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Bran procédait de gargouille en gargouille avec l’aisance d’un familier de longue date quand des éclats de voix, juste sous ses pieds, faillirent lui faire lâcher prise. Il n’avait jamais connu le donjon que désert.

« Je n’aime pas cela », disait une femme. La voix provenait de la dernière des fenêtres qu’il surplombait. « C’est toi qui devrais être Main du Roi.

— Les dieux m’en préservent…, répliqua un homme d’un ton languissant. Je ne voudrais pas d’un pareil honneur. Il m’accablerait de besogne. »

En suspens sur le vide et tout ouïe, Bran s’affola. Poursuivre ? Il n’y fallait songer. On risquait d’apercevoir ses pieds, au passage.

« Mais ne vois-tu pas dans quel guêpier cela nous met ? reprit la femme. Robert l’aime comme un frère.

— Bah ! Robert peut à peine gober ses véritables frères. Loin de moi, d’ailleurs, l’idée de l’en blâmer. La seule vue de Stannis donnerait une indigestion.

— Ne fais pas l’idiot. Stannis et Renly sont une chose, Stark en est une autre. Rien à voir. Robert écoutera Stark. Les maudits ! Que n’ai-je exigé ta nomination, au lieu de me persuader que Stark refuserait… !

— Estimons-nous plutôt chanceux. Le roi aurait pu désigner l’un de ses frères ou, pire encore, Littlefinger et, alors, sauve qui peut ! Qu’on me donne pour ennemis des gens d’honneur plutôt que des ambitieux, voilà qui ne troublera pas mon sommeil. »

Mais c’est de Père qu’on parlait ! Dans son désir d’en savoir davantage, Bran se fut volontiers avancé de quelques pieds encore…, mais comment se flatter qu’alors on ne le verrait pas ?

« Il nous faudra le surveiller de près, dit la femme.

— Je serais plus tenté de te surveiller, toi, grogna l’homme d’un ton d’ennui. Cesse de rêver. »

Elle s’obstina. « Stark ne s’est jamais intéressé si peu que ce soit à ce qui se passait au sud du Neck. Jamais. Crois-moi, il mijote quelque chose contre nous. Pour quoi d’autre délaisserait-il le siège de sa puissance ?

— Pour cent raisons. Le devoir. L’honneur. Il brûle de tracer son paraphe en travers des pages de l’Histoire, ou bien de rompre avec sa femme, peut-être les deux. S’il n’aspire tout bonnement à cesser enfin de grelotter.

— Sa femme est la sœur de lady Arryn, je te signale…, et je trouve miraculeux que celle-ci ne se soit pas déplacée pour nous souhaiter la bienvenue par ses accusations. »

Un peu plus bas, Bran s’aperçut qu’un maigre ressaut, quelques pouces à peine, jouxtait la fenêtre. Il voulut descendre jusque-là. Trop loin. Inutile d’insister.

« Arrête de te ronger… ! Ta Lysa n’est qu’une grosse vache apeurée.

— Une grosse vache qui couchait avec Jon Arryn.

— Si elle savait quelque chose, elle serait allée trouver Robert avant de filer.

— Alors qu’il avait déjà consenti à prendre pour pupille son avorton ? Je n’en crois rien. C’eût été troquer son silence contre la vie de l’enfant. Maintenant qu’il est à l’abri dans le nid d’aigle des Eyrié, libre à elle de s’enhardir.

— Mères que vous êtes ! » La façon dont l’homme prononça ces mots les faisait sonner comme une imprécation. « Mettre au monde vous détraque toutes. Toutes folles. » Il se mit à rire. D’un rire aigre.

« Laisse-la s’enhardir tant qu’elle voudra. Quoi qu’elle sache, quoi qu’elle se figure savoir, elle n’a pas de preuve. » Il reprit au bout d’un moment : « Elle n’en a pas, n’est-ce pas ?

— Le roi n’aurait que faire de preuves. Je te le répète, il ne m’aime pas.

