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Pensait-elle se mettre bien avec les autorités en agissant de la sorte ? Ou bien, plus simplement, voulait-elle accomplir son devoir de Syrienne en allant dénoncer des ennemis (pensait-elle) du régime ? Mystère.

Mais les faits étaient là, dans toute leur hideur : nous étions faits aux pattes, M. Blanc et moi ; et il allait bientôt pleuvoir sur nous des emmerdes si monumentaux que nous serions écrasés sous leur masse.

Les deux tires stoppèrent devant l'entrée et les six gaziers en sautèrent en un ballet de parachutistes opérant une démonstration au Bourget.

— Si tu as quelque chose de particulier à me dire, il te reste six secondes pour le faire ! émit M. Blanc.

Je lui répondis en quatre que je l'aimais beaucoup et le remerciai pour son dévouement. Ensuite de quoi les gars furent sur nous. Ils marquèrent un léger temps en apercevant le pépé qui limait la biquette ; mais quoi : ils en avaient vu d'autres et nous cueillirent sans ménagements.

* * *

J'ignore si la môme Judas a palpé ses trente deniers, en tout cas elle nous regarde embarquer avec le sourire.

On nous fourre à l'arrière d'une jeep et l'un des lardus pilote la nôtre qu'ils ont dégagée de la bâche. Le mahomed cigogne à tout va et on doit bronzer ferme (moi du moins, M. Blanc ayant déjà donné). Mais le déplacement d'air causé par la vitesse nous plonge dans un bain de fraîcheur nonobstant les rayons ardents. Franchement, nous aurions dû rester chez nous, au lieu de venir jouer les justiciers du Far West dans ces contrées peu hospitalières pour les salauds de roumis dont je fais partie.

Et comme je ne sais pas mettre ma pensée au point mort ; je continue de phosphorer, c'est-à-dire de me demander ce qui a pu me motiver, le 2 janvier pour que je moule m'man et Toinet en pleine fiesta afin de rabattre à Damas ! Fallait-il que l'enjeu fût important, ou bien que la personne sollicitant mon départ me fût chère ! Comment se peut-il que rien ne sorte de mon caberluche ? que m'a-t-on fait subir pour que j'aie perdu totalement le souvenir de ces jours passés ici ? J'ai juste récupéré la tannerie et ses bacs puants ! Cela indiquerait-il que, pour retrouver ma route dans les ténèbres de l'oubli, j'aie besoin d'éprouver physiquement ce que j'ai alors vécu ?

— Tu veux que je te dise ? me chuchote soudain Jérémie, sans remuer les lèvres. On devrait pouvoir essayer quelque chose dès que nous serons en ville.

— Quoi ?

— Ces cons nous ont placés seuls à l'arrière. Nous ne sommes surveillés que par celui qui se tient à côté du chauffeur et il garde sa mitraillette la crosse posée sur son genou ; je me fais fort de la lui arracher !

— Et après, camarade ?

— On se perd dans la foule !

— Tu parles ! C'est comme si tu cherchais à perdre deux pommes dans un sac de blé ! Nous sommes trop repérables. Et puis les gars de la seconde jeep nous suivent et là, espère, ils n'hésiteraient pas à nous cartonner.

— Ils nous suivent à cinquante mètres. En sautant chacun d'un côté et en plongeant dans les ruelles…

— Utopique !

Il renaude :

— T'es chié, mon vieux ! Ça, pour être chié, t'es chié. J'en ai déjà rencontré des mecs chiés, mais des aussi chiés que toi, jamais ! T'es chiément chié, quoi ! Je me défonce l'oignon pour t'aider, allant même jusqu'à tromper ma chère Ramadé que je vénère, et toi, tu joues les timorés !

— Ce n'est pas être timoré que de choisir le moindre mal ! Jusque-là, les flics, nous ne leur avons rien fait. Certes, nous sommes pris dans une machination, mais nous pouvons encore espérer nous en sortir. Choisir la fuite, c'est accepter par avance toutes les accusations qui vont être portées contre nous. T'arrives pas à piger cette évidence avec ta cervelle de primate ?

