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Souvent, je me pose des colles, me lance des défis. Ainsi, là, je me dis : Avant Damas, tu devras avoir opté pour la meilleure conduite à tenir. Comme s'il y en avait des chiées à ma disposition !

M. Blanc ronge son frein, ce qui est préférable à ronger celui de la voiture, car, précisément, on amorce une descente.

Et puis, voilà que du haut de mon promontoire, je distingue au loin, fonçant sur nous, une nouvelle colonne militaire.

Alors cette fois, pas bonnard pour affronter de nouveaux matuches ! D'autant qu'on n'a plus de fafs d'identité.

Tu sais quoi ? Je quitte la route après avoir coupé mes phares et dévale une étendue galeuse où tentent de végéter des arbrisseaux mélancoliques.

Jérémie a tout vu, tout pigé et m'approuve de son silence, comme l'écrit la comtesse de Paris dans son célèbre roman titulé : Comme le Temps Pax !

Ma tire cahote sur le sol dénivelé. Nous atteignons un muret de pierres plates empilées. Des chèvres bêlent de l'autre côté because notre charrette les a réveillées. Je coupe les gaz et j'attends des aubes blondes.

Au loin, derrière nous, la caravane passe, mais les chiens n'aboient pas.

Je vois grimper la colonne dans son lourd ronron de moteurs poussifs.

C'est alors que j'avise un mouvement par-dessus le muret. Une silhouette a surgi et disparu. M'a semblé qu'il s'agissait d'une femme. Le bruit de notre survenance a dû la tirer de son sommeil et elle vient aux nouvelles.

Faudrait pas qu'elle donne l'alerte. Je n'ai guère envie de voir surgir quelques gaillards armés d'escopettes ! Vitos, je déboule de la tire et escalade le muret. De l'autre côté, il y a une humble construction, également composée de pierres entassées, mais couverte de tôles rouillées. Le clair de l'autre (pardon : de l'une) révèle une jeune fille aux pieds nus, vêtue de hardes noires, qui se tient tapie sous l'avancée du méchant toit. Comprenant que je l'ai vue, elle recule à l'intérieur de la cahute. Un vieux zig chenu roupille sur un tas de hardes, tandis que deux chèvres naines, attachées à un pieu, s'agitent en bêlant.

— Des nomades récemment sédentarisés, me chuchote Jérémie qui m'a rejoint.

Il s'adresse à la dolescente dans son arabe de réserve. Elle reste un moment sans répondre, mais comme il insiste patiemment, que sa voix est douce, son sourire large comme le clavier d'un Gaveau grand sport, elle finit par répondre.

M. Blanc me traduit.

— Ce que je te disais, mon vieux : des nomades. Elle a été larguée par sa tribu pour assister le patriarche qui ne peut plus arquer. Il est à demi paralysé, sourd, aveugle et centenaire. On les a laissés ici avec deux chèvres et un sac de semoule.

Elle est mignonne, non ? Dommage qu'elle fouette autant !

Je souris à la petite, tire un talbin de ma fouille et le lui tends. Elle le griffe avec une prestesse de caméléon gobant un moucheron volage.

— Asseyons-nous, décidé-je. Tu sais qu'on ne serait pas mal ici pour laisser passer l'orage ? Par exemple, il faudrait pouvoir planquer la bagnole.

— On peut, répond le noirpiot en me désignant la grande bâche trouée servant de porte à la cahute.

Et le voilà qui reprend ses jactances avec la fille.

J'ignore ce qu'il lui bonnit, mais elle paraît adhérer et s'apprivoise à vue d'oeil, Ninette.

— Elle est d'accord, m'annonce Jérémie.

— Que lui as-tu bradé comme salades ?

— On nous a volé nos papiers et comme nous sommes étrangers, on est obligés de se cacher jusqu'à ce qu'un ami nous en procure d'autres. Les nomades détestent le Parti Baas qui leur fait subir une chiée de tracasseries.

— Elle t'a cru ?

— Tu sais, elle a pas un Q.I. de surdouée !

Alors bon, on s'installe.

— T'as rien contre les morpions ? rigole M. Blanc.

— Penses-tu : j'adore les animaux, surtout quand ils sont affectueux.

