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Langlois mit fin à sa déambulation devant Aldo :

— Si vous lui posiez la question, Morosini ? Vous êtes très proches l’un de l’autre !

— … sauf quand il est question de joaillerie ! Et c’est moi qui ai le troisième rubis. Il va me faire chanter !

— Et ça vous ennuierait vraiment ?

— Bof ! Au point où nous en sommes, si cela doit vous permettre d’en finir avec les exploits du personnage…

— Merci ! Un mot encore ? Selon les critères de Vidal-Pellicorne, le fils Hagenthal possède-t-il les mêmes arguments que son père ?

— Non. Il est plus jeune, évidemment, plus beau sans nul doute, et en outre il y a cette ressemblance hallucinante avec le Téméraire. Pour une âme romantique il a cent fois plus d’attraits que le responsable de ses jours Mais existe-t-il encore beaucoup d’âmes romantiques ?

Les yeux gris du policier se plantèrent droit dans ceux d’Aldo qui ne se détournèrent pas quand il insista :

— Au moins… une peut-être ?

— Peut-être…

— Alors ramenez vos dames à Paris le plus tôt que vous pourrez ! Il est temps de quitter le rêve pour revenir à la réalité…

— Devez-vous vraiment partir ? se désola Mlle Clothilde. Moi qui m’étais tellement réjouie de vous faire découvrir notre beau pays ! Vous n’en n’avez pas vu le quart de la moitié ! Et le prince Morosini et mon frère n’avaient-ils pas projeté certaine exploration de grottes je ne sais où ?

— Ils n’y ont pas renoncé et ce n’est que partie remise, répondit Tante Amélie en glissant son bras sous celui de l’aimable femme. Mais il faut à tout prix que nous rentrions à Paris et qu’Aldo puisse au moins aller faire un tour à Venise où on le réclame à cor et à cri. Mais nous reviendrons, je vous le promets ! On n’oublie pas une hospitalité telle que la vôtre !

— C’est vrai ?

Elle semblait prête à pleurer et la vieille dame se pencha pour l’embrasser :

— Il se pourrait même que vous nous trouviez envahissants !

— Oh, ça jamais !

— Ne vous aventurez pas trop ! On voit que vous ne connaissez pas la redoutable petite famille d’Aldo ! Ses trois gamins sont adorables, mais parfois éprouvants ! Enfin, il y a Lisa, sa femme, qui aimerait vous connaître !

— Oui ? Comment est-elle ?

— Très belle, très maternelle… et parfois un brin trop suissesse ! Mais cela fait partie de son charme. Vous voyez que ce n’est pas un adieu ? Ce n’est qu’un « au revoir », comme chantent les Américains.

— Il n’empêche que la maison va me paraître vide !…

Ce n’était pas là eau bénite de Cour. Mlle Clothilde semblait s’être attachée sincèrement à ses visiteurs inattendus. Si Mme de Sommières l’impressionnait bien un peu, Plan-Crépin et ses multiples talents s’étaient attiré son amitié. Avec cette drôle de fille, on ne voyait pas passer le temps ! Quant au tandem Aldo-Adalbert, elle n’aurait su dire auquel allait sa préférence. Et, au fond, Hubert était le seul à ne pas lui inspirer de regrets. Il avait une façon de ricaner en exhibant ses dents chevalines qu’elle jugeait malsaine. Surtout quand elle s’était avisée, par un splendide crépuscule, de le suivre au fond du parc jusqu’à une éminence dominant le lac au sommet de laquelle il s’était campé pour lancer aux quatre coins de l’horizon une espèce de cri de guerre. Quelque chose comme « Ho huc ! » qui lui avait glacé le sang. Elle s’en était ouverte à Adalbert qu’elle jugeait le plus accessible de la famille… et il avait éclaté de rire :

— Ne me dites pas que votre frère ne vous a jamais parlé des études étendues que notre joyeux Professeur a consacrées aux Celtes ? Il est même devenu plus ou moins druide à Chinon.

— Hein ? Druide ?

— Eh oui ! Il en a survécu davantage que l’on ne pourrait le croire ! Quant à Hubert, il ne peut voir un monticule planté d’arbres, colline, montagne ou Dieu sait quoi sans l’escalader à dates fixes pour lancer, au coucher du soleil, leur vieil appel à se rejoindre.

