« Neuve, quoi ! Dommage qu'il n'ait pas pris le temps de se dévêtir, ça doit être une bête superbe ! Tout en muscles ! Du bronze poli ! Noir à ce point, y a que Dieu pour se le permettre ! Le zob l'est également ! Vous savez qu'il est en train de me la disloquer, cette gamine ! Je vais avoir bonne mine, moi, après cette séance de lui présenter ma pauvreté mollissante ! Baiser avec un chausse-pied derrière une saillie aussi formidable, c'est complexant. Je n'aurai que la ressource de lui faire minette. Ce sera le no man's land entre la chopine de cet énergumène et mon pauvre service trois pièces de serin septuagénaire ! Heureusement, j'ai la langue bien pendue !
« Loi des compensations ! Jamais votre bougnoule ne la boufferait aussi somptueusement que je suis capable de le faire. Et elle aime ça ! Toutes, d'ailleurs ! Ca y est, vous l'entendez ? Elle parle anglais ! Doucement pour commencer. Oh ! my God, son leitmotiv ! Dieu, toujours ! Comme quoi, l'acte comporte du divin, sans vouloir blasphémer. On ne peut pas s'envoyer en l'air avec une telle force sans l'accord du Seigneur, merde ! My God ! My God ! Chère âme ! Je connais son discours. Tout de suite après, ça va être sa mère qu'elIe invoquera. Ah ! c'est que la mother, ça compte ! Écoutez, écoutez ! Voilà, ça y est. Mammy ! Oh ! Mammy ! Comme si la pauvre femme était pour quelque chose dans cette troussée ! Elle serait choquée, la mère, de voir embroquer sa lardonne par un Noir aussi noir ! Les Anglais, merci bien ! Je les ai vus à l’œuvre à leur grande époque colonialiste ! Les rebelles qu'on lâchait d'avion au-dessus de leur village ! Sans parachute, naturellement ! Ceux qu'on empalait sur des sabres de cavalerie ! Les jeunes filles de chefs qu'on donnait à violer aux lépreux ! Textuel ! J'ai vu, de mes yeux vu ! Bouchez-vous les oreilles, car elle arrive au terminus et va hurler. Et quand je dis hurler, c'est hurler ! Pis que dans les films d'horreur ! Ça y est ! Elle grimpe ! Le pied ! Ne dirait-on pas qu'on l'égorge ? C'est somptueux, non ? Ah ! la vie, commissaire, la vie… Vous voulez que je vous dise ? Irremplaçable !
Et puis après, bon, on prend congé. La Chère Razade reste prostrée sur un tas de coussins, à plat ventre, le fessier encore offert, bras en croix, crucifiée par le plaisir. M. Blanc paraît tout contrit. Il n'apprécie pas les gratulations de Bouchafeu qui lui claque les endosses et le complimente comme s'il venait de remporter le Tour de Syrie Cycliste.
Il l'enverrait chez Plumeau volontiers, le Noir tringleur. Se retient parce que le bonhomme nous a été utile, puis risque de nous l'être encore et que quand t'es flic faut ménager ses arrières.
— Voulez-vous goûter à votre tour aux charmes de Chère Razade ? me propose le vieux druide cireux.
— Je pense que ce sera pour une autre fois, cher ami, mademoiselle me paraît présentement comblée et ce que je pourrais ajouter à sa félicité lui semblerait dérisoire voire intempestif. Elle n'a même pas la force d'aller se refaire une honnêteté !
Il en convient. On se sert la louche. Tchao ! A demain morninge !
Direction, t'as deviné quoi ?
L'Agence Égyptienne de Presse, rue Adolf-Hitler (dont la mémoire de juificide est particulièrement honorée dans les pays arabes).
D'abord, y a un bail où sont punaisés différents journaux, des photos d'actualité et des affiches dont j'ignore les intentions vu qu'elles sont écrites en vermicelle. Au fond du hall, une double porte de verre, trop dépolie pour être au net, qui coulisse latéralement lorsqu'on marche sur le paillasson.
On pénètre dans une ruche. Au premier plan, un burlingue marqué Reception (en anglais ou en français, au choix).
