Je suis l’abeille lourde du pollen collecté qui commence à fabriquer son miel. Des flashes partent dans ma cervelle comme des traînées d’étincelles sous les roues d’un tramway. Les paroles de Mathias, hier : Justement, en molestant ta mère, il échappait aux soupçons qui pourraient naître à son sujet… Mizinsky, c’est un cerveau ! Comment a-t-il dit à sa vieille maîtresse ? Ah ! oui : qu’il nous donnera bientôt de ses nouvelles.
Voyons ! Mizinsky a sucré le rapport de Mathias, par conséquent il sait ce que nous savons de lui tant à propos de la chambre 42 du Roi Jules, qu’à propos de l’Estafette appartenant à son beau-frère. Donc, il connaît trop le métier POUR NE PAS SAVOIR QUE, SI NOUS NE LE TROUVONS PAS CHEZ LUI, NOUS VIENDRONS LE CHERCHER ICI ! Sa bagnole, près de l’Estafette, c’est pour nous conforter dans cette hypothèse. Donc il attend notre intervention. Tu piges ça avec la mousse de foie gras qui te sert de méninges ? Même s’il n’est plus ici (et je le pense), il nous y attend.
Nous y attend d’UNE AUTRE FAÇON.
Je continue de fixer les doigts de l’homme à terre et, ô merveille, se produit enfin ce que j’attends : l’un d’eux remue. Tu ne peux demeurer absolument inerte très longtemps. Donc, l’homme de l’arrière-boutique n’est pas mort !
Je reprends mon sésame et ouvre la porte du magasin.
J’ai fait signe à Violette de ne pas broncher. Je m’avance avec précaution jusqu’à l’arrière-boutique. Je trouve un gars ligoté. Petit bonhomme fouineux, à nez pointu de belette s’apprêtant à sortir de son terrier. Il est bâillonné. Sparadrap. J’arrache. Son premier mot ? « Ouïe ! »
— Vous êtes Courtial, le beau-frère de Mizinsky ?
— Oui.
— Moi, c’est son confrère San-Antonio !
Je le délivre de ses liens, tout en devisant :
— Que vous est-il arrivé, cher ami ?
Il le dit.
Dans la soirée, il cassait la graine avec mon collègue. Et de désigner une table avec un sauciflard, un calandos, du bread, un boutanche de côtes-du-Rhône. On a frappé à la porte du magasin, il est allé ouvrir. Trois hommes se sont alors précipités sur lui, l’ont estourbi à demi, puis ficelé. En même temps, ils s’emparaient de Jean-Paul et l’évacuaient.
Ils ont relourdé la boutique et, dès lors, il attend. Il a pissé dans ses hardes, le pauvret, tant tellement il est incontinent. Mais il nourrit les craintes les plus vives quant à son beauf, ayant entendu ce groupe grimper l’escadrin de son apparte, piétiner là-haut et pour finir deux détonations sèches ressemblant à des coups de feu.
Il se masse, s’ébroue, geint. C’est un foutriquet sans importance collective. Un petit besogneux. Positif, négatif ! Prise de terre ! 220 volts !
— Allez voir, il flagadouille. Montez, je vous en prie, je suis sûr qu’il est arrivé un malheur à Jean-Paul ! Ces types avaient des vêtements de cuir et des cheveux verts en arrête dorsale de requin, des médailles avec des croix gammées dessus.
Je lui mets la main sur l’épaule.
— On va aller voir ça ensemble, Courtial.
— Oh ! non ! Oh ! non ! je ne m’en sens pas le courage après ce que je viens moi-même de subir…
— Votre épouse n’est pas là ? m’étonné-je.
— Elle est morte il y a deux ans.
Je lui biche le bras d’une main forte et l’entraîne dehors. Il porte une blouse grise comme en avaient les épiciers de quartier, autrefois. Comme ils en ont encore, d’ailleurs, dans les campagnes.
Arrivés devant la porte du logement, je lui dis :
— Montons !
Mais il flagadague vilain, l’homme.
— Ecoutez, c’est impossible ! Je ne m’en sens pas le courage ! Je suis traumatisé, il faut me comprendre. Je suis sûr que Jean-Paul a été tué !
