II me flashe de ses gros lotos. Je lui offre les miens. On s'arrache les regards pour reprendre des mines angéliques.
La chère artiste, on lui fait insidieusement déballer sa prestation à Damas. Les invités en uniforme ou en habit. Ces joyaux que portaient les dames, dont beaucoup étaient loquées à l'orientale. La haie de cavaliers sur leurs dromadaires en sellerie d'apparat, fusils damasquinés dans le dos. La piscine de la Résidence recouverte d'un plancher pour servir de piste de danse. Des chiées de spots dans chaque arbre. Bref : Les Mille et Une Nuits.
La charmante fille a des extases d'adolescente. Elle doit renouveler son abonnement à De Tout Cœur, le magazine de la jeune fille masturbée.
Comme elle est vachement sympa et agréable de partout, on lui propose de la revoir demain pour un apéritif au bar de notre hôtel (qui se trouve être également le sien). Elle accepte. Lequel de nous deux a un ticket ? Difficile à décider. Elle se comporte pareillement avec Jérémie et avec moi. Peut-être ni l'un ni l'autre, après tout. Juste qu'elle nous trouve sympas. Le blanc et le noir, ça crée une sorte d'équilibre, d'harmonie. Beaux serre-livres pouvant accessoirement servir de serre fesses !
On la quitte, charmés. Demain sera un autre jour.
Taxi roulant, on échange nos impressions.
— Que penses-tu de cette souris ? Murmure M. Blanc.
— Jugement positif. C'est quelqu'un de spontané et de séduisant. A ce propos, tu aimerais te l'emplâtrer ?
Il ronchonne :
— Ca m'étonnait de pas encore avoir eu droit aux dégueulasseries d'usage ! Toi, mon vieux, t'es chié ! Tu parles d'un cas ! Tout terrain, comme un camion de l'armée ! Tu ramones la vieille colonelle et à présent t'es prêt à t'envoyer la danseuse orientale ! Mais, Seigneur, je finirai par t'interdire ma porte, de crainte que t'importunes ma chère Ramadé !
— La femme d'un pote ! Je m'en voudrais !
— Dis plutôt que t'as pas envie d'une négresse, espèce de forniqueur !
— Conclusion, Kamala Safez ne t'incite pas à l'adultère ?
— J'aime mon épouse, moi, mon vieux. Je sais bien que pour vous autres gorets en rut, ça paraît con, mais j'ai pas honte.
— Tartine pas, simplement je voulais éviter un conflit particulier entre nous. Puisque t'es pas partant, je me la ferai donc ! tranché-je (et c'est le cas de le dire) après l'avoir séduite.
— On ferait mieux de parler de la Résidence, murmure l'Ebène.
C'est vrai : on ferait mieux. J'ai vu que tu as tiqué, toi aussi.
Il acquiesce.
Curieux, ce que je ressens, mon vieux. D'un côté, j'ai l'impression qu'on tient une piste et qu'on a bien fait de parler à cette femme ; de l'autre, j'ai l'intime conviction qu'elle n'est pour rien dans ton aventure.
Telle est également ma double conviction, mon cher Othello.
Il refuse de boire l'ultime à l'hôtel et on grimpe se coucher.
CHAPITRE VII
L'orchestre musette attaque un tango. Béru ne peut pas résister. Il dit à Alfred, le coiffeur :
— Tu permettrais-t-il que je fisse danser la Grosse ?
Magnanime, Alfred opine, mais sans grand enthousiasme. Alors le Mastar se lève et présente ses abattis à celle qui est encore son épouse devant la loi, mais qui, désormais, habite avec le vieil aminche du ménage en attendant que le divorce soit prononcé.
Un couple monumental, gras de partout, se forme qui part à la conquête de Vincent Scotto pour aller piétiner sa musique immortelle.
— Écrase-moi pas les paturons, je te prille ! recommande la mégère.
— La corpulerie empêche pas la souplesse, rétorque Alexandre-Benoît.
Il enlace sa demi-tonne de boustifailles assimilées, prend un air d'ailleurs, la lèvre supérieure en tuile romaine et le regard bridé par la concentration.
Avec des rouflaquettes et une moustache effilée, il ferait Argentin, le Mahousse.
