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— Gueule pas si fort, Léopold, tu vas te péter les cordes vocales !

Ma sérénité le calme un peu.

— Où es-tu ? demande-t-il.

— Sur le terrain de mes exploits, à Damas !

Là, il est scié en rondelles, le frère-con.

— Tas vraiment pas peur des mouches !

— Jamais !

— On dirait que tu as repris du poil de la bête ?

— Plein les mains, Léo. Mais stoppe tes lieux communs et refile-moi l'adresse de notre correspondant ici, j'ai besoin de tuyaux qu'il sera peut-être à même de me fournir.

Il gueule :

— Dis, Antoine, tu fais de la police en artiste, toi ! Tu te crois aux Beaux-Arts, mon gars ! Notre mec de Damas, c'est top secret ! Tu le mouillerais jusque dans le gros côlon en lui rendant visite ! Déjà qu'on est sûrement sur écoutes ! Tu m'entends te balancer son blaze et son adresse au bigophone ? C'est à des demandes comme ça que je pige que t'as pas fini ta convalo, mon drôle !

— Tu devrais aller te faire miser d'urgence chez les Grecs, Roidec ! conseillé-je, fou de rage.

Je raccroche.

M. Blanc a un sourire amer.

— T'as bien fait de shooter ce tas de merde, on fera sans ses renseignements. Que dirais-tu d'une visite de courtoisie à l'ambassade de France ?

* * *

Au lieu d'aller se plumer dans des burlingues, on frappe carrément à la grande lourde. Nos brèmes d'archers républicains nous la font ouvrir et, en moins de peu, nous voilà vautrés dans un canapé Louis quatorze, en face d'un attaché d'embrassade séduisant comme un calendrier des postes, qui doit passer ses loisirs à tirer toutes les dames pinables et désœuvrées du corps diplodocus. J'ai souvent lu dans des bouquins bien écrits, l'adjectif sémillant et je m'étais toujours promis de l'utiliser à l'occasion. Eh bien, j'ai la joie de t'annoncer que l'instant tant attendu est arrivé : le diplomate qui nous reçoit est sémillant, avec une cravate à rayures bleues et rouges qui te cocoricotte dans les lanternes.

Nous ne nous étendons pas sur l'objet de notre séjour, que ça serait trop long à expliquer et plus long encore à piger, juste on lui laisse entendre que nous sommes mandatés pour une délicate mission. Discret de formation, il imperturbe. qu'on cause, il répondra. Motus et Vivaldi, comme dit parfois Bérurier quand il veut briller devant un parterre d'académiciens pas trop gâtés dans leur emballage vert.

— Pouvez-vous nous parler du défunt général Gamal Halaziz, Excellence ? attaqué-je.

II arrondit sa bouche comme pour cracher un noyau d'olive ou sucer un clitoris.

— Drôle de colle que vous me posez là, commissaire. Gamal Haziz, vous vous en doutez, a aidé à la mise en place du régime actuel. En 73 il a pris part à la quatrième guerre israélo-arabe et il est mort au Liban dans un attentat. Le régime qui avait besoin de martyrs en a fait un héros national dont on chante le nom dans les écoles. Je crois vous avoir résumé l'essentiel de sa biographie.

— Il a laissé de la famille ?

— Je suppose, mais suis incapable de vous apporter des précisions sur ce point.

J'opine, donc je suis.

Autour de l'ambassade, y a des enfants français qui jouent dans le jardin, et, un court instant, j'ai l'impression heureuse de me trouver chez nous, près d'une école à l'heure de la récré.

— Autre chose, Excellence, connaissez-vous cet homme ?

Et de lui tendre la photo du type qu'avait comblé la pauvre Kamala Safez.

Il se saisit du cliché et se met à le contempler.

— C'est vague, murmure-t-il, très vague.

— Vous parlez de l'image ?

— Non, du souvenir que j'ai. Pour tout vous dire, il me semble effectivement avoir rencontré cet homme quelque part, mais vous dire où, quand et dans quelles circonstances…

— Essayez de vous concentrer ! l'en prié-je.

J'ai droit à une sardonique œillade de M. Blanc. Dans sa prunelle en boule d'escalier, je lis un truc dans le style « Toi, mon vieux, t'as bonne mine d'exiger des autres qu'ils stimulent leur mémoire. Faut être un enfoiré de Blanc pour oser, dans ton cas, pareille outrecuidance ! »

Le Sémillant me rend la photo.

— Navré, mais excepté cette notion de déjà vu, je suis incapable de le situer. Il peut s'agir d'un fonctionnaire arabe, d'un commerçant des souks ou de n'importe qui d'autre.