Moi, tu croirais pas ma force quand je renaude. Je le biche d’une main par le collet, de l’autre par son fond de culotte (qu’il a détrempé), et je le soulève de terre. M’engage dans un escalier de bois assez étroit.
Il bieurle comme un gonzier qui viendrait de s’asseoir dans un bac à friture :
— Non on on ! Au secours ! Laissez-moi ! Je ne veux pas !!!
A mi-étage, je m’arrête.
— Raconte, Courtial. Dis tout et dis-le vite, sinon on poursuit la grimpette !
— Je… je n’ai rien à dire. Seulement que je suis en pleine crise de nerfs. On m’a frappé, on…
— Justement : viens te coucher, t’as besoin de repos !
Je reprends l’ascension. Il se démène et arc-boute comme un furieux, l’énergumène. On arrive malgré tout sur le palier.
— Ouvre, Courtial !
Là, il se laisse panteler, chique à la perte de conscience.
— O.K., tu rentreras là-dedans évanoui, mais tu y rentreras, mon pote !
Il dit, et cela ressemble à un long râle :
— Redescendons. Je vais tout vous dire !
Nous redescendons.
Il tient parole et me dit tout.
CHAT PITRE
CLOWN
GUGUS
DERNIER
Ce cirque !
Il a fallu encercler le quartier, tu juges comme c’est commode le matin, au moment où les chiares partent en classe, où les livreurs livrent, où les ménagères ménagent, où les bistrots blanc-cassissent et où les artisans remettent pour la centième fois leur ouvrage sur le métier ?
Ensuite, les pompiers sont arrivés, pour épauler l’équipe des artificiers. Un boulot pareil, on n’avait encore jamais vu ! Puis ça été l’hélico ! Décidément, y en a chouchouille dans mon histoire. D’après les révélations de Courtial, il n’existait pas de moyen moins risqué pour pénétrer dans le logis de l’électricien.
Les deux beaux-frères (je devrais écrire les deux faux frères) avaient exécuté un piège de grand style pour piéger l’apparte. Une puissance de charge formide concentrée sur la porte, depuis l’intérieur. Après l’avoir posée, ils s’étaient cassés par la fenêtre à l’aide d’une corde à nœuds et avaient poussé le raffinement jusqu’à piéger également la croisée en attachant un fil électrique à la poignée. Les pompiers se sont donc pointés par le toit. Ils ont ôté deux mètres carrés de tuiles, scié une trappe dans le plancher (qui constitue le plafond de la pièce du dessous, tu l’auras deviné). Heureusement que c’est une maisonnette à un étage, sinon tu imagines les travaux !
Ces préliminaires exécutés, les artificiers se sont laissés couler dans la chambre. Le Vieux était attaché sur le fauteuil Voltaire, ligoté si serré qu’il avait perdu connaissance. Par prudence, ils ne l’ont pas délivré avant d’avoir désamorcé ce bordel à cul. Tu imagines ce qui se serait passé si je n’avais pas eu ce coup de flair inouï, marque des grands policiers d’exception ? (Pas d’inquiétude pour mes chevilles : je porte des baskets ce matin).
Je débondais cette porte et l’immeuble volait en poussière. On ne retrouvait même plus mes testicules pour, au moins, pouvoir les exposer dans un bocal de formol à la fac de médecine !
Mais bon, je suis ce que je suis, et pas mécontent de l’être, comme le dit mon exquise consœur la baronne de Rothschild dont, au passage, j’effleure les jolis doigts de mes lèvres si fréquemment impures.
Grâce à la perspicacité du commissaire Santonio, plus exactement grâce à son instinct, l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire humaine (à savoir mon trépas) aura été évitée.
Des illuminés, tu parles si j’en ai rencontré, Xavier ! Des tordus en tout genre. Des passifs, des belliqueux (des belles queues), des mystiques, des ultra-violents, des qui voulaient sauter toutes les femmes et d’autres qui voulaient seulement faire sauter la planète. Des gars qui se prenaient pour Jésus, pour Napo, voire Apollon !