— Partout où il va ?

— Je ne suis pas sûr qu’il n’ait pas essayé, une nuit de pleine lune, sur la butte Montmartre. Ça n’a pas marché parce que, m’a-t-il confié, le Sacré-Cœur est trop encombrant ! Cela dit, il n’est pas dangereux !

— Il me semble pourtant avoir entendu évoquer des sacrifices humains à propos de ces illuminés ?

— Surtout ôtez-vous ça de l’idée ! Mon cher vieux Professeur est incapable d’égorger même un poulet ! Il y en a dans sa propriété, mais sa cuisinière prétend que, lorsqu’elle veut en mettre un à la broche, il l’envoie acheter un gallinacé inconnu chez le volailler sous le prétexte qu’il a horreur de manger des gens qu’il connaît ! Alors vous voyez !

N’importe, c’était Hubert qu’elle regretterait le moins !

Vint le jour du départ que l’on fit suffisamment bruyant pour que nul n’en ignore. À la grande satisfaction des inspecteurs Durtal et Lecoq laissés « sous couverture » par Langlois. Et aussi de ceux-ci qui avaient tendance à trouver un peu trop spectaculaires ceux que Lisa appelait « le gang ».

Jamais voyage ne fut plus silencieux en dépit des efforts d’Adalbert pour recréer l’habituelle atmosphère familiale. En dépit de ses tentatives, il était évident que Plan-Crépin refoulait ses larmes et que cette attitude si nouvelle de sa part entretenait chez Mme de Sommières une nervosité latente.

Pendant le déjeuner, elle demanda à Aldo s’il comptait rester quelque temps à Paris. Ce qu’elle espérait de tout son cœur, la pensée d’un long tête-à-tête avec une Marie-Angéline éplorée ne lui souriant guère, même si elle la comprenait.

— Quelques jours, oui. Guy m’a dit au téléphone avoir envoyé deux catalogues de ventes imminentes à Drouot. Ensuite j’appellerai Moritz pour qu’il ait la bonté de rapatrier ma tribu sur son char volant. Louise Timmermans vient, paraît-il, de repartir pour Bruxelles s’occuper de sa fille.

— Elle va mieux ?

— Personne n’en sait rien. Pas même les médecins, mais Agathe n’en demeure pas moins sa fille. Et je pense qu’elle va faire l’impossible pour la tirer de ce mauvais pas.

— C’est on ne peut plus normal ! commenta Adalbert. Quel gâchis en attendant ! J’irai à Uccle un de ces jours. Louise s’était montrée une si bonne amie, au moment de l’affaire de Biarritz, et je ne lui ai plus donné de nouvelles ! J’ai un peu honte !

— Sois gentil de faire attention où tu mettras les pieds ! N’oublie pas que la douce Agathe a malgré tout essayé de te faire enlever ! J’ai envie de t’accompagner avant de rentrer chez moi !

Marie-Angéline, elle, gardait le silence et il n’y avait pas lieu de s’en étonner, cependant tous éprouvaient la même impression d’inachevé, presque d’avoir perdu son temps ! L’au revoir des Vaudrey-Chaumard renforçait cette impression. Les yeux de Mlle Clothilde étaient mouillés quand elle avait embrassé ses nouvelles amies. Quant à son frère, il avait lâché un soupir à déraciner un arbre en baisant la main de Tante Amélie. Enfin, pour ce qui était d’Hubert, il avait pris un train, la veille, « pour ne pas encombrer », visiblement d’une humeur de dogue. Les échos des forêts comtoises n’avaient sans doute pas répondu de façon satisfaisante à ses appels !

Dès leur retour, les habitantes de la rue Alfred- de-Vigny et associés se réintroduisirent dans leurs habitudes comme on rentre dans ses pantoufles le soir venu – l’impression de soulagement en moins.

Plan-Crépin se retrouva à la messe de six heures à Saint-Augustin à l’intense satisfaction, vite déçue d’ailleurs, de ses informatrices habituelles. Afin d’éviter trop de questions, elle se déclara patraque. C’était une bonne idée car l’avis unanime fut qu’elle n’avait vraiment pas bonne mine, ce qui était surprenant après un séjour dans une région particulièrement salubre.