souricières (Béru dixit) éclatées, les lèvres en compote.
Bérurier laisse aller son regard sur cette navrance.
— Ben merde, vous leur avez pas fait de cadeau à mes collègues ! Pourquoi t’est-ce vous les avez pas finis à la main, du temps que vous y étiez ?
— Parce que je tenais à ce qu’ils périssent de la vôtre, mon ami, répond Loup-Noir.
— C’t’indiscret d’vous d’mander la raison ?
Le « président du F.P. » saisit Béru par un bras et l’entraîne derrière le gros projecteur qui arrose la salle si copieusement.
Bérurier découvre alors une caméra 16 mm montée sur un trépied.
— Nous allons vous filmer en train de liquider vos anciens copains. Un document pour nos archives.
— C’est pas très corrèque ! bougonne le Gros.
— Par contre c’est plus prudent. Avec ce film dans mon coffre, je serai tout à fait tranquille à votre sujet, Bérurier ; je saurai que vous demeurerez à tout jamais le fer de lance de notre croisade !
Le Mastar en est soufflé.
— Alors, vous !
Mais le sourire angélique qu’il lit sous le masque le fait renoncer à tout réquisitoire. Il réalise que messieurs les extrêmes-extrémistes ne sont pas des gens de tout repos.
Alors il branle du chef.
— Quand vous voudrez ! fait celui-ci en montrant les quatre victimes expiatoires.
Dans certains cas, il faut savoir décider vite.
La position que nous occupons est très inconfortable. Nous voici hagards devant une Ford Siesta déchiquetée, ayant encore dans son habitacle un steak tartare qui fut proviseur, adepte du vol à voile, partouzard passif et châteaulologue averti. La bonne s’est évanouie après avoir découvert son oreille à ses pieds et, dans l’auto, son patron qui n’attend plus que des câpres et du ketchup pour boucler sa trajectoire terrestre. Rosette, mieux armée pour le danger, se contente de rester verte et silencieuse en laissant pendre son bras esquinté.
Le moment est venu de lui sortir ma bonne vieille boutade des veillées près de l’âtre :
— Tu vois, chérie, avec moi c’est comme aux Galeries Lafayette : il se passe toujours quelque chose !
Je te disais, tout de suite après les trois astérisques qui précèdent, que dans certains cas il convient de décider rapidos.
Je me retrouve tout à coup absolument lucide et calme. L’esprit clair comme de l’auroch (Béru).
Je fouille mon veston, sors une petite boîte en plastique contenant une seringue de pas quatre centimètres de long dont j’injecte le contenu dans la fesse de la maîtresse servante.
— Qu’est-ce que c’est ? fait Rosette.
— Un produit dû à ton patron, ma douceur. Deux jours d’un bon sommeil assuré. A notre époque chiatique ça n’a pas de prix. Maintenant, tu vas te montrer à la hauteur de mon amour. File à pied jusqu’à la route principale et fais du stop. Dis qu’il vous est arrivé un grave accident à ton ami Rebuffade, à sa bonne et à toi. Vous rentriez d’une promenade dans la campagne lorsque la voiture a explosé. Pas un mot sur moi ! Pas un mot sur la ferme et, a fortiori sur l’intervention du vilain Noir. Votre auto a fait explosion, tu ne peux rien dire d’autre. Le conducteur a été tué et sa passagère grièvement blessée. Répète ta chanson aux gendarmes, peut-être auront-ils des doutes, mais ne démords pas de ta version, quitte à laisser croire que vous partouziez en forêt avec le vieux. Dans les heures qui viennent, je te tirerai de cette situation embarrassante. Le mieux est que tu restes à l’hôpital pour ton épaule, en exagérant tes souffrances.
Tu sais ce que me répond cet ange de douceur et d’énergie ?
— Je n’aurai pas à exagérer !
Et c’est vrai que la douleur la fait grimacer !
CHAT CLOWN 18
Moi, tu l’as compris : pas question, dans ces conditions, d’abandonner les comptoirs de l’Inde ! Malgré l’admonestation du Vieux m’enjoignant de foutre mon camp, je reste ! Comme dit encore Hugo : « Il y avait de quoi reculer ; il avança ! »
J’avance. Arriver dans une telle hostellerie pleine de gens louches armés, desservie par un souterrain, comme dans les meilleurs Fantômas, et où l’on n’hésite pas à piéger ta chignole pour réduire ses occupants en confiture de viande, oui, mettre ses pinceaux dans un coinceteau aussi peu banal m’empêche de prendre mes distances. Si je me soumettais, je ne serais plus San-Antonio, et si je n’étais plus San-Antonio, t’en serais réduit à lire des vrais bouquins et ton moral s’en ressentirait ; si ton moral s’en ressentait, tu deviendrais invivable, ta femme te quitterait, tes enfants et tes amis se détourneraient de toi, alors tu comprends bien que je dois coûte que coûte rester sur mes positions !
Je me dis très succinctement ceci :
« July Larsen et le Vioque ne vont pas pouvoir s’éterniser dans cette ferme en ruine inapte à les loger. Alors de deux de mes choses l’une : ou bien on les réintègre dans l’hostellerie, ou bien on les évacue vers des contrées plus tranquilles. Les ramener au Chevalier Noir me paraît improbable ; l’incendie qui l’a endommagé aura attiré la presse locale, des gendarmes et des curieux. Donc, on va les embarquer. Comme je n’ai pas aperçu de véhicule près de la ferme, je conclus que celui qui doit les prendre n’est pas encore arrivé. »
J’ajoute que l’explosion de la Ford va rameuter un trèpe pas possible et que, donc, ils ont l’intérêt à se casser fissa, tous.
J’en suis là de mes perspicaceries quand je vois radiner un gros véhicule blanc frappé d’une croix bleue sur ses portières avant. Une ambulance. On l’a aménagée dans une énorme chignole ricaine, large comme le carrosse d’apparat d’Élisabeth II. Les branches du sous-bois griffent les ailes du bolide qui s’en vient tanguant. Je distingue un seul homme au volant. Alors tu sais quoi ? Je me place sur le chemin, bras en croix, ma lampe électrique laser (modèle réduit) en main, lui adressant des signes de naufrageur pour lui intimer de stopper ; ce qu’il fait.
Il actionne son abaisse-vitre électrique et se défenestre à demi.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiète-t-il.
— Vous allez à la ferme du Renard Piégé ?
— Ouais, pourquoi ?