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— Ensuite ?

— On ne sait pas trop ce qu’il fait là-bas. Mais il est certain qu’il voyage dans les régions qui nous intéressent, notamment en République populaire de Mongolie.

La voiture remontait la nationale 13, sur la voie de gauche. Le soleil baignait les cimes des arbres rougeoyants, qui semblaient distiller dans l’air un brouillard pourpre.

Diane regardait distraitement les grilles des parcs, les vastes manoirs, les immeubles clairs, noyés sous les feuillages. Elle ne retrouvait plus la réalité et la précision de son périple de la veille. Le lieutenant de police continuait :

— En 1974, c’est le grand retour. Thomas frappe à la porte de l’ambassade de France, à Moscou. Le système soviétique l’a anéanti. Il implore le gouvernement français de l’accueillir de nouveau. A cette époque, tout est possible. Ainsi, ce transfuge qui est passé à l’Est cinq ans plus tôt demande l’asile politique… à son propre pays !

Langlois brandit le dossier, à la manière d’une pièce à conviction, tout en tenant son volant de l’autre main.

— Je vous jure que tout cela est véridique.

— Et… après ?

— Tout devient encore plus trouble. On retrouve Thomas, en 1977, devinez où ? Au sein de l’armée française, en tant que conseiller civil.

— Dans quel domaine ?

Langlois sourit.

— Il travaille, en qualité de psychologue, dans un institut de santé des armées, spécialisé dans la médecine aéronautique. En réalité, cet institut est une couverture pour accueillir et interroger les dissidents communistes qui ont demandé l’asile politique à la France.

Diane commençait à saisir le revirement de situation.

— Vous voulez dire que c’est lui qui interroge maintenant les transfuges soviétiques ?

— Absolument. Il parle russe. Il connaît l’URSS. Il est psychologue. Qui d’autre que lui pourrait mieux évaluer leur degré de franchise et de crédibilité ? En vérité, je crois qu’il n’a plus le choix. Il paye ainsi sa dette au gouvernement français.

Langlois se tut quelques secondes, reprenant son souffle, puis acheva son récit :

— Durant les années quatre-vingt, l’atmosphère commence à se détendre entre l’Est et l’Ouest. C’est le temps de la glasnost, de la perestroïka. Les autorités militaires lâchent la bride à Thomas, qui retrouve sa liberté. Il n’a même pas cinquante ans. Il vient d’hériter d’une colossale fortune familiale. Il ne reprend pas l’enseignement. Il préfère investir dans des toiles de maîtres et créer sa propre fondation, qui accueille aussi des expositions temporaires, comme celle de Mondrian en ce moment. Thomas ne cache plus son passé de transfuge. Au contraire, il donne des conférences sur les régions de Sibérie qu’il a visitées et sur ces peuples qu’il est un des rares Européens à connaître, notamment les Tsevens, l’ethnie de votre enfant.

Diane réfléchit. Ces informations tournoyaient dans sa tête. Les noms. Les faits. Les rôles. Chaque élément s’assemblait et amorçait une véritable logique. Elle finit par demander :

— Vous, que pensez-vous de tout ça ?

Il eut un haussement d’épaules.

— Je reviens à ma première théorie. Une histoire qui date de la guerre froide. Un règlement de comptes. Ou une affaire d’espionnage scientifique. Je le pense d’autant plus maintenant que je me suis penché sur le laboratoire nucléaire, là…

— Le tokamak ?

— Oui. D’après ce que j’ai compris, la fusion nucléaire n’est pas une technologie encore au point, mais c’est un truc très prometteur. Cette technique représente même l’avenir de l’énergie nucléaire.

— Pourquoi ?

— Parce que les centrales actuelles consomment de l’uranium et qu’il s’agit d’un matériau limité sur Terre. En revanche, la fusion contrôlée consomme des produits issus de… l’eau de mer. Autrement dit, un combustible illimité.

— Et alors ?

— Alors nous sommes en train de parler d’enjeux énormes, d’intérêts mondiaux. Dans cette affaire, tout tourne, à mon avis, autour des secrets du tokamak. Van Kaen a travaillé là-bas. Thomas a dû y passer, c’est certain, quand il voyageait en Mongolie. Et je viens d’apprendre que le patron du TK 17, Eugen Talikh, est lui aussi passé à l’Ouest, en 1978. Il s’est installé en France, avec la bénédiction de Thomas !

— Ça devient un peu compliqué pour moi.

— Ça devient compliqué pour tout le monde. Mais une chose est sûre : ils sont tous là.

— Qui ça, ils ?

— Les anciens membres de l’unité nucléaire. En France ou en Europe. J’ai lancé une recherche sur Eugen Talikh. Il a travaillé dans les premiers centres de fusion contrôlée qui se sont construits en France, dans les années quatre-vingt. Il est aujourd’hui à la retraite. Il faut qu’on le déniche au plus vite. Sinon je ne serais pas étonné de découvrir son cadavre quelque part, le cœur en charpie.

— Mais… pourquoi assassiner ces hommes ? Et pourquoi de cette façon ?

— Aucune idée. Je n’ai qu’une certitude : le passé refait surface. Un passé qui provoque non seulement ces meurtres mais oblige aussi les anciens savants à retourner là-bas.

Diane marqua sa surprise. Langlois dressa une nouvelle feuille photocopiée.

— On a retrouvé ces notes chez Thomas : des horaires de vols à destination de Moscou et de la République populaire de Mongolie. Il s’apprêtait lui aussi à partir en RPM. Comme van Kaen.

Diane sentait les effets des analgésiques redoubler. Elle interrogea, revenant à ses inquiétudes :

— Et mon fils adoptif ? Qu’a-t-il à voir avec tout ça ?

— Même réponse : aucune idée. J’ai creusé, à tout hasard, du côté de la fondation grâce à laquelle vous avez adopté Lucien…

Diane tressaillit :

— Qu’avez-vous trouvé ?

— Rien. Ils sont blancs comme neige. A mon avis, tout a été organisé à leur insu. Je pense qu’on a simplement placé l’enfant à proximité de l’établissement afin qu’il soit recueilli par eux.

Langlois tourna tout à coup sur la gauche et emprunta une voie rapide. Il passa une autre vitesse et s’engagea, à fond, sous un large tunnel, ponctué par des rangées suspendues d’hélices. Diane n’était plus certaine de ses hypothèses. Peut-être avait-elle tout faux. Peut-être cette affaire n’avait-elle rien à voir avec les prétendus pouvoirs de Lucien mais convergeait-elle plutôt vers les recherches nucléaires. Pourtant Langlois ajouta, comme pour réamorcer la piste de la parapsychologie :

— Il y a un dernier fait, chez Philippe Thomas, qui me chiffonne… Il semblerait que l’intellectuel était doué de pouvoirs psi.

Diane retint son souffle.

— C’est-à-dire ? demanda-t-elle.

— Selon plusieurs témoignages, il était capable de déplacer des objets à distance, de tordre le métal. Des trucs à la Uri Geller. Les spécialistes appellent ça la psychokinèse. A mon avis, Thomas était surtout un mec habile, un genre de manipulateur, et…

— Attendez. Vous voulez dire qu’il pouvait influencer la matière par la pensée ?

Le flic lança un coup d’œil amusé à Diane.

— J’aurais plutôt cru que cette idée vous ferait marrer. En tant que scientifique, vous…

— Répondez à ma question : il pouvait influencer la matière ?