On s'installe. Au début on cause. La Syrie, c'est la chierie ! Patati et tata. Pays policé, des problos, cette espèce de pied de guerre permanent !
La vallée des angoisses.
Tandis qu'elle parle, je fixe sa bouche. Ça déconcerte toujours la dame.
Beaucoup mieux que de lui faire œil de velours. Elle cherche tes lampions, constate qu'ils lui sont dérobés et que tu les braques sur ses lèvres. Au bout de peu, son débit se ralentit. Il lui vient une espèce de timidité, suivie d'un trouble imprécis. Tu feins de réagir, tu murmures : Excusez-moi. Deux secondes tu plonges dans son regard, mais aussitôt t'abaisses ta longue-vue de six centimètres pour, de nouveau, mater sa trappe, tout capter avec extase : ses chaules, sa menteuse, ses lèvres. Alors, quand tu la sens à point, voilà que t'approches ton visage du sien, sans rien brusquer. Faut que tu perçoives ses ondes, sa chaleur, et elle les tiennes.
Le baiser s'opère en souplesse. Il fait son nid. Se prépare au moelleux.
C'est un baiser installé ; un arrimage. Soyouz et la station orbitale ! A compter de là t'as le feu vert, c'est tout bon, t'initiates à ta guise.
T'imposes ta loi, ton style.
Je procède ainsi avec Gloria, et ça fonctionne à merveille puisque c'est breveté S.G.D.G.
Peu après, on se roule dans son grand plumard carré, aux draps roses. Elle exige qu'on garde une loupiote, sinon à quoi ça servirait qu'il y ait toute une paroi en glaces dans la piaule ? Elle va pas me faire le coup de la danseuse, non ?
Tuboûf Mafig est relégué dans l'armoire aux fleurs fanées. On s'octroie une monstre séance de nuit à la chambre. Je m'engage pas dans les détails, les précisions, pas me faire traiter de dégueulasse par les vieilles poubelles qui se font sauter certes, mais à pieds joints, comme des fossés. Des femmes à Serbes, les imbaisées. Vertueuses par dédaignage. Faut comprendre. La romance du braque est si mélodieuse que celles à qui on ne la chante pas vitupèrent.
Je te résume simplement le déroulement technique de notre entrevue. Un balayage complet pour débuter, avec premier panard monolingual. Temps mort réclamé par l'arbitre, et puis embroque nonchalante recto-rectale avec, sur la fin, enfourchement dans les imposés, sur le thème : « papa est de retour ». Second temps mort, cette fois exigé par les deux équipes. Ensuite, remise en condition mutuelle : guiliguili, goulougoulou. On ranime la flamme. Trêve des confiseurs. Popaul reprend du poêle de l'ablette.
Promenade dans les vallons. Présentation d'une tête de nœud à des mamelons. Firmament, filament, délices et ogre. Ca dure ; ça perdure. Ça a assez d'urée. Fin du tome III. Exténués, nous nous endormons les glandes essorées mais le cœur plein.
Je fais un rêve.
A quoi bon vouloir te le raconter puisque je l'ai oublié ? Ne me reste que des flashes. Je rêve que je suis couché avec « le général ». La sonnerie de mon petit réveil électronique m'arrache. J'ouvre le tiroir de ma table de chevet, j'y prends un couteau à lame courbe, je tranche le cou du général, puis me rendors. En gros, c'est à peu près ça, mais avec des épisodes tumultueux, des imbrications à n'en plus finir… l'énergie, te pompent la moelle substantifique, t'emberlifique les idées.
C'est un grincement qui me réveille. Flic, tu penses, on peut pas avoir l'oreille peinarde du contribuable qui nous paie. Je soulève mes chastes paupières. La môme Gloria a éteint la loupiote après sa troisième galipe, mais le clair de lune passe à travers le store à lamelles et une clarté ténue éclaire la chambre.
Je mate la lourde donnant sur le livinge. Le loquet tourne très lentement.
Illico, je me laisse couler hors du plumard, sur le tapis. Je rampe jusqu'à la commode de Melléas et Palissandre placée à droite de la lourde, laquelle est en train de s'ouvrir imperceptiblement…
Un homme entre, grand, silencieux.
A toi de jouer, l'Antonio !