* * *

Le jour s'est levé depuis des heures lorsque nous nous réveillons. J'ai encore fait un rêve. Je dormais sous une immense tente militaire en compagnie du général.

Une fille est entrée, quasiment nue. Une Arabe superbe qui faisait la danse du ventre. A la fin de son numéro, le général a voulu la tirer, mais je lui ai sauté sur le paletot car, moi aussi j'avais des visées sur la danseuse.

Et c'est mon pauvre Jérémie qui gueule tout ce qu'il peut, étant donné que je lui ai mis un œil au beurre blanc en lui ajustant un ramponneau plein cadre !

Adieu, général ! Danseuse ! Cochon ! Couvée !

Mon air consterné le touche.

— T'as encore eu une crise ?

— Je rêvais…

— Faudrait que tu mettes une camisole de force au lieu d'un pyjama pour roupiller, si ça ne te passe pas !

Je suis incurable, quoi !

* * *

Le vieux qui gisait toujours sur son grabat poussa une plainte ; du moins cela y ressemblait-il. En réalité il s'agissait d'un appel qu'il réitéra à plusieurs reprises et de plus en plus fort ; mais sa surdité l'empêchait de régler le son de sa voix et chaque cri se ponctuait d'un couac lamentable.

— Que dit-il ? fis-je à M. Blanc.

— Je crois qu'il appelle sa petite-fille, me répondit Mister Bois-d'ébène.

Nous parlions d'une voix normale, mais les baffles à pépère ne percevaient rien de rien et t'aurais pu lui passer Rhapsodie in blue avec Armstrong à la trompette au ras des tympans que, que c'eût été du kif.

Le vieillard se tourna vers La Mecque et se prosterna à différentes reprises en psalmodiant ses prières. Qu'après quoi il péta un grand coup et se leva avec mille difficultés. Il était tout minot, tout égrotant.

Sa barbiche poivre et sel et ses yeux complètement blancs m'incommodaient.

Il se livra alors à une opération sur la finalité de laquelle nous nous méprîmes, Jérémie et moi : il releva le capot de sa gandoura. Nous crûmes qu'il allait soulager sa chère vieille vessie ; mais il n'en fut rien et déballa, à notre vive stupeur, un braque de trente centimètres, gonflé à bloc et qui battait la mesure d'un mouvement absurde, comme l'eût fait la baguette d'un pauvre d'esprit ignorant tout de la musique.

— Tas vu ce membre ! béa M. Blanc ! Pour un centenaire il est chiément performant, non ?

Le grand-dabe tint sa gandoura relevée d'une main et, de l'autre, en antenne, sonda le vide jusqu'à ce qu'il rencontrât l'une des deux chèvres.

Celle-ci était grisâtre comme son bouc à lui ! Elle devait avoir l'habitude des réveils érectiles du grand-père et les subir avec un plaisir certain car elle se mit docilement en position et le vioque n'eut aucune peine à l'enfourner. L'effroyable accouplement dura dix bonnes minutes sans que l'animal regimbe. Simplement, la chèvre faisait « mé-mé » de temps à autre, ce qui, somme toute, la confirmait dans ses fonctions supplétives avec le pépé.

Le vieil Arbi limait lentement mais sûrement, avec une conscience et une application de grand besogneux.

La seconde chèvre, dédaignée, ruminait nostalgiquement en boudant à l'écart.

La rareté du spectacle (rare par son caractère de zoophilie et par l'âge avancé du protagoniste humain) nous fascinait au point que nous ne perçûmes pas immédiatement l'arrivée des perdreaux. Il faut dire que la route n'était éloignée que de quelques centaines de mètres et qu'il y passait pas mal de véhicules en cette matinée. Lorsque nous fûmes alertés par la proximité des moteurs, il était trop tard pour tenter de fuir : les deux jeeps n'étaient plus qu'à un jet de pierre de la cahute. Elles fonçaient à fond la caisse sur le sol étique qui, de jour, ressemblait à un immense tapis-brosse. Dans le soleil triomphant, les canons des armes jetaient des éclairs. Il y avait trois hommes dans celle de gauche, trois autres dans celle de droite, plus la garce-salope de petite-fille de père Embroquebique. Cette foutue vachasse de sous-merde s'était levée tôt le morninge pour aller nous cafter aux archers. Escomptait-elle une prime ?