Выбрать главу

— Vous désirez ? réitère le dirlo de l'Agence.

Vous parler, monsieur Tuboûf Mafig, assez longuement, et le plus rapidement possible.

— Qui êtes-vous ?

— Un ami de cette pauvre Kamala Safez.

On ne peut pas prétendre qu'il fait la grimace, mais enfin, l'expression qui lui vient le fait davantage ressembler à la photo du monsieur posant pour un laxatif qui va avoir raison de cette sale constipation chronique dont il souffre qu'à celle de l'heureux gagnant du loto.

— Vous voulez dire la chanteuse ? murmure-t-il.

— Exactement. Celle qui est morte dans l'attentat du cabaret Les Délices à Berlin-Ouest. D'où vous arrivez, n'est-ce pas ?

Un léger temps.

J'ajoute :

— J'ai des choses terriblement importantes à vous communiquer.

— Voulez-vous demain, à mon bureau ?

— Je préférerais tout de suite, chez vous !

— Mais il est vingt-deux heures !

— Justement, nous ne serons pas dérangés.

— C'est que, comme vous le voyez, je suis attendu.

— Votre avion aurait pu avoir une heure de retard, objecté-je avec le sourire épanoui de l'homme candide, pourquoi ne pas me l'accorder ?

Il hésite, puis :

— Un instant !

Il va à la merveilleuse blonde, lui prend le bras et l'entraîne derrière un kiosque à journaux, fermé étant donné l'heure tardive. Leur converse ne dure pas longtemps ; il revient, toujours flanqué de la déesse.

— C'est bon, venez ! dit-il. Je ne fais pas les présentations puisque vous ne vous êtes pas nommé.

— Je m'appelle San-Antonio.

— En ce cas, voici Mlle Gloria.

La fée des aéroports me dévoile son service trente-deux pièces en ordre de marche, étincelant comme la vitrine de chez Cartier à Noël.

— Navré de perturber vos retrouvailles, je leur dis-je, mais quand le travail commande… Vous avez une voiture ?

— Oui, répond la môme.

— Moi pas, vous voulez bien que je monte avec vous ?

— Comment rentrerez-vous ? demande Mafig, j'habite très en dehors de la ville.

— Ça n'est pas un problème, éludé-je.

Sa tire, à la greluse, est une Porsche blanche décapotable et pour me lover à l'arrière je dois prendre mes jambes à mon cou au sens propre du terme.

Elle opère une décarrade en bourrasque qui vous colle les rognons au dossier. Je veux bien que, dans ce patelin et à pareille heure, la circulation soit plus fluide que le corsage de la reine Babiola, n'empêche que tu me filerais une noisette dans le fion, t'aurais un litre d'huile fastoche !

Elle y va plein la caisse, Gloria. Opérant des queues de poiscaille vertigineuses pour éviter un cycliste sans lumière ou un péquenot sur son âne.

On contourne Damas. Elle a branché sa sono comme le font, dès qu'ils se posent dans leur caisse, tous les jeunes d'aujourd'hui, et l'appareil nous viorne un groupe rock d'une rare férocité, ce qui nous dispense de causer.

La route file en direction du Liban. Lorsqu'on a parcouru une douzaine de kilbus à vue de nez, la conductrice oblique à droite et ralentit pour monter un chemin cahoteux bordé de palmiers des deux côtés. Cette voie escalade les premiers contreforts de l'Anti-Liban et nous amène à un plateau arborisé où s'étale une urbanisation de luxe : grappe de villas blanches destinées à des personnages importants.

Celle de Tuboûf Mafig est la seconde en partant du début, comme dirait Alexandre-Benoît le Gros. Elle est d'importance moyenne mais comporte toutefois dans sa pelouse un trou carrelé qu'on peut qualifier de piscine sans trop se faire traiter de menteur.

La môme blonde laisse sa tire devant le perron et nous entrons ; j'espère que M. Blanc qui nous suit de loin, au volant d'une charrette de louage, n'aura pas trop de mal à retapisser la Porsche.