Une détente de tigre. Je bondis sur le paletot de l'intrus et le renverse.
En même temps que j'agis, son odeur m'agresse. Je me dis c'est un Noir !
Et, effectivement, j'ai le nez dans la crêpasse. Et puis bon, je découvre qu'il s'agit de M. Blanc. Qu'heureusement je n'avais pas d'arme sous la main, j'eusse été capable de l'utiliser contre lui.
Je desserre ma prise tandis qu'il se met à genoux en se massant le rein droit. Faux mouvement consécutif à mon agression. Il souffre et respire large.
Je l'aide à se remettre droit. La môme Gloria n'a pas été réveillée par cette castagne silencieuse. J'entraîne mon pote au salon.
— Qu'est-ce qui t'a pris de t'introduire ici par les fractions (comme dit Béru) ?
Il me visionne sans cesser de grimacer. M'est avis que j'ai dû lui craquer un cerceau, au biquet.
— J'étais en souci pour toi, mon vieux ! T'es chié de venir sabrer sans m'avertir.
— Chacun son tour, non ?
— Moi je passe pas la nuit dans les bras de ma partenaire !
— Tu tires pas non plus trois coups dans la foulée !
— Je ne serais pas monté si je n'avais pas été inquiété par la venue de deux types dans cet immeuble, il y a une demi-heure. Ils sont entrés, ne sont restés que cinq minutes et sont repartis… Il m'était venu de sales idées.
— Ben tu avais tort, tout est O.K., brave nègre. Comment t'es-tu introduit ? fais-je en considérant la porte d'entrée normalement close.
— Ben, avec ça.
Et de me montrer « mon » sésame.
— Salaud, tu me l'avais piqué ?
Il hausse les épaules.
— Non, je m'en suis fabriqué un pour moi. Y a pas de raison que tu sois le seul à la police à jouir de ce gadget.
Quoi ! Mon exclusivité est bafouée !
— T'es culotté, grand ! Franchement, tu crains personne !
— Logique et pratique, qualités indispensables pour exercer dignement un métier, c'est toi qui me l'a répété. Bon, pardonne-moi de chiquer les trouble-fête, tu rentres à l'hôtel où tu joues les prolongations ?
— Je rentre. Attends-moi, je vais récupérer mes harnais.
Je retourne dans la chambre sur la pointe des pinceaux. Mes fringues sont en tas sur un pouf. Je les saisis en une seule brassée, ramasse mes pompes et me retire.
Jérémie est vautré dans un canapé. Il me regarde me loquer et murmure :
— Mam'zelle avait ses problèmes ?
— Comment ça ?
— Ton slip est plein de sang.
Je regarde, et bon Dieu que c'est vrai ! Pas qu'un peu, même. Et il n'y a pas que mon calbute, ma limouille idem est rouge, mon bénoche de même !
Une sirène de ce trident (comme le dirait toujours le Mastar) éclate dans mon crâne. Elle s'enfle, s'enfle, devient paroxystique, insoutenable !
C'est si violent que je me plaque les paluches contre les baffles, seulement, comme ça s'opère « à l'intérieur », mon double geste ne fait qu'accroître l'intensité du bruit auquel il ajoute la résonance.
Je bondis dans la chambre, actionne le commuttonneur.
Ah ! Folie ! Ah ! Horreur ! Gloria gît, la gorge ouverte d'une oreille à l'autre. Le lit n'est plus rose, mais bordeaux. Un poignard recourbé est posé sur ma table de chevet, sanglant jusqu'à la garde.
Je me sens perdu, éperdu, fini. Ainsi, ce cauchemar… J'ai cru égorger le général et c'est la douce petite Finlandaise que j'ai tuée ! Un glissement derrière moi ; c'est M. Blanc qui me rejoint et prend connaissance du drame. Il reste là, hypnotisé, à masser l'endolorade de son côté.
— Ben putain, mon vieux, c'est chié ! finit-il par balbutier, histoire de se manifester.
Et comme il a raison !
CHAPITRE XIV
Un qui est pâle des genoux, mou du bout, dévertébré limace, fluide du bulbe, en arythmie complète, un qui évanesce, qui se grumelle, se désintègre, fluidifie, décompose, se mue en charogne, en odeur, en rien du tout, c'est le fils préféré et unique de Félicie !