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Elle tomba enfin sur une porte plombée, cernée d’acier, équipée d’un volant d’ouverture, comme celle d’un sas sous-marin. Au-dessus du chambranle, un sigle rouge, à demi effacé, était peint : l’hélice qui annonce, dans tous les pays du monde, la proximité d’une source de radioactivité.

Diane plaça sa torche entre ses dents et serra ses mains gantées sur le volant. A force d’efforts, elle parvint à le débloquer. S’acharnant encore, elle le déverrouilla complètement puis tira vers elle, muscles tendus, déchirant les joints de lichen le long du chambranle. La paroi s’écarta d’un coup puis coulissa latéralement le long d’un rail. Elle était stupéfaite : l’épaisseur du bloc — composé pour moitié de béton, pour moitié de plomb — devait excéder un mètre.

Le seuil franchi, une surprise l’attendait : le couloir était éclairé. Des tubes fluorescents diffusaient une violente lumière blanche. Comment l’électricité pouvait-elle fonctionner dans ce lieu ? Elle songea aux autres membres du tokamak. Des hommes étaient-ils déjà parvenus dans la rotonde ? Elle ne se voyait pas reculer maintenant. Pas aussi près du but.

Avec prudence, elle pénétra dans le cercle de pierre.

62

Diane se trouvait dans un couloir circulaire de quinze mètres de largeur. Au centre de cette artère, un conduit cylindrique courait, cercle dans le cercle, englouti sous des agglomérats de fils, de bobines, d’aimants. Au-dessus de cet assemblage, des arceaux magnétiques s’élevaient et paraissaient offrir un parrainage d’acier à cet étrange pipe-line. Tout, ici, semblait avait été conçu sous le signe du cercle, de la courbe, du tournant…

Elle s’approcha. Les câbles mêlés retombaient comme des lianes. Les bobines de cuivre s’égrenaient avec régularité le long du circuit. Elles luisaient d’une couleur rose vieilli qui distillait dans la bouche un goût de bonbon usé. Dessous, des géométries de métal noir soutenaient l’ensemble. Diane n’était qu’à quelques pas du conduit. Elle discernait, à travers la complexité des équipements, la coque d’acier lisse et noire, la chambre à vide, dans laquelle, jadis, le plasma avait approché la vitesse de la lumière, atteignant la température de fusion des étoiles.

Elle reprit sa marche prudente, s’efforçant de ne provoquer aucun bruit, aucun raclement parmi les gravats qui couvraient le sol. Elle ne s’était jamais sentie aussi minuscule, aussi misérable. Cette machine appartenait à une autre échelle, une autre logique. Diane éprouvait une angoisse confuse face à cet édifice entièrement forgé par la mégalomanie de l’homme — par cette volonté de violer les lois terrestres, de bouleverser la matière dans ses structures les plus profondes. Kamil avait évoqué Prométhée, le voleur de foudre. Gambokhuu avait parlé des esprits qui s’étaient vengés de l’audace des hommes. Quels qu’aient été les défis qui s’étaient joués dans cette rotonde, Diane comprenait que le tokamak avait été le théâtre d’une profanation, d’une bravade à l’égard de forces supérieures.

Elle marcha ainsi plusieurs minutes, suivant la courbe du couloir, puis songea à rebrousser chemin. Il n’y avait rien pour elle dans ce cercle. Ces délires technologiques ne lui offraient pas le moindre indice et… Le hurlement se déploya comme une vocifération de métal.

Elle plaqua ses mains sur ses oreilles. Aussitôt le cri se répéta avec plus de violence encore. C’était une onde aiguë, un tournoiement insoutenable. En état de choc, Diane comprit alors que la stridence n’était pas un hurlement mais un signal d’alarme : le tokamak était en train de se remettre en marche.

