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* * *

Comme tous les insomniaques, je me réveille tard. Le sommeil a fini par avoir raison de mes tourments aux premières lueurs discernables de l'aube, et j'en écrase comme un rouleau compresseur anéantissant de fausses montres Cartier.

Le bruit d'une porte, brutalement fermée. J'ouvre un vasistas. M. Blanc vient d'entrer dans la chambre, retour de quelle expédition ? Il est frais, fourbi, parfumé Prisunic par-dessus son odeur de noirpiot. Il coule un regard dans ma direction, aperçoit mon lampion déballé et vient se poser sur le bord de mon pieu comme un cormoran sur la jetée.

— Quelle heure as-tu ? je demande pâteusement.

Il hausse les épaules.

— Moi, j'ai pas d'heure, mon vieux, c'est un truc pour les chefs de gare. On se dirige sur midi, ça, c'est sûr. Je vais t'en apprendre une qui finira de te réveiller.

— Vas-y.

— Les Délices, le cabaret où nous étions hier soir a sauté. Une charge terrible. Trente-quatre morts (dont notre vedette, la môme Kamala), plus une cinquantaine de blessés !

Il avait raison, mon pote : une nouvelle de ce tonneau, ça réveille.

— La taule a pété dix minutes à peine après notre départ, mec. On s'y serait attardés, on valdinguait dans les nuages car, d'après ce que j'en sais, l'engin a explosé dans le coin où nous nous trouvions.

J'en frissonne rétrospectivement.

— Et tu dis que la môme Kamala Safez est morte ?

— Rectifiée net ! Elle buvait un pot à deux tables de celle que nous occupions. Paraîtrait qu'elle a été ouverte en deux du nombril au nez.

— Comment as-tu appris tout ça ?

— Figure-toi qu'en me réveillant, ce matin, l'envie m'a prise d'aller discuter avec elle. Ton numéro de la nuit me turlupinait. Je me suis dit que j'allais le lui faire à la séduction, car j'ai eu l'impression de lui plaire. Je suis descendu pour demander le numéro de sa chambre et me faire annoncer. C'est alors que le concierge m'a appris l'attentat de la nuit. Je me suis rendu sur les lieux ! Tu verrais ce désastre ! L'immeuble éventré, lui aussi : plus de vitres dans la rue, des bagnoles tordues. Les pompiers continuent de fouiller les décombres. J'ai lié connaissance avec un journaliste français dépêché sur les lieux. Je lui ai montré ma carte de flic et il m'a balancé tout ce qu'il avait déjà appris.

— Tu peux me commander du caoua ?

Il va au téléphone et appelle le room service.

— Tu veux un déjeuner complet ? Ils ont des petits pains noirs aux raisins, servis avec du beurre salé, du tonnerre.

— D'accord.

Jérémie commande deux déjeuners complets, n'ayant aucune difficulté stomacale à faire rebelote en ma compagnie.

Il tire les rideaux et un jour nordiquet, couleur d'acier neuf, entre dans la chambre. Un temps comme ça, t'as envie de te chier quelque part.

J'évoque la môme Kamala, sa danse, son chant, sa sensualité, son charme.

M. Blanc s'arrête devant un grand miroir pour contempler le négatif de son image.

— J'ai envie de me laisser pousser la moustache, il fait.

— Si elle ne ressemble pas à des poils de cul, essaie toujours, un coup de Gillette est vite donné.

Il ne relève pas l'ingentillesse de mon propos, preuve qu'il a l'esprit ailleurs car, lui, les alluses à sa couleur, ras le bol ! Et dans un sens on le comprend.

— C'est curieux, mon vieux, tu vois, cette gonzesse, depuis le départ je flaire deux choses essentielles à son sujet. La première, c'est qu'elle jouait un rôle dans tes pertes de mémoire et tes hallucinations ; la seconde, c'est que ce rôle elle le jouait à son insu.

— Comment cela se pourrait-il ?

— Je l'ignore. Mais je suis convaincu que, dans l'avion, c'est elle qui t'a déconnecté. Elle a été chargée d'opérer et on l'avait sacrifiée.

— Tu penses que mon épisode de l'avion et l'explosion du cabaret sont liés ?

— Toi, tu en doutes ?

— Non.

