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— Dépone, mon vieux, je vais aller aux nouvelles.

— Pourquoi toi ?

— T'as pas remarqué que je suis plus sombre que la nuit, grand con ?

Alors, souate, je le laisse filer.

Il commence par poser ses ribouis et le voilà qui disparaît par l'escadrin. Son absence est brève, il revient peu après, excité comme un morbach dans la culotte de la princesse Stéphanie.

— Tout est désert, mon vieux. Je pense qu'ils ont dû laisser quelqu'un dans le logement, mais il n'y a personne dans la rue. Heureusement, j'avais parqué ma bagnole à deux cents mètres. Je vais aller la récupérer en douce. Toi, tu m'attendras dans le couloir de service pour ne prendre place qu'au dernier moment, ça joue ?

— Banco !

Cinq minutes plus tard, nous roulons dans l'avenue déserte. Le clair de lune ferait mouiller Werther et Charlotte. Les Lapons auraient, en hiver, des jours comme cette nuit-là, ils pavoiseraient ! Se feraient bronzer.

Jusqu'ici, il a pris l'initiative, Jérémie. Maintenant, il marque le pas.

— Tu crois qu'on rentre à notre hôtel ?

— T'es louftingue ! Si on m'a manigancé ce cinoche, c'est pour me perdre. Il doit y avoir plein d'archers embusqués au Vahadache.

Mon pote murmure :

— Tu ne crois pas que la situation est désespérée, et peut-être même assez grave ? Voire préoccupante ?

II a épousé ma tournure d'esprit, le riverain du fleuve Sénégal.

Bientôt, il s'exprimera complètement comme moi et je n'aurai plus qu'à me consacrer à la traduction d'Ovide en bulgare pour amortir ma nouvelle machine électrique.

— Pas besoin d'aller à Abano se faire enduire de gadoue, conviens-je, on en a jusqu'aux tifs !

Ma cervelle surchauffe jusqu'à l'incandescence. Un patelin pareil, quand t'es tricard, tu l'es davantage que n'importe où ailleurs, moi je te le dis !

L'ambassade de France ? C'est pas vendu d'avance ! Dans la Carrière, ils raffolent pas des ressortissants qui ont toute la Rousse du royaume au fion. Ça les perturbe, les met en porte à faux. Eux, ils sont là pour boire des drinks dans les réceptions et vérifier que leurs sous-fifres ne se foulent pas le poignet en donnant des coups de tampons. L'opération guérilla, c'est pas leur blot, ils aiment mieux jouer au bridge.

Il pilote mollo, l'Assombri. Une nuit blanche le fait paraître plus foncé, si je puis m'autoriser cette mauvaise boutade. qu'en outre, il fouette impétueusement le Noir. Moi, je fouette le Blanc. Ménagerie et cadavre mêlés, c'est riche ! Y a que la nature pour mettre toutes les narines à l'heure ! La rose et le lilas, l'herbe mouillée, le foin coupé, le sous-bois automnal.

— On retourne chez l’Égyptien ! décidé-je.

— Tu veux parler de Tuboûf Mafig ?

— Lui-même.

— T'aurais pas le cervelet qui patine ?

— Pourquoi ?

— Les tueurs qui se sont pointés chez la môme, ils ne sont pas arrivés au pif ; fatalement on les a téléguidés. Or, qui donc savait, ou se doutait, que tu te trouvais chez elle ?

— Mafig ne pouvait pas savoir que j'allais lever sa gonzesse, l'embroquer maison et terminer ma noye dans son lit !

— Quand on te voit, mon vieux, faut être bouché au mastic pour pas comprendre que t'es un vrai clébard qui passe sa vie à renifler des culs !

— T'as bonne mine ! Chez Bouchafeu, tu ressemblais pas à saint François de Sales ! Ou alors c'est que t'as une idée particulière de la visitation.

Il renfrogne.

Sans ajouter une broque, le voilà qui reprend la route du Liban. Entre nous et la place des Vosges, je le sais bien que ce que je fais est culotté et qu'on risque de se fraiser en allant chez le directeur de l'Agence Égyptienne. Mais dans la police, c'est comme dans la médecine : on pratique l'art du moindre risque.

