Sa « mission » accomplie, le Mastar souffle sur le canon du feu, façon western. Il sort son mouchoir cauchemardesque et l’utilise pour « essuyer » l’arme dont il vient d’user.
Il est tout joyce et sifflote Les Matelassiers.
Ensuite il dépose le feu au centre du cercle des défunts, puis s’approche des vivants. De son Opinel, il tranche liens et bâillons.
— Vous deviez commencer à vous faire vieux, mes drôlets ! lance-t-il.
Le père Pinuche, au lieu de remercier, fulmine :
— Qu’est-ce qui t’a pris d’abattre Jérémie et Violette !
— Fallait qu’j’inspirasse confiance z’aux z’autres, plaide Sa Majesté. Ce début d’éguesécution a fait qu’ils sont été sans méfiance pour après, comprends-tu-t-il ?
— Comme tu y vas : sacrifier deux amis pour donner bonne impression à ces criminels, c’est un peu cher payé !
Le rire de Mathias le laisse coi. Il regarde tantôt le Rouillé, tantôt l’Obèse avec incertitude.
— Il a tiré avec une arme de mon invention, César, rassure le Rouquemoute. Balles anesthésiantes sans grande force d’impact. Elles inoculent une légère dose de soporifique et s’anéantissent. Dans moins d’une heure, nos deux amis seront sur pied.
La Pinoche retrouve son beau sourire de vieil archange devenu ganache.
— Je me disais aussi… Un homme comme toi, Alexandre-Benoît, ça ne peut pas devenir un tueur nazi, même s’il a une aversion pour les Noirs.
Bérurier bombe le torse.
— Ça y est, traite-moi de racisse, pendant qu’t’y est ! Où qu’t’as vu que j’aimais pas les Noirs ? A cause qu’ j’chahute Blanc, parfois ? J’voudrais qu’tu le suçasses une fois pour toutes, César : moi, les Noirs, j’les raffole. La seule chose qu’j’leur reproche, c’est d’être nègres par moments !
CHAT CLOWN 20
Félicie a un sursaut de bonheur en m’apercevant. Sa radio marchait, lui dévidant le discours d’un politicard aux assises du C.Q.F.D. et elle ne m’a pas entendu arriver. Paroles fortes applaudies en bourrasques.
— « Ce qui est, est ! Et tout ce qui a été n’est plus. »
On sent que les assistants mouillent plein leurs slips.
Comme je m’avance à deux bras, Féloche recule.
— Je vais te mettre plein de farine, mon grand !
Elle est en train d’étirer de la pâte au rouleau sur sa table de cuisine.
— T’inquiète pas pour la farine, m’man.
Je presse ma chère tête contre moi. Toujours cette mystérieuse odeur de coutil neuf et de violette fanée et puis de cheveux bien lavés aussi.
Quand on se dégage de nos retrouvailles, elle remarque avec inquiétude :
— Tu as l’air d’être au bout du rouleau, Antoine ? fait-elle en reprenant le sien.
— Au bout du rouleau, mais pas au bout de mes peines, dis-je. Tu prépares une tarte ?
— Non : des friands, mais je peux confectionner également une tarte si tu en as envie ?
— Penses-tu, je raffole des friands et je vais m’en faire péter la sous-ventrière ! L’inspecteur Latouche n’est pas là ?
Elle se trouble.
— Non, il m’a demandé la permission d’emmener Maria au cinéma. Ça a l’air de bien marcher, eux deux, et il parle de l’épouser car, nous a-t-il dit, la femme qui partage sa vie est seulement sa concubine.
Je me sens knouté par la colère et la jalousie. Cette grande pute de Maria que j’enamoure d’un regard, voilà qu’elle me fait du contre-carre avec le dernier de mes subordonnés !
Je m’emporte (pas loin mais fort) :
— En voilà un qui va comprendre sa douleur ! Il est ici pour vous protéger, pas pour s’envoyer la bonne ! Désertion de poste, c’est le limogeage pur et simple.
— Ne fais pas le croquemitaine, mon Grand. C’est moi qui leur ai dit de sortir !