— A qui la faute, sœur de mon cœur ? »

Bran en revenait toujours au ressaut. Terriblement risqué. Son étroitesse interdisait d’y atterrir mais, en se laissant glisser, ne serait-il pas possible de s’y accrocher au passage, puis de se hisser dessus… ? Cela risquait de faire du bruit et d’attirer les autres à la fenêtre. S’il n’était pas sûr de bien entendre la conversation, il savait pertinemment que ses oreilles ne bourdonnaient pas.

« Tu es aussi aveugle que Robert, disait la femme.

— Si tu veux dire que je vois la chose sous le même angle, j’en suis d’accord. Cet homme aimerait mieux mourir que de trahir son roi.

— Il en a déjà trahi un, l’aurais-tu oublié ? Oh…, je ne mets pas en doute sa loyauté vis-à-vis de Robert, elle crève les yeux. Seulement, qu’en serait-il si Joffrey montait sur le trône – et le plus tôt sera le mieux pour notre sécurité à tous – ? L’aversion de mon mari s’aggrave de jour en jour. La présence de Stark à ses côtés ne fera que la redoubler. La passion qu’il avait pour la sœur, cette gourde morte à seize ans, il ne l’a jamais oubliée. Combien de temps mettra-t-il pour se décider à me congédier en faveur de quelque nouvelle Lyanna ? »

Horrifié, Bran n’eut tout à coup plus qu’un seul désir, revenir en arrière, aller trouver ses frères. Mais que leur dire, alors ? Il lui fallait auparavant se rapprocher, voir qui parlait, là.

L’homme soupira : « Si tu pensais moins au futur et davantage aux plaisirs à portée de main ?

— Veux-tu bien… ! » s’exclama la femme, tandis que retentissait quelque chose comme le choc de deux chairs, suivi par le rire de l’homme.

Bran alors se hissa jusqu’à la gargouille, l’enjamba, rampa jusque sur le toit, toutes choses enfantines, pour lui, longea le toit jusqu’à la gargouille suivante, juste à l’aplomb de la fenêtre d’où sortaient les voix.

« Toute cette conversation m’assomme ! disait l’homme. Viens çà, ma sœur, un peu de calme… »

Bran se mit à califourchon sur la gargouille, referma ses jambes sur elle et se laissa plonger, tête en bas. Vu à l’envers, le monde prenait un aspect singulier. Encore humide de neige fondue, une cour barbotait sous lui, vertigineusement.

Il regarda par la fenêtre.

A l’intérieur, l’homme et la femme luttaient, nus tous deux. Qui pouvaient-ils être ? De dos, l’homme masquait entièrement la femme. Il la plaqua contre le mur, et une espèce de clapotis doux fit enfin comprendre à Bran que les inconnus s’embrassaient. Il les regarda, effaré, tout yeux, le souffle coupé. L’homme avait l’une de ses mains entre les cuisses de la femme, et cela devait la blesser, car elle se mit à geindre tout bas, d’un râle de gorge. « Arrête, dit-elle, par pitié… », mais d’une voix mourante, et sans le repousser. D’elles-mêmes, ses mains s’enfouirent dans les cheveux de toison d’or, et le forcèrent à s’incliner vers sa poitrine.

Les yeux clos, la bouche ouverte, elle gémissait toujours. Sa chevelure oscillait au gré du balancement de sa tête ainsi qu’une houle d’or. La reine !

Un léger bruit dut l’alerter, car elle ouvrit soudain les yeux et les fixa droit sur Bran en poussant un cri.

La suite ne fut qu’un éclair. Repoussant brutalement l’homme, la femme. Hors d’elle, désignait Bran. Il tenta de se redresser, se cambra désespérément pour empoigner la gargouille, mais sa précipitation le desservit, sa main dérapa sur la pierre, la panique lui fit desserrer les jambes, et il se sentit brusquement tomber. Dans un vertige nauséeux, il s’entrevit dépasser la fenêtre, lança sa main vers le ressaut, le saisit, le lâcha, le rattrapa de l’autre main, se meurtrit en se balançant contre la façade. Le souffle coupé par le choc, il pendait-là, pantelant, retenu par une seule main.

Au-dessus, deux têtes se penchèrent.

C’était bien la reine. Et maintenant, Bran reconnaissait l’homme. Aussi semblable à elle que le reflet dans le miroir.

« Il nous a v us ! piaula-t-elle.

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