Une vieille domestique arabe, obèse et presque aveugle, attend, assise à côté de la porte sur un coussin de cuir. A notre venue elle se dresse en ahanant et lance une diatribe à Tuboûf qui répond brièvement. Cette grosse vieillarde est du genre nounou qu'un homme du Sud plus ou moins nanti traîne toute sa vie dans son univers familier, même après qu'elle est inapte à tout travail, ce qui est bigrement gentil, moi je trouve ; que merde, c'est ça les vraies valeurs !

La grosse aveugle sent un peu le rance et l'huile d'olive. Elle a le regard laiteux, strié de filaments gerbants. Je lui dis bonjour madame, en passant devant elle, mais elle cause que l'arbi et, comme moi, excepté zob et salamalec, j'en bonnis pas un iota, nos relations tournent court.

On est en plein dans une casa orientale, avec des trucs en stuc à foison, des mosaïques, des amoncellements de coussins, des tables basses en cuivre martelé et des armes damasquinées (ici, tu penses !) qui feraient mouiller un collectionneur.

La fille blonde s'esbigne sans un mot, la grosse aveugle va préparer du café à tâtons et nous deux, Mafig et moi, on se met à faire du rase-mottes avec nos miches sur des coussins brodés d'arabesques d'or et d'argent.

— Je vous écoute, déclare mon hôte.

— Il s'agit d'une affaire passablement embrouillée, dis-je. Je suis commissaire principal à Paris. Le 2 janvier, j'ai reçu à mon domicile, un appel téléphonique qui m'a incité à sauter dans le premier avion pour Damas où j'ai passé 5 jours. Dans l'avion du retour, j'ai été victime d'une hallucination qui m'a incité à ouvrir en vol la porte de l'appareil, ce dont heureusement, l'équipage m'a dissuadé. Imaginez-vous, monsieur Mafig, que je n'ai pas gardé le moindre souvenir des raisons de ma venue en Syrie, non plus que de ce que j'y ai fait. Vous ne pouvez savoir combien il est obsédant pour un homme d'être privé de 5 jours d'existence. Je me perds en conjectures et une sinistre angoisse me taraude. Alors je suis revenu ici pour tenter de récupérer ces 5 jours perdus. Drôle d'aventure, n'est-ce pas ?

— Très singulière en effet, avoue sans jambages le patron de presse. Cela dit, je ne comprends pas pourquoi vous faites appel à moi, monsieur le commissaire.

Il paraît sincèrement étonné.

— Les circonstances, dis-je.

— Metz-Angkor ? soupire Tuboûf Mafig.

— Vous pensez bien que mes services et moi-même avons ouvert une enquête. Nous avons découvert que, juste avant d'avoir ces fâcheuses velléités dont je viens de vous parler, une jeune femme m'a adressé la parole dans le Damas-Paris. La personne en question n'était autre que miss Kamala Safez, votre vedette égyptienne. Je suis allé la voir dans le cabaret où elle se produisait et où elle devait périr quelques minutes après notre entretien dans des circonstances que vous ne pouvez ignorer puisque vous étiez vous-même à Berlin.

— Surprenant, surprenant, dit mon vis-à-vis, mais je ne vois toujours pas ce que je…

— Vous étiez un ami de Kamala Safez, n'est-ce pas ?

— Ami, non. Je l'ai seulement rencontrée dans des soirées et des galas.

— Vous donnez des galas dans votre chambre à coucher, monsieur Mafig ?

Là, il mauvaise :

— Qu'est-ce que c'est que ces sous-entendus ?

— C'est tout sauf des sous-entendus, assuré-je.

Le moment est venu de lui déballer les photos éducatives trouvées dans la chambre de Kamala.

Putain, ce soubresaut ! En voyant le lit vide, il le devint ! comme disait mon Ponson (1) à nos voleurs.

Il panique à mort, Mafig.

Regard effaré aux photos, puis regard circulaire, mais nous sommes seuls.

Il a un geste puéril il chope les images et les place à la renverse.

— Si vous les voulez, gardez-les, proposé-je, nous en avons tout plein d'autres à la police !

— Vous venez me faire chanter, bégaie-t-il à voix basse, ce qui n'est pas incompatible.