Выбрать главу

Le gendarme qui la reçut était jeune, sportif, blond et rasé ras du crâne au menton. Son bureau était décoré de divers fanions et écharpes de clubs de rugby.

Auch. Albi. Castres…

Aucun club corse.

— Capitaine Cadenat, fit le gendarme en tendant la main à Clotilde.

Après l’avoir écoutée, le flic glissa vers elle la déclaration de vol de papiers d’identité avec un air désolé face à la surenchère de paperasse à remplir. Il avait un franc sourire qui n’avait rien de militaire. Plutôt de bidasse détaché chez les gendarmes et content d’échapper au service militaire.

Clotilde lui relata les circonstances du vol, le coffre fermé, le portefeuille néanmoins disparu, l’absence d’effraction. Au-dessus du sourire butineur du gendarme s’envolèrent deux yeux papillons, iris bleu et paupières affolées.

Le gendarme se leva, observa le phare de la Revellata qui se trouvait dans la perspective directe de sa fenêtre. Le capitaine de gendarmerie possédait une carrure fine et élancée de trois-quarts aile.

— Cervone Spinello ne va pas être content qu’on débarque chez lui. Généralement, il préfère régler les affaires de son camping lui-même. Mais si vous tenez à ce que j’enquête…

Clotilde hocha la tête.

Oui, elle voulait. Rien que pour emmerder Cervone.

Le trois-quarts repositionna d’un geste maniaque le fanion du CA Brive accroché au mur.

— Pour tout vous avouer, mademoiselle, je ne suis en poste que depuis trois ans et j’ai encore du mal à comprendre la façon dont ça fonctionne, ici. Je suis du Sud, pourtant… Cadenat… Drôle de nom pour un flic, je sais, mais pas pour un Biterrois. Jules Cadenat, mon arrière-grand-père, était le plus puissant deuxième ligne de France avant la guerre. Je me plains pas d’avoir été affecté à Calvi, remarquez, je suis même devenu quadrilingue maintenant, français, anglais, occitan et corse! C’est une chouette île. De chouettes gens. Y a juste qu’ils sont vraiment nuls en rugby!

Il éclata de rire tout en vérifiant les documents que Clotilde venait de remplir.

Nom de famille

Baron

Nom de jeune fille

Idrissi

Prénom

Clotilde

Profession

Avocate. Droit des familles

Il posa la question suivante presque par réflexe.

— Vous êtes corse?

— Oui. De cœur, je crois.

— De la famille de Cassanu Idrissi?

— Je suis sa petite-fille.

Cadenat marqua un temps d’arrêt.

— Ah…

Le papillon s’était posé sur un cactus! Le trois-quarts se figea tel un flic devant qui on prononce le nom de Vito Corleone. L’instant d’après, il tamponnait d’une poigne énergique les documents administratifs. Le dernier coup d’encre resta suspendu en l’air. Le flic leva lentement le regard vers Clotilde. Un regard de compassion. Le papillon avait quitté le cactus pour une rose.

— Putain que je suis con.

— Pardon?

Le capitaine bafouilla tout en jouant avec le tampon encreur entre ses doigts.

— Vous êtes la…

Il cherchait le mot juste. Clotilde devina ceux qu’il ne voulait pas prononcer.

La survivante.

La miraculée.

L’orpheline.

— Vous êtes la fille de Paul Idrissi, parvint tout de même à enchaîner le gendarme. Votre père est mort dans l’accident de la route à la Revellata, ainsi que votre mère et votre frère.

Les pensées de Clotilde se bousculaient. Cet Occitan n’était en poste dans l’île que depuis trois ans. L’accident s’était déroulé vingt-sept ans auparavant… Depuis, des dizaines d’autres accidents, tout aussi mortels, avaient dû se produire sur ces routes serpentantes et venimeuses. Alors, pourquoi ce jeune flic connaissait-il précisément le…

Le gendarme interrompit le flux de ses pensées.

— Le sergent est au courant que vous êtes là?

Le sergent?

Cesareu?

Cesareu Garcia?

Clotilde se souvenait assez précisément de ce gendarme qui avait conduit l’enquête sur l’accident de ses parents. Cesareu Garcia. De son calme bonhomme, de sa pudeur délicate dans les questions qu’il lui avait posées sur son lit d’hôpital. De son physique aussi épais que sa voix était douce. Deux chaises pour s’asseoir et une boîte entière de kleenex pour s’éponger le front et le cou pendant les trois heures qu’avait duré l’entretien à l’Antenne médicale d’urgence de Balagne.

Elle se souvenait aussi de sa fille, bien entendu, une des ados de la bande du camping des Euproctes, Aurélia Garcia, la rabat-joie de la tribu.

— Non, répondit-elle enfin. Je ne crois pas. Cervone Spinello m’a appris qu’il était en retraite.

— Oui… depuis quelques années. Je suppose que vous vous souvenez de lui. On n’oublie pas un physique comme le sien! Il aurait fait un pilier de mêlée d’enfer, si ces abrutis de Corses savaient qu’un ballon peut aussi être ovale. Pour vous dire, depuis sa retraite, il continue de prendre dix kilos par an.

Le trois-quarts s’approcha plus encore de Clotilde. Le papillon tremblait, comme s’il se méfiait d’une plante jolie, mais carnivore.

— Mademoiselle Idrissi, il faut que vous alliez le voir.

Clotilde le fixa en retour, sans comprendre.

— Il habite à Calenzana. C’est important, mademoiselle Idrissi. Il m’a beaucoup parlé de cet accident avant de quitter la brigade. Il a continué d’enquêter sur ce drame, après, des années après. Il faut aller lui parler, mademoiselle. Cesareu est un type bien. Bien plus malin que les gens d’ici ne le croient. A propos de l’accident, il a… comment vous dire…

— Quoi? fit Clotilde en haussant le ton pour la première fois.

Le papillon battit une dernière fois des ailes avant de s’envoler.

— Il a une théorie.

11

Il ouvrit le cahier.

Il n’aimait pas ce qu’il allait lire.

Il le fallait pourtant.

Pour nourrir sa haine.

* * *

Dimanche 13 août 1989, septième jour de vacances,

ciel bleu de nuit

Ce soir, c’est bal.

Je vous préviens tout de suite, j’en suis pas la reine!

Je suis installée un peu à l’écart, un peu dans l’ombre, assise dans le sable, mon livre posé sur les genoux.

Faut voir ça…

Quand je parle de bal, c’est juste une boum improvisée dans le camping avec trois guirlandes et le gros lecteur de cassettes qu’Hermann a emprunté à son père, posé sur une chaise en plastique. Nicolas a ramené les cassettes de chansons du top 50 qu’il a enregistrées directement à la radio, on a même droit aux jingles et aux pubs entre les tubes.

Surtout un.

THE tube!

Le tube dont fort heureusement, mon lecteur du futur, tu n’as jamais entendu parler car il va disparaître des mémoires aussi vite qu’il les a vampirisées cet été.

Un truc de fou. On appelle ça la lambada.

Plus qu’une chanson, c’est une danse. Ça consiste pour le garçon à fourrer sa cuisse entre celles de la fille. Contre son minou, pour dire les choses clairement.

Vrai de vrai.

Qu’il y en ait un qui essaye avec moi, tiens…

Ça risque pas d’arriver, remarquez. Quel garçon de mon âge pourrait en avoir envie? Avec une naine comme moi… C’est pas son bas-ventre qu’il collerait contre mon minou, c’est son genou! Alors je reste là sur mon coussin de sable habillée en sorcière et je lis Les Liaisons dangereuses.