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— Votre jeune épouse est toujours à Saint-Denis ?

— Je le pense. La reine m’a fait savoir… et a fait savoir à Madame Louise qu’elle la prenait sous sa protection toute spéciale. Vous savez que Sa Majesté exige qu’elle y subisse ce que l’on pourrait appeler un temps de probation. Étant donné la gravité de la faute commise, je n’ai pas le droit de m’y opposer… si pénible que ce soit ! Au moins, elle est à l’abri…

— Bah ! les retrouvailles n’en seront que meilleures… d’autant que vous ne souffrez pas outre mesure de solitude.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’une bien jolie femme s’intéresse à vous… que cela se sait en dépit de l’extrême discrétion que vous déployez tous deux en toutes circonstances… enfin en presque toutes car je crois bien l’apercevoir là-bas de l’autre côté de la salle, avec un ravissant chapeau à plumes bleues. Elle se livre à toute une agitation pour attirer votre attention.

Suivant la direction que lui indiquait son ami, Gilles aperçut, en effet, Mme de Balbi. Avec deux autres jolies femmes et autant d’hommes elle occupait quelques-uns des sièges réservés à la bonne société parisienne et aux familles des magistrats. Elle avait apporté une lorgnette, comme au théâtre, et la tenait braquée obstinément dans la direction du jeune homme. Pour bien marquer qu’il l’avait vue, il lui sourit et la salua puis cessa de s’en occuper, choqué, justement, par le côté divertissement que prenait la conclusion d’un drame à l’échelle nationale. Anne était une maîtresse adorable. Il aimait son corps, sa science de la volupté, sa gaieté et parfois, auprès d’elle, il lui arrivait de rêver d’une vie dans laquelle Judith ne serait jamais entrée. Mais son cœur jusqu’à présent n’avait pas encore appris à prononcer un autre nom.

La salle se remplissait et s’illuminait peu à peu des rayons du soleil. Elle prenait un air de fête avec les toilettes estivales des femmes, les tissus clairs des hommes.

— Ce jugement est une lourde bêtise ! grogna Beaumarchais. Il faut que la reine soit folle pour l’avoir exigé. Si la Cour n’accepte pas les conclusions que va déposer tout à l’heure le procureur du roi, conclusions qui sont le reflet même de la volonté royale, si elle rend un autre jugement, le roi est bafoué, la reine vilipendée.

— Pourquoi donc le jugement serait-il différent ? Le Parlement a accepté les lettres patentes que lui a fait tenir le roi au début de l’instruction, il doit donc en suivre l’esprit. Tenant pour avérés tous les faits dont a eu à se plaindre le ménage royal il n’est là que pour rechercher jusqu’à quel point la majesté royale a été offensée ?

— Tout à fait d’accord ! L’achat du collier, l’escroquerie n’étaient pour les coupables que des moyens et le grand fait qui domine cette triste affaire est celui-ci : que les La Motte aient eu l’audace de feindre que la nuit, dans l’un des bosquets de Versailles, la reine de France, la femme du roi ait donné un rendez-vous au cardinal de Rohan et que, de son côté, le cardinal, grand officier de la Couronne, ait osé croire que ce rendez-vous lui ait été donné par la reine de France, par la femme du roi, là est le seul crime pour lequel les coupables doivent être punis car il est de lèse-majesté. Reste à savoir comment ces messieurs du Parlement jugeront car, outre qu’ils n’aiment guère Versailles, ils sont fort sollicités. Et tenez, regardez donc ce qui nous arrive !

Ce qui arrivait c’était une vingtaine de personnes, toutes de très haute mine, toutes en grand deuil. Tandis qu’elles s’avançaient lentement dans la salle, le silence, un profond silence s’établit. Les assistants venaient de se rappeler brusquement pour quelle raison ils étaient là.

— Les Rohan ! murmura quelqu’un.

C’étaient, en effet, les Rohan : princes, princesses, un maréchal de France et même un archevêque, qui s’en venaient, par leur présence, soutenir celui des leurs, le Grand Aumônier de France, qu’une bande de robins allait juger de par la volonté royale. Calmement, au seul bruissement des longues robes de soie noire, ceux qui, tous, portaient sur leurs armes la fière devise « roi ne puis, prince ne daigne, Rohan suis !… » vinrent se ranger comme ils l’auraient fait à la Cour, de chaque côté du passage par lequel allaient entrer les juges et ne bougèrent plus, attendant, très droits et impassibles, que viennent ceux dont dépendait désormais l’honneur de leur antique maison.