— Bravo ! On paie une bonniche pour qu’elle assure la félicité des sens d’un vieux branleur de perdreau qui n’est encore à la Grande Taule que grâce à un oubli de l’Administration !
Comme elle est éplorée, la vieille chérie, je me sourdine les rancœurs. C’est bien fait pour ma pomme ! Je caracole avec trop d’assurance dans les basses-cours, voilà qui me rabattra le caquet. Dieu nous envoie des mortifications pour nous aguerrir, je le sais. Note qu’en ce moment, Il m’octroie la forte dose !
— Fais-en beaucoup, des friands, m’man, j’ai une faim d’ogre. En attendant, je vais prendre une douche et changer de fringues : je me sens pollué comme toute la ville d’Athènes.
Elle stoppe ma volte en posant sa main sur mon épaule.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Antoine ?
— Tout, rétorqué-je. (Rire cynique.) Mais à part ça, tout va bien !
— Tu ne veux pas me dire ?
— Te dire m’obligerait à revivre. Disons que j’ai subi un échec professionnel et que… Enfin, tu me connais : ça coince ! Mais le temps guérit tout.
Putain ! Je vais lui chialer dans le giron ! Lui faire le coup de « maman bobo » !
Alors, un gros mimi au front et je m’arrache.
De retrouver ma chambrette de célibataire, ça me calme un peu. Tout est si tranquille, si rassurant. Ma collection de Tintins sur un rayon, un dessin original de Wolinski, agrémenté d’une dédicace salée. Faut dire que ça représente moi à poil sur une plage, avec un tricotin d’enfer et une pépée en folie qui joue à la girouette sur mon chipolata.
Je me dessape en matant les détails du chef-d’œuvre. Il a un de ces coups de crayon, le gars Georges !
Une fois en costar d’Adam, je passe dans ma salle de bains. Et me voilà brusquement attendri en découvrant une rose d’automne, plus qu’une autre exquise, plantée dans mon verre à dents. Ça, c’est Maria. Cette pétasse, malgré les manigances de Latouche, continue de me vouer son culte. Elle baise en relais, en play-back aussi, peut-être, mais me conserve son cœur ibérique. Olé !
Douche. Très chaude, puis que j’attiédis. Mon eau de Cologne à foison, sur ma poitrine, mon bas-ventre (attention de pas en foutre sur la tronche de Mister Pollux qui s’irrite d’un rien).
Je me saboule, par réaction, en San-Antonio-commissaire-de-charme. Djine noir, T-shirt jaune (cocu), veste de daim noir déstructurée. Je fais franchement Casanova pour midinette en quête d’un bon coup. Mocassins d’autruche pour parachever. Tu juges le bon goût de l’artiste ?
Mon moral péclote encore, malgré l’attention que je viens d’accorder à ma personne. Mon ami Dupeyroux me dit : « Quand je suis trop triste, je vais m’acheter quelque chose. » C’est un sage conseil. Demain, si je suis encore dans la gadoue mentale, j’irai m’acheter « quelque chose ». Mais quoi ? J’ai envie de rien. Blasé, comprends-tu ? J’ai ma maman, un peu de blé et je suis beau.
N’empêche que je viens de me comporter en fouteur de merde. J’ai rien déniché à propos des tueurs de nègres, je suis sans nouvelles de mes chers disparus, Rosette est à l’hosto de Chalon-sur-Saône, le Vieux me conspue, je dois lâcher une affaire qui me passionnait, je…
Maman sort du lavabo des invités. Elle s’est lavé les bras, a brossé ses cheveux et ses vêtements enfarinés. Et puis, tiens, elle a ôté son sempiternel tablier. Quelque chose dans sa physionomie révèle le contentement : une lueur dans un pétillement. Elle a le sourire qui s’impose tout seul, alors qu’elle cherche à le réprimer.
— T’as l’air en liesse, mother, je lui dis, comme si tu venais de décrocher le gros lot à la loterie ; encore que toi, le pognon, c’est pas ta tasse de camomille.