— Ben alors pourquoi moi je devrais en douter, grand con ? Parce que je suis nègre ?

On nous sert nos briquefeustes opportunément avant que la converse tourne vinaigre. Comme il est impoli de jacter la bouche pleine, nous clapons en silence. Juste qu'à un moment, je balance à Jérémie :

— Cesse de faire claquer tes babines, bordel ! Je te le répète chaque fois que nous sommes à table !

Il me répond qu'il me sodomise, ce qu'à Dieu ne plaise, car une chopine comme la sienne doit drôlement t'intimider le fondement !

Un long silence nous sépare. Puis, le grand diable demande :

— Tu as des projets ?

— Ouais.

Je m'enfonce le reste du café.

— On peut connaître ? insiste-t-il.

— Bien sûr, mon grand, dans les branches de ton fromager géant t'es pas confortable pour apprécier la situation.

— T'es une sous-merde, comme vous tous ! déclare-t-il. Putain ! Attends qu'on soit devenus opérationnels, nous autres gorilles, et tu verras un peu ce travail ! On vous fera marcher au pas !

— Quand ces temps viendront, je rétorque, y a lurette qu'on aura aménagé les galaxies et qu'on vous aura laissé la planète Terre pour la finir !

Et puis j'éclate de rire. Mon premier instant de détente depuis des lustres.

— C'est bien pour dire de déconner, hein ? lui dis-je. Je t'adore, fais pas cette gueule ! Voilà ce que je te propose, mon cher Watson. Primo : perquisition discrète dans la chambre de feue la môme Kamala. Deuxio : on prend le chemin de Damas ! C'est là-bas que tout est arrivé, c'est là-bas que nous devrons trouver la solution.

Il opine.

— Exactement ce que je t'aurais proposé, mon vieux Nostradamus.

* * *

Dans la chambre au lit non défait flotte le parfum ardent de la pauvre vedette déchiquetée. Elle avait beau être née quai de Bercy, la gosse, côté chiftirs elle avait définitivement franchi la grande bleue. Ses fringues de scène ne sont que paillettes, aigrettes, plumes et strass. La haute pacotille, façon joaillier cairote des souks. Côté fringues de ville, ça se présentait un tantisoit mieux, néanmoins, y avait des écarts fâcheux : bijoux tarabiscotés, détails de la toilette un brin à côté de la plaque pour faire vraiment chic parisien.

— Curieux que les perdreaux berlinois ne soient pas encore là, note M. Blanc.

— Ils prennent leur temps, expliqué-je. Eux agissent avec méthode ; mais ils vont venir, rassure-toi.

On s'attelle au boulot. Recherches minutieuses. La manière qu'on est entrés, tu t'en gaffes ? J'ai beau patiner un peu de la gamberge, je sais toujours utiliser mon sésame ; de ce côté-là, pas de soucis à avoir.

Une fois à pied d’œuvre, je donne un cours express de perquise à mon sombre ami.

— Dans un cas comme celui-ci, fiston, ne perds pas ton temps à palper le linge. S'il y a de l'insolite, ça se trouve dans une cache savante : valise ou trousse de toilette truquées, voire appareil photo, séchoir à cheveux, etc.

— En somme, demande mon disciple, nous cherchons quoi ?

Pas une arme, elle n'en avait nul besoin. Des documents ? Trop risqué ! Des adresses ? Elle avait dû les apprendre par cœur…

— L'astuce gonflante, mon pote, c'est justement de ne rien chercher de précis. Il faut chercher pour trouver, piges-tu ?

Et on est lancé comme deux insectes sur un pot de miel. Lui, il est kif le jardinier en train de tailler sa haie avec un sécateur. Clic, clac ! Il se déplace en une sorte de glissement silencieux. Moi, c'est au pêcheur de truites que je m'apparente. Je contemple, j'avise, je me dis : « Peut-être là ». Je lance ma cuiller. Je ferre. Rien ! Voyons ailleurs !

On opère avec promptitude, mais sans se presser, ce qui est la meilleure manière de rendre la promptitude efficace.

Nous sommes au plus fort de nos recherches quand ce que je redoutais se produit, un bruit de pas retentit dans le couloir. Mon quatorze ou quinzième sens (j'en possède tellement !) m'avertit que c'est pour ici.