Soudain, comme l’horloge du palais sonnait six heures, ils apparurent, longue file rouge et noire sur laquelle neigeaient l’hermine des collets et la poudre des hautes perruques à la mode du Grand Siècle. Alors, comme sur un mot d’ordre muet, les Rohan d’un seul mouvement s’inclinèrent, plongèrent en une muette révérence devant ces hommes dont le plus noble n’atteignait pas au quart de leur grandeur mais qui tenaient entre leurs mains l’avenir d’une des plus hautes familles d’Europe.

— Impressionnant ! murmura Beaumarchais. Les juges ne peuvent pas ne pas être touchés…

Gilles, pour sa part, éprouvait une sorte de colère mêlée de honte. Son sang breton renâclait au spectacle de l’humiliation que s’imposaient ces princes qui étaient les siens, les plus nobles qu’ait jamais connu la Bretagne. Mais déjà, après leur avoir rendu leur salut, le président d’Aligre avait pris sa place et déclaré ouverte cette dernière audience. Elle allait commencer par un dernier interrogatoire des prisonniers4.

Au milieu du prétoire on avait disposé un petit siège bas, en bois brut, sur lequel devaient prendre place les accusés. C’était déjà une marque d’infamie que s’y asseoir car il avait servi à nombre de criminels qui ne l’avaient quitté que pour l’échafaud. On l’appelait la Sellette.

Le premier qui parut fut le secrétaire-amant de Mme de La Motte, le fameux Reteau de Villette avec lequel Tournemine avait eu plus d’une fois maille à partir. Toujours aussi élégamment vêtu, il fut égal à lui-même : faux, retors et infâme. Alors que les fameuses lettres de la reine au cardinal étaient toutes sorties de sa plume de faussaire il consentit seulement à reconnaître avoir apposé, sur le contrat d’achat du collier, le mot « Approuvé » à plusieurs reprises et la signature « Marie-Antoinette de France » qui était d’ailleurs un faux criant, la reine étant d’Autriche et ne signant jamais autrement que « Marie-Antoinette ». Après quoi il se lança dans une longue et filandreuse diatribe contre le cardinal qu’il chargea odieusement tout en pleurant comme une fontaine…

— Si cet homme n’est pas pendu ou condamné aux galères à perpétuité, je le tuerai ! gronda Gilles hors de lui.

— Ne rêvez pas ! fit Pierre-Augustin. Il sera l’un ou l’autre. Auteur de faux écrits de la reine il mérite au moins ça !… Mais chut ! Voici l’héroïne.

En effet, Jeanne de La Motte venait de succéder à Reteau et un murmure courut parmi les femmes de l’assistance. Vêtue avec une grande élégance d’une robe de satin gris-bleu bordée de velours noir avec une ceinture brodée de perles d’acier et un mantelet de mousseline orné de fort belles dentelles de Malines, elle portait avec assurance un grand chapeau de velours noir garni de dentelles noires et de nœuds de ruban sur la masse parfaitement coiffée de ses cheveux bruns légèrement poudrés.

La ressemblance de cette femme avec Judith parut à Tournemine plus évidente que jamais et lui serra le cœur. Il ferma les yeux pour ne plus la voir se contentant de l’entendre, ce qui était déjà bien suffisant car, d’entrée et d’une voix claironnante, elle commença par annoncer qu’elle était là pour confondre un grand fripon et que ce fripon était le cardinal. Interrogée par l’abbé Sabatier, l’un des conseillers-clercs, elle répondit avec une rare impudence, réclamant que l’on produisît les lettres et les écrits qui, selon elle, établissaient de façon certaine les relations intimes entre la reine et le cardinal, ce qui était impossible, le cardinal ayant, dès l’instant de son arrestation, fait détruire par son secrétaire le contenu de certaine cassette qui se trouvait dans sa chambre. L’interrogatoire dura longtemps mais l’attitude fanfaronne de Jeanne déplaisait visiblement à la foule qui gronda de temps à autre et, quand elle se retira, ce fut un soulagement pour tout le monde…