— Voyez-vous, reprends-je en regardant s'élever la flamme, je pense que nos intérêts sont plus ou moins liés et que chacun de nous peut beaucoup pour l'autre. Essayez d'apprendre qui est le type en compagnie duquel je me trouvais à l'ambassade d’Égypte, et prévenez-moi si les gens qui vous ont fait aller à Berlin vous contactent ; je suis au Vahadache Hotel.
Je me lève, ce qui n'est jamais aisé quand on est à croupetons avec un simple coussin de soie sous les meules, et lui tends la main.
Il me la presse avec presque effusion.
— Dites, commissaire ! Vous pourriez déjà me rendre un service ?
C'est poilant, mais je sais déjà ce qu'il va me demander. C'est un truc que je prévoyais confusément.
— Avec plaisir.
— Cela vous ennuierait-il de retourner à Damas avec Gloria ? Ce que vous venez de m'apprendre me coupe tous mes moyens, or c'est une fille qui ne se contente pas de promesses.
— Qu'allez-vous lui dire pour la congédier ?
— Une partie de la vérité : que vous venez de m'apprendre une très mauvaise nouvelle et que j'entends rester seul.
Ils sont pas tellement galants, je trouve, les copains arabes. Eux, les gonzesses, c'est kif la table. Après la jaffe, ils rotent un grand coup et ils se cassent.
Note que je les critique pas. Ça va pas dans le sens de l'affranchissement de mémère, mais ça rend l'existence plus cool ! quand je vois tous ces tordus qui se font porter avec leur brancard !
CHAPITRE XIII
Elle a pas l'air joyeuse, la môme, d'être remerciée, commak, à des vingt-trois plombes passées sans avoir touché sa ration de bite. Je lui trouve même les yeux rouges un tantisoit. Seulement, tu remarqueras, les Arbis savent imposer leur autorité souveraine aux gerces, qu'elles soient musulmanes ou luthériennes comme, je le suppose, c'est le cas de miss Gloria.
On convient de se recontacter avant lurette, Tuboûf et moi, et je grimpe dans la Porsche épique de mam'zelle.
Elle décarre en trombre, vachement mécontente. Une fois seule avec moi, elle laisse éclater sa rancœur.
Comme beaucoup de frangines, elle pose ses godasses pour piloter. Elle les fourre entre les deux sièges, qu'à peine on a franchi l'urbanisation, elle s'empare d'un de ses escarpins et se met à en frapper le tableau de bord, kif le vieux Khrouchtchev aux Nations zunies. Elle crie des malveillances dans un patois nordique que, sans trop m'aventurer, je te situe norvégien ou danois.
En loucedé, je m'offre un coup de saveur dans le rétroviseur extérieur droit, ce qui me permet de déceler la tire du gars Jérémie à quelques encablures. L'intendance suit, tout va bien.
— Vous vous êtes fâchée contre votre ami Mafig ? interrogé-je doucettement, manière de lui dédolonser les rancœurs.
— J'en ai assez de ces Arabes machos ! répond-elle ; ils n'écoutent que leur bon plaisir.
— Seulement, ils sont voluptueux, d'après ce que je me suis laissé dire ?
Ça la calme ; elle me file un léger sourire en biais.
— Pas mal, oui, convient-elle sincère.
Le gars bibi, imperturbable, de virguler sur le ton de l'innocence :
— C'est une amie à moi, très portée sur la bagatelle, qui m'a confié la chose. Elle m'a dit un jour : De presque aussi voluptueux que toi, il n'y a que les Arabes.
Commak, gentiment, sans faire un sort à la réplique. Je regarde la route presque vide, où on croise de temps à autre quelques véhicules militaires en route pour le pauvre Liban. Gloria, ça tombe pas dans l'oreille d'une sourde, ma remarque.
— Vous avez des amies qui vous flattent, dit-elle.
— Ou qui apprécient mes performances à leur juste valeur. Mais changeons de sujet, je déteste me vanter. Vous êtes norvégienne ?
— Finlandaise.
— Merveilleux !
— Pourquoi ?