Pendant un bon bout, la route est nue, livide sous le clair de lune ; et puis voilà qu'un convoi militaire se pointe en sens inverse. Des autos blindées, des chenillettes, des camions. On est obligés de grimper sur le talus pour laisser passer tout ce bigntz. En fin de cortège, y a une jeep avec des flics. La chignole stoppe à notre hauteur. L'un des trois occupants, un gradé, nous interpelle en arabe. A ma vive surprise, voilà M. Blanc qui lui répond. J'ignorais qu'il pratiquait la langue du Prophète, mon camarade. Il est érudit, le balayeur.

On réclame nos fafs. Nous les montrons. Le sousoeuf en prend connaissance dans le faisceau de sa torche électrique. Moi je m'écrase, attendant des instants meilleurs. A la fin, le poulaga griffonne quelques lignes en rahat-loukoum moderne sur une feuille de carnet à souches et la tend à Jérémie.

Après quoi, il glisse nos deux passeports dans sa giberne.

Alors là, je l'ai au caca ! qu'est-ce à dire ?

Les matuches décarrent, nous laissant à notre triste sort sur cette route.

M. Blanc essuie son front d'un revers de manche.

— J'ai eu chaud aux plumes ! annonce-t-il. Paraît qu'il faut un laissez-passer spécial pour circuler de nuit sur cette route.

— Qu'est-ce que tu lui as raconté ?

— La vérité. II fallait bien donner des précisions, sinon ils nous enchristaient recta. Je lui ai expliqué que nous logions chez Tuboûf Mafig, le chef de l'Agence Égyptienne de Presse qui est un ami à toi et que nous ignorions qu'il fallait un papier spécial pour s'y rendre de nuit. Notre avion a eu du retard, tout ça. A la fin, il a réquisitionné nos passeports que nous devrons aller retirer demain à l'hôtel de police, moyennant quoi, il nous a laissé aller ; sympa, non ?

— Un vrai frangin, dis-je lugubrement. Maintenant, on va s'y prendre comment pour s'arracher de ce bled ?

Il hoche la tête.

— Nous verrons bien.

Fataliste, quoi ! Ils sont comme ça, les Africains, tandis que nous autres, on se prépare des infarctus au bain-marie à redouter ceci cela, la rate sans cesse au court-bouillon. Toujours perdus dans des angoisses, à imaginer des catastrophes qui nous choient, certes, sur la gogne, mais autrement que prévues.

Y a plus d'encombres jusqu'à la villa mauresque de ce brave Mafig.

J'imaginais trouver sa casa plongée dans l'ombre, étant donné l'heure tardive, mais elle est éclairée comme quand je l'ai quittée.

Prudent, M. Blanc a garé sa chiotte dans une zone sombre. Il en descend.

— Je vais voir si la voie est libre, mon vieux ; auquel cas j'imiterais le cri du toucan.

— Et c'est comment, le cri du toucan ?

II le fait, ce qui me transperce les deux tympans.

— Tu pourrais pas plutôt imiter celui de l'oiseau-mouche ? suggéré-je. Ça fait drôlement mal aux coquilles, tes suraigus !

Le voilà qui se marre, ce qui risque de le faire repérer, parce qu'un collier de perles fines pareil, au clair de lune, ça scintille vachement et tu pourrais illuminer la cathédrale de Clarines avec.

Sa haute et souple silhouette disparaît sous les arbres. Je profite de ma solitude pour tenter de faire le point, mais c'est tellement embrouillé, tout ça ! Mes hallucinations, mes transmissions de pensées, mes cauchemars sanglants… La bombe aux Délices qui carbonise miss Kamala Safez ! Les photos pornos montrant cette pauvrette en train de tutoyer le touille-chattes du sieur Mafig ! Le vieux Bouchafeu et sa salope anglaise dans son antre. La tannerie nauséabonde avec les bacs écœurants… L'ambassade d’Égypte où je me trouvais, paraît-il, à l'affût pour observer quelqu'un qui m'était désigné par un gros type… Et puis Gloria, la blonde finnoise, si belle, voluptueuse et régalante dont on a tranché la gorge sans que je m'éveille !

Ça va où, tout ça ? Tu peux me le dire ? Je te payerai un pot.

Le cri du toucan !

Y a pas de toucan en Syrie ! Du moins je ne le pense pas. Les toucans, c'est l'Afrique, le soir, en vols serrés au-dessus des sycomores géants.