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Il n'existe pas de portes pour séparer les pièces et ce déferlement moutonne sur tout le rez-de-chaussée, créant un étrange labyrinthe parcouru de rues, de venelles, de sentes, d'impasses et autres ténébreux passages.

— Putain, ce bordel ! soupire M. Blanc en découvrant la boutique du sieur Bouchafeu.

Moi, je me mets en quête du taulier. Il règne une pénombre diffuse qui accroît le mystère des pauvres objets orphelins concentrés là.

— Il y a quelqu'un ? lancé-je après cinq minutes d'errements à travers ces reliques salopiotes.

— Je suis de la merde ? me répond un mannequin acagnardé à un bonheur-du-jour (1).

Et moi qui croyais que c'était une reproduction en cire de l'abbé Fana ! La chose porte une espèce de robe-soutane blanche, nouée à la taille par un gros ceinturon de cuir. Au cou, une chaîne dorée à laquelle est fixé un énorme cabochon qui souhaite passer pour une topaze. Mais pourquoi appelé-je « la chose » un être humain ? Faut-il qu'il soit cireux. Ses cheveux blancs lui tombent sur les épaules. Il a un œil en déroute, ce qui est toujours incommodant lorsque tu veux regarder dans les yeux une personne affligée de ce travers, mais qui protège l'intéressé des examens trop intenses.

— Vous êtes monsieur Bouchafeu ? je lui demande.

— Depuis soixante et douze années et il n'y a pas de raison pour que ça ne continue pas encore quelques lustres.

— J'appartiens à la police parisienne.

— Tant mieux pour elle.

Il louche sur M. Blanc.

— Et votre compagnon ?

— Aussi.

J'appréhende quelques réflexions malsonnantes, mais il ne fait aucun commentaire.

— L'on m'a dit que vous connaissiez tout de cette ville, monsieur Bouchafeu.

— Tout, sauf ce que j'ignore ! rectifie le fantôme.

— Est-ce que cet homme entre dans le cercle de ce que vous savez ?

Et j'exhibe une nouvelle fois la photo du mec qui se faisait turluter la guiguite par Kamala.

L'homme a un bref coup de chanfrein sur le bristol.

— On connaît tellement de monde, soupire-t-il.

Compris ! Il peut répondre, mais auparavant, je dois glavioter au bassinet. Avisant, sur la table la plus proche, un porte-plume imitation ivoire, de style ancien, sur lequel est écrit en belle anglaise luisante : Souvenir de Damas, je m'écrie :

— Voilà qui va faire le bonheur de ma mère ; ça vaut combien ?

Le dabe pince son pif jaune et déclare :

— Pour vous, ce sera deux cents dollars.

— C'est vraiment un prix d'ami, assuré-je en sortant des talbins de mes vagues.

Je compte dix Jackson et les dépose sur le coin de table où se trouvait le porte-plume (1).

Calme, le père Bouchafeu ne se presse pas, pour crapauder mon osier. Fair-play, il s'abstient même de recompter.

— Si ma mémoire est exacte, dit-il, ce bonhomme dont vous me montrez la photo dirige l'Agence de Presse Égyptienne de Damas dont le siège se trouve rue Adolf-Hitier (1889–1945), je crois qu'il se nomme Tuboûf Mafig ; sans pouvoir vous préciser avec certitude s'il convient de placer un accent circonflexe sur le « u ».

— Saint-Cloud very moche, remercié-je ; maintenant j'aurais des questions à vous poser concernant feu le général Gamal Halaziz.

Bouchafeu lisse ses longs cheveux de neige sale, puis insinue sa dextre par l'échancrure de sa robe soutanée afin de s'aller gratter les testicules où je crains que s'active une forte densité de gentils parasites. La manière dont, après cette opération il contemple ses longs ongles endeuillés, est significative.

— J'ai bien connu le général Gamal Halaziz, déclare-t-il, et j'en ai conservé le souvenir d'un grand con lumineux, fait pour être sergent, mais poussé dans les bras de la gloire par une série d'événements qu'il eut l'instinct de contrôler ; sauf toutefois le dernier à l'issue duquel il prit une décharge de roquette dans le cul, échappant ainsi à de tortueux complots et devenant héros national à part entière dans cette société à responsabilité très limitée qu'est un État arabe. Je pourrais vous en dire long sur la vie et l’œuvre du bonhomme, mais je ne veux pas vous distraire de ma caverne d'AIi Baba qui contient bien des trésors, susceptibles, tel ce porte-plume, de vous intéresser.

Discret (hum !) rappel aux convenances. Faut que je recharge son appareil à sous.

Je me fends d'un presse-papier en verre à l'intérieur duquel t'as une intégration représentant le bey de Tunis donnant, en 1827 à l'ambassadeur de France Deval, ce fâcheux coup d'éventail dont tu connais les retombées.

Je l'enlève pour la modique somme de trois cents dollars, ensuite de la remise desquels (comme l'écrirait Bérurier) il se met à me causer du général Gamal Halaziz. Pour ce faire, il nous conduit au premier, dans ses appartements, et là nous offre de l'anisette, ce dont j'ai horreur, mais que j'écluse nonobstant pour ne le point désobliger.

Bouchafeu est assis sur un coussin, la robe troussée et ses vieilles couilles boucanées, brunâtres et velues, s'étalent sur la soie vert pâle du pouf (égayé d'un paf).

Disert, il nous brosse la biographie d'Halaziz avec humour et précision. Je t'en fais grâce pour ne te révéler que l'essentiel : feu le général possédait un frère cadet qui, actuellement, dirigerait les services secrets syriens. Fémal Halaziz passe pour un arriviste de grand style, dont les scrupules tiendraient dans une boîte à pilules. Le gars adore les femmes dont il possède une magnifique collection, dans sa luxueuse résidence de Kama Soutra dans la banlieue résiduelle de Damas.

Quand il nous a brossé le papier, Bouchafeu insiste pour nous verser une deuxième verrée d'anisette.

— Chère Razade ! hurle-t-il à pleine voix, si puissamment qu'on sursaute de surprise.

Un glissement, en provenance de la pièce voisine, et une créature étonnante surgit. La fille a une vingtaine damnée. Un peu maigre sans doute, mais comestible.

Elle est fardée comme si elle venait de se déguiser en Cléopâtre pour un dîner de têtes et porte, tout comme la chère reine d’Égypte, une couronne comme là-bas, dis ! Sa tête fait royalement égyptien. Le reste de sa vêture se compose d'un collier serti d'intailles et d'une ceinture sur le devant de laquelle pend un léger rideau de perles. Le collier met ses menus seins en valeur, et les perles ne sont pas suffisamment fournies pour cacher son sexe, si bien que tu peux contempler sa chatte et ses loloches à tête reposée.

— Voici Chère Razade, annonce Bouchafeu, une exquise salope d'origine anglaise que j'ai ainsi baptisée parce qu'elle est fortement portée sur le raki.

— Assieds-toi, mon enfant, et sers-toi un verre. Il poursuit :

— Elle revenait de Katmandou en compagnie d'un grand sot de Suédois. Ces deux dadais ne savaient plus où dormir, ni quoi manger. Je l'ai rachetée au Suédois afin d'égayer mes vieux jours, ce dont elle s'acquitte à merveille. Avec patience, je l'ai désintoxiquée. Comme il lui fallait une compensation, je l'ai fait bifurquer de la drogue sur l'alcool et le cul, lesquels sont beaucoup moins nocifs que l'héroïne, vous en conviendrez ?