— Sans flagornerie, j'adore votre pays et je trouve que ses filles sont les plus excitantes de la planète : la braise sous la glace, comme l'on dit dans nos campagnes où l'on fornique aussi bien qu'à Paris.
Ses nerfs sont tombés. Ça se sent à sa manière de conduire. Elle roule posément, malgré l'invite constante de sa tire, et c'est plus confortable pour ce pauvre Jérémie en floche derrière.
— C'est indiscret de vous demander ce que vous faites à Damas ?
— Mon père est ambassadeur de Finlande.
Bon, voilà qui explique sa chignole top niveau et le permis de rouler permanent collé au pare-brise.
— Si je comprends bien, votre fin de soirée est carbonisée ?
— Il ne me reste plus que d'aller me coucher avec un comprimé de Ténébral. Comment vous appelez-vous, déjà ?
— Ténébral, je lui réponds du tacot talc.
Alors là, c'est la crise : elle pouffe !
— Je me doute qu'il n'y a pas de boîte de nuit dans ce pays plein de rigueur ? interrogé-je.
— Si, quelques boîtes à touristes, genre folklorique, et qui grouillent de flics.
— Dommage, j'aurais aimé prendre un verre en votre compagnie, je suis sûr qu'on a des trucs saisissants à se raconter.
— Vous croyez ?
— Oui, et vous aussi, vous le pensez.
— Il paraît que vous êtes un policier français ?
— C'est votre Arbi qui vous l'a appris ?
— Bien sûr, qu'est-ce que vous avez après lui ?
— Rien : je sollicitais son témoignage à propos d'une enquête internationale que je mène.
Mon ton la dissuade de questionner. Discrète, elle s'abstient.
On parvient à l'orée de Damas. Des loupiotes pointillent l'obscurité, au loin. Une ville, la nuit, c'est toujours mystérieux, n'importe l'hémisphère dans lequel elle se trouve.
— Ça vous dirait de prendre un verre chez moi ? J'ai de la vodka finnoise, on dit que c'est la meilleure du monde. On doit dire ça à Helsinki !
— Je n'espérais que ça. Mais que va penser votre Excellence de père ?
— Rien, car j'habite en dehors de l'ambassade.
Pas folle, la guêpe ! Liberté, liberté chérie…
On déboule dans le quartier résidentiel, et on roule jusqu'à un immeuble carré, de deux étages, en pierres blondes, style moderne. Les portes des garages sont actionnées par des commandes à distance. Elle enquille sa charrette blanche dans un box qui ne l'est pas moins et m'entraîne dans l'immeuble. Pas d'ascenseur. On se farcit trente-quatre marches sans mot dire. Son apparte occupe tout le second laitage. Il est en attique, avec des baies vitrées qui ont vue sur la rue.
L'ameublement est confortable, sans plus ; tantinet scandinave, Finlande oblige. Ça fait cadre nouvellement marié. Mais moi, pour tirer une crampe, je le trouve amplement suffisant.
Elle va puiser sa vodka promise dans un petit frigo. Double rasade à chacun. Je pense à Chère Razade que le négus s'est emplâtrée de première, lui si chaste habituellement, si fidèle à sa Ramadé. Fallait-il qu'elle lui porte aux amygdales, la sœur !
Il doit faire le tapin, en bas, mon bronzé. Moisir au volant de sa tire en m'attendant. Un instant, l'envie me biche d'aller lui donner campo afin qu'il rentre se zoner ; mais je me dis que notre hôtel est à dache et qu'après mon coup de guise, les cannes en flanelle, je serais mal partant pour faire du Damas by night à pincebroque.
Si je m'avance, côté embroque, c'est parce que je la voix grande comme Beaubourg ma descente de bénard. Une gerce qui te convie au milieu de la noye dans son Petit Trianon en te proposant une vodka party a des projets plein le slip, c'est pas à un mec comme toi que je vais expliquer la chose.
D'autant qu'elle venait d'essuyer une méchante rebuffade, la Gloria. Elle était sûre certaine que son Égyptien allait la pointer en arrivant et puis c'est le brutal Ramadan. Comme produit de remplacement, elle pouvait pas espérer mieux que moi, selon moi !