Telle une confirmation maléfique, une porte plombée qui creusait la paroi, sur sa droite, s’encastra violemment dans le mur et se verrouilla. Diane vit le volant tourner alors qu’un phare rouge s’allumait au-dessus du chambranle. Il lui semblait que l’anneau tout entier reprenait vie. En vérité, tous les sites à hauts risques fonctionnaient de la même façon : en cas d’alerte, la première mesure était d’isoler la zone dangereuse, de couper toutes les issues — quitte à sacrifier une présence humaine. C’était ainsi que les Tsevens avaient brûlé vifs. C’est ainsi qu’elle allait mourir.

Elle songea au sas qu’elle avait laissé ouvert. Elle tourna les talons et détala à toutes jambes. Elle courut, courut, courut, les yeux lacérés par les gyrophares, les oreilles violentées par l’alarme. Elle croisa plusieurs portes qui, à chaque fois, se bouclaient sur son passage. Avait-elle la moindre chance de courir plus vite que ce mécanisme de sécurité ?

Soudain un vrombissement frémit sous ses pieds : le circuit s’ébranlait. Les pensées s’affolèrent dans sa tête. Une onde électrique pouvait-elle se déclencher ? Restait-il des gaz de tritium dans la chambre à vide ? En combien de temps les atomes allaient-ils se transformer en un arc de plusieurs millions de degrés ? Elle courait toujours, le cœur en flammes, le long de l’anneau. Le grondement s’amplifiait. Le tremblement faisait osciller les parois, le sol, les câbles, se résolvant dans son corps en ondes de terreur. Enfin elle aperçut la porte par laquelle elle était entrée : elle était toujours ouverte. Au même instant, la paroi glissa sur son rail. Diane vit les poulies noires tournoyer, les gonds se déplacer latéralement, puis l’épaisseur de béton plombé se caler dans l’axe du chambranle.

Elle effectua un bond surhumain, passa dans l’entrebâillement et sentit l’angle de béton lui frôler les côtes. Elle buta contre le seuil d’acier, tomba, se blottit aussitôt contre la paroi qui venait de se verrouiller. A bout de souffle, à bout de pensées, elle ne cessait plus de hurler, trépignant des talons, frappant le sol de ses poings. La panique se libérait en elle — une panique qui venait de loin, de toutes les épreuves qu’elle avait déjà affrontées.

La secousse culmina et lui coupa la voix. Le mur parut tressauter sur son axe, à la manière d’une membrane d’enceinte sonore. Diane se recroquevilla encore, muscles noués, mâchoires serrées, sentant le sol se soulever en une vague puissante. Tout cela ne dura qu’un instant. Un fragment, un éclat de seconde. Puis le silence s’imposa, refoula la houle assourdissante de l’alerte. La sirène s’amenuisa. Le sol retrouva sa stabilité. Diane demeurait immobile, prostrée, les yeux fixes.

Lentement, des pensées se formèrent de nouveau dans son cerveau. Un fait, un murmure, montait, loin, très loin, du fond de sa conscience : tout était fini. La montée en régime du tokamak n’avait duré que quelques secondes. Les mécanismes de sécurité, vestiges d’une autre époque, avaient stoppé l’élan destructeur. Diane se rendit compte qu’elle envisageait le circuit thermonucléaire à la manière d’une entité autonome — bête ou volcan. La vérité était différente. Une main d’homme avait provoqué le nouvel arc électrique. Qui ? Et pourquoi ? Pour la tuer, elle ? Elle était trop lasse pour s’interroger davantage. Trop épuisée pour de nouvelles questions.

Elle s’arc-bouta et se releva. Elle remarqua alors que son poncho, sur le côté gauche, avait fondu. Elle l’arracha. Sa parka aussi était noircie, déchirée en une longue ouverture. Diane plongea sa main à l’intérieur de la faille et rencontra la laine polaire, les fibres de polyester. Brûlées elle aussi. D’un seul mouvement elle découvrit son flanc. De l’aine jusqu’à l’aisselle, sa peau croustillait encore des marques du feu. C’était un froissement rouge, qui striait sa chair et rappelait les gravures anatomiques d’écorchés. Diane ne comprenait pas. Et l’absence de douleur achevait de l’épouvanter.