Y a une chose dont j'ai horreur, c'est quand un important ayant condescendu à te recevoir, se met à te faire sentir qu'il t'a assez vu et que tu devrais te prendre par la main et t'emmener promener. Cette hideuse manière de se taire, de regarder dans le vague en te balançant des décharges d'ondes renfrognées, m'est insoutenable.

Je prends mes clics pour aller au claque.

— Eh bien, Excellence, je vous remercie de votre esprit de coopération.

On se lève. L'attaché de mes choses détache son fion de sa chaise.

— J'aimerais pouvoir vous aider…

Et il a une cabrade du cervelet. L'idée qui lui déboule dans la matière grise sans s'être annoncée !

— Attendez, je pense à quelque chose. Oui : vous devriez aller voir le père Bouchafeu.

Mon silence est une question.

Il y répond :

— Le père Bouchafeu est un vieux brocanteur qui tient boutique dans sa maison, non loin des souks. Il habite Damas depuis toujours. Il a connu la domination française, le coup d’État militaire de 49, l'arrivée au pouvoir du parti Baas, les guerres… Il est bien avec tout le monde et doit vendre des renseignements comme il vend des objets ciselés. Le fait qu'il soit toujours en vie donne à penser qu'il sait se montrer utile vis-à-vis des gens en place et de ceux qui le seront un jour. Pour peu que vous ayez quelques dollars à lui proposer, il peut vous fournir de l'alcool, des putes et des tuyaux. Bien entendu, il y a la manière de commercer avec lui : ne jamais le prendre de front. Vous lui laissez entendre ce que vous aimeriez savoir et vous faites l'emplette d'une quelconque bricole parmi ses horreurs. Il vous en demandera cent fois son prix mais vous dira ensuite, mine de rien, ce que vous êtes venu entendre.

— Merci de votre conseil, Excellence.

— Attendez : le vieux n'est pas seulement cupide, il est en outre très porté sur la chose.

— Là, je crains de ne pouvoir le satisfaire, m'empressé-je, non plus que l'inspecteur Blanc car nous appartenons tous deux à cette sotte catégorie d'individus, en voie d'extinction fort heureusement, qui pratique l'orthodoxie des mœurs.

Le Sémillant rit à gorge d'employé (Béni dixit).

— Ne vous méprenez pas. Bouchafeu vit en compagnie d'une fille un peu nympho et rien ne lui fait davantage plaisir que de la proposer aux gens qui lui sont sympathiques.

— Ce qui sous-entend que vous nous jugez susceptibles de capter sa bienveillance, Excellence. Merci de votre confiance !

On s'en malaxe des paquets et on se quitte.

— On progresse ! jubile Jérémie. On progresse, mon vieux ! Brique après brique, la maison se bâtit !

Il aime les métaphores, Césarin !

* * *

Une grande masure carrée, au toit plat, dont le crépi fait de la desquamation. Des stores de paille peints en vert pendouillent en biais, transformant chaque fenêtre en montant de guillotine. Un écriteau annonce, en français et en anglais : Antiquités, bibelots, curiosités.

La lourde est ouverte sur une ombre puant la brocante et la moisissure. On s'avance. Le bordel nous agresse dès l'entrée. Un capharnaum pas pensable.

Des montagnes ! Y en a partout : sur les tables, au sol, contre les murs, accroché au plafond. De tout ! Plus ce qu'on n'avait encore jamais imaginé.

Des mannequins vêtus d'uniforme, des sabres recourbés, des balances d'épicier, des ombrelles, des bouquins, des outils, des gravures, des pompes à eau, des pompes à vélo, des pompes à merde, des grandes pompes, les pompes de Satan, des pompes à guêtres beurre frais, des monnaies moyenorientales, des escopettes, de la poudre d'escampette, un lit breton, un poney naturalisé, des lampes à huile, des chopes à bière teutones, des drapeaux français dégloriolisés, la photo de Pasqua, des jambes d'éléphant bourrées de parapluies, des globes tue-mouches, des globe-trotters, des lavements conservés dans l'alcool, des postes de télé du dix-neuvième siècle, des appareils téléphoniques Empire, le Jardin d'Allah, des masses d'armes, des armes à gauche, des indépendants de gauche, un slip de Bardot, le nœud de l'affaire, l'affaire du Courrier de Lyon, la photo de Pasqua en premier communiant, des bas de soie ayant appartenu à Talleyrand, des bouches d'égout, des babouches brodées, des éventails peints, des moulins à poivre, d'autres à vent et un tableau de Jérôme Bosch représentant l'arrivée d'Alice Sapritch aux États-Unis à bord du Mayflower.