— Eh, baluche, on drope jusqu'à l'ambassade demander aide et protection.

— Ah ! parce que tu crois que ces beaux messieurs qui passent leur temps à masser la prostate des dirigeants syriens dans l'espoir de récupérer nos otages vont faire la nique à leur police ? Les diplomates de cette contrée du monde marchent sur des œufs. Ils se retiennent de péter de crainte de flouzer dans leur bénouze. Quand quelqu'un de haut juché leur serre la louche, ils recomptent leurs doigts après, vérifier qu'il n'en manque pas !

Nous voici dans les faubourgs de Damas. C'est grouillant de vieux tacots rafistolés, de charrettes à âne ou à bras, de vélos ferraillants, et surtout de gens, de gens, de gens. Des mômes, des adultes, des soldats, des civils, des guenilleux et des notables au coude à coude, au ventre à ventre ! Des marchands de fritaillerie hèlent le nonchalant qui passe. Ça pue, ça gesticule, ça kaléidoscope !

On ralentit de plus en plus.

— Quelle misère, soupire M. Blanc. On n'aurait même pas besoin de lui arracher sa mitraillette. Non plus que de courir. On sauterait de cette merde et on s'éloignerait les mains aux poches.

Il finit par m'user, le All Black.

— Putain d'enfoiré, si tu y tiens à ce point, faisons-le, mais tu le regretteras !

Je me tais, brutalement, les ficelles stratifiées, la cervelle liquéfiée, sans plus d'énergie que la guiguitte de Louis XVIII. C'est si spontané et si brutal que je me crois victime d'une attaque cérébrale. Je me paralyse tout ! Dis, je vais canner ou quoi ? Dans un effort désespéré, je tourne la tête sur ma droite, là où darde un rayon laser.

J'avise une grosse bagnole noire, ancienne, fourbie au polish jusqu'à la moelle, avec des chromes épais qui rutilent à t'énucléer. Ça ne doit pas être une Rolls, ce machin. Anglais, certes, cossu, moelleux, mais c'est pas une Rolls ; plutôt une vieille Daimler. Ça fait penser à un corbillard de grande famille.

Au volant, y a un chauffeur arabe en uniforme ; à l'arrière se tient un gros mec adipeux, au front dégarni. Il doit subsister deux douzaines de cheveux sur le sommet de son crâne, mais ils lui font du profit, vu la façon dont il les étale bien et les maintient collés à la gomme… arabique. Il porte des lunettes teintées, très sombres, cerclées d'or. Il a un tronçon de Davidoff Number One planté au milieu des lèvres comme un gode dans un prose. Et il me fixe. Et son regard (que je ne puis capter) est tellement intense qu'il m'est impossible de bouger, de penser, de réagir. Je suis une larve, une bouse de vache, un rien poisseux dans lequel il vaut mieux ne pas marcher.

L'homme actionne l'abaisse-vitre électrique de sa tire climatisée et se penche hors du véhicule pour se consacrer à notre jeep. Maintenant, ce n'est plus moi qu'il fixe, mais le chauffeur.

Que je t'explique, la Daimler se trouve à notre hauteur, mais en sens contraire. Nous l'aurions déjà croisée s'il n'y avait devant elle un embarras de circulation. quant à nous, nous aurions dû filer, mais notre tire paraît comme en panne. Celle de derrière klaxonne à tout berzingue, et toute une théorie d'autres chignoles idem. Et voilà que notre conducteur passe tout à coup la marche arrière et recule, pied au plancher, jusqu'à ce qu'il percute avec violence la jeep suiveuse. Dans un réflexe fou, nous avons sauté avant l'impact, M. Blanc et ma pomme.

La portière de la Daimier s'ouvre et nous nous y précipitons sans avoir eu à le vouloir.

Dans le fond, c'est commode qu'un autre pense pour toi, tu peux davantage te consacrer à tes mots croisés favoris.

CHAPITRE XVI

Un abominable roquet, poilu, informe, de grande race sûrement, à ce point de laideur, tu penses ! se met à japper contre M. Blanc.