Les voilà partis en gambille. D'autres couples les rejoignent qui les happent par intermittence.
Je demande à Alfred :
— Ça marche les amours avec Bertha ?
Il hausse les épaules et répond de sa voix encore teintée d'accent rital :
— Elle me fait chier, commissaire ! Faut absolument que je m'en débarrasse. Pour une partie fine, elle est de première. Y a pas plus dégueulasse et inventive que cette grosse vache ; Elle vous ferait n'importe quoi. Mais vivre avec est impossible. Elle fout la merde dans mon salon de coiffure ; la merde avec mes employées, la merde avec mes clientes, qu'est-ce que je pourrais faire ?
— Une partie de canotage à Villequier, sur la Seine. Tu lui attaches un plot de ciment à chaque cheville et tu fais basculer la barque ! Tu sais nager, j'espère ?
Il hausse les épaules.
— C'est un pot de merde. quand je me risque à lui dire que je ne l'épouserai pas, elle me bat. Y a que Béru pour s'accommoder de cette charognerie ! La dompter un peu, dans un sens. Regardez-les danser, on comprend qu'ils sont faits l'un pour l'autre.
Et c'est vrai. L'image est majestueuse. Bérurier sue sous son chapeau pourri. Il lève le petit doigt en tenant la main de sa partenaire. Alfred me saisit par le bras.
— Aidez-moi, commissaire ! Je vais partir en douce. Vous leur direz que c'est fini, que je vends mon fonds et que je retourne en Italie, dans les Pouilles où sont nés mes ancêtres. Moi, je vais aller placarder un avis de fermeture sur la porte du salon et prévenir mes gonzesses qu'on fait relâche jusqu'à nouvel ordre. Je viens d'engager une petite shampouineuse belge salope à damner toute une congrégation de moines ! Je m'embarque. Si vous saviez ce qu'elle sait faire avec ses lotions mousseuses ! quand je la voudrais plus, je vous la ferai essayer : je sais que vous adorez la chose.
Alors, d'accord ? Vous vous chargez de la corvée ?
Je réponds que oui. Tu connais ma grande âme altruiste. Toujours à dispose pour porter aide et assistance, l'Antonio de ses deux !
Alfred s'esbigne si vite que j'ai pas le temps de voir, tel un suppositoire dans un trou de balle. Gloup ! Bye bye, merlan !
Une valse anglaise succède au tango, le couple damné repique au truc. Tu penses qu'ils vont pas rater ça : la valse anglaise, une langourance pareille est propice au frottis de tripailles. Le menu étant bien composé, c'est un slow qui suit. Faut aller dans les banlieues escarpées pour trouver encore des airs commaks ! Des musiques unissantes, bonnes pour le lard et les bas morceaux. Mains aux miches, joue contre joue, tu croirais qu'ils s'aiment, les Béru.
Quand ils reviennent, ils transpirent comme une chapelle ardente. Le regard brillant, le souffle façon fin de coït.
Béru se commande une roteuse. Berthe dit, au bout de son essoufflement :
— Alfred ait été uriner, je suppose ?
— Non, fais-je. Il est parti.
— Parti ! Vous entendez quoi t'est-ce, par parti, Antoine ?
— Qu'il nous a quittés, et vous tout spécialement. Il abandonne son fonds de commerce et il va refaire sa vie sous d'autres cieux, en compagnie, a-t-il précisé, d'une shampouineuse belge qui lui pratique d'époustouflantes savonneuses, ce qui est une sorte de déformation professionnelle, ne nous le dissimulons pas. Il m'a chargé de vous dire, chère Berthe, que vous lui cassiez les couilles et qu'il vous restituait de grand cœur à votre époux, ici présent, ce que je trouve être une heureuse conclusion de vos amours adultérines.
La mégère pousse un tel barrissement que l'orchestre, en train de musiquer In the Moon, avec un rare brio, couaque couaque et s'interrompt.
Elle m'alpague au collet, la pétasse.
— Non, mais dis donc, commissaire de mes fesses, empaffé de frais, suceur de pissotières, dégueulasserie vivante, tu croives que j' tolérerai des insultes aussi conséquentes sans régir !