Au-delà des téléscripteurs, des dactylos affairées, des mecs en bras de chemise téléphonant sur fond de vacarme.
Je me pointe à la Réception, tenue par une belle fille à la sombre chevelure séparée par une raie médiane et qui possède un point bleu tatoué au milieu du front. Cette concession faite à la tradition folklorique, elle est loquée à l'européenne, et plutôt bien.
— Bonjour, je lui gazouille. J'aimerais rencontrer votre directeur, M. Tuboûf Mafig, pour une communication de la plus haute importance.
Mon sourire la laisse de marbre, de buis, d'ivoire, de béton, voire de glace, encore que le climat d'ici ne se prête pas à cette dernière comparaison.
— M. Tuboûf Mafig est en voyage, répond-elle et ne rentrera que ce soir.
— Vous ne savez pas à quelle heure il sera de retour ?
— Non, car il rentre d'Allemagne et j'ignore l'heure de son vol.
— D'Allemagne ?
La manière qu'on se regarde Jérémie et moi !
Le dirlo de l'agence de presse était en Allemagne où se trouvait Kamala Safez avec les photos compromettantes ! J'aime ! Oh ! que j'aime donc !
C'est cela, l'harmonie, tu comprends ?
La gonzesse est du genre soucieux. J'ignore s'il existe une Gestapo en Syrie, si c'est oui, elle en fait sûrement partie.
Ce qui l'intrigue, c'est la présence de Mister Jérémie. Elle le situe diplomate africain, l'artiste. A cause de lui, elle nous prend en considération.
— M. Karâh Melmouh, l'adjoint de M. Tuboûf Mafig pourrait peut-être vous recevoir ? suggère-t'elle.
Je contropine :
— Impossible, c'est M. Tuboûf Mafig en personne que nous devons rencontrer. Pouvez-vous nous dire s'il habite dans l'immeuble, sinon nous indiquer son adresse privée ?
— Notre directeur n'habite pas ici et j'ai pour consigne de ne pas donner son adresse.
— Vous avez parfaitement raison de respecter les consignes, mademoiselle, elles sont très utiles, surtout dans des gares.
Là-dessus, je m'incline et demitoure (du verbe du 1er groupe demitourer).
Dehors, M. Blanc soupire :
— Tu sais où tu vas le pêcher, toi, ce bonhomme ?
— Yes, sir, et si la Chère Razade ne t'avait vidé le cerveau en même temps que les burnes, tu le saurais également.
— Ben dis-le !
— A l'aéroport, voyons ! Le vol en provenance d'Allemagne, mon vieux phacochère ! Il nous suffit d'aller l'attendre à l'arrivée.
L'Attila des jeunes Britanniques intégrés en Syrie se mord les lèvres.
— C'est lui !
J'opine. Pas d'erreur possible. L'homme qui s'avance vers les services de police est bien celui des photos licencieuses. Grand, il ressemble un peu au colonel Nasser. Il porte un costar d'alpaga bleu, une chemise à col ouvert rayée bleu et blanc et tient sur son bras un manteau de cuir doublé de fourrure dont il n'a plus que faire à Damas.
Les formalités flicardières achevées, il se dirige carrément vers la sortie, ayant pour tout bagage une valoche de cuir identique à la mienne.
Nous avons arrêté un petit plan d'intervention, M. Blanc et bibi, aussi l'abordé-je seul.
— Monsieur Mafig ?
Il se retourne sans s'arrêter d'arquer et me file un regard surpris.
Tellement surpris, même, que je tique. M'aurait-il rencontré lors de mon premier séjour à Damas ?
— Vous désirez ?
A cet instant, une super-somptueuse fille se précipite sur lui. De la déesse surchoix, espère ! Longs tifs blonds, yeux clairs, visage angélique.
M'est avis qu'il ne brosse pas que les produits de la ferme, Tuboûf ! Il se laisse aller également dans le septentrional. Si cette môme n'est pas scandinave c'est qu'elle est allemande, voire polak, ce qui se pourrait fort bien vu ses pommettes remontées.
Gêné, il lui roule une rapide galochette de bienvenue et lui murmure :
— Un instant, Amour bleu !
Amour bleu est docile puisqu'elle s'éloigne de deux pas.