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Il parait tout joyce, le général Croque-mort. Il sifflote une marche Turque.

— Bon, nous allons partir, fait Sasser Akdal en adressant un signe qui se voudrait d'intelligence à son sbire.

Le pitaine opine, tire de sa poche une matraque de caoutchouc et l'abat de toutes ses forces sur la nuque de Jérémie. Le grand plonge instantanément.

— Que faites-vous ? m'écrié-je, comme dans les pièces de patronage.

Le général ne moufte pas. Son âme damnée tire un paquet de sa poche. Il s'agit d'un rouleau de fil de nylon. Il se met en devoir de ligoter étroitement mon pote. Ensuite c'est au tour de Marie-Marie. Tout cela tranquillos, en homme consciencieux. Puis il se tourne vers moi.

— Vous vous laissez faire ou dois-je vous assommer ?

Tu connais l'Antonio ? Me faire ça à moi ! Et devant une jeune fille que je révère !

Avec un soupir, je tends mes bras joints. Fouad avance son putain de fil.

Et mégnasse gommeux, concentrant mes faibles forces, je lui aligne un monstre coup de genoux dans les pruneaux d'Agen.

Merci, monsieur d'Agen !

Il hurle « Vrou‚haha ! », ce qui est une plainte arabe très connue. Tu crois que je perds mon temps à lui masser les burnes ? Je saute illico sur le général, histoire de le neutraliser à demi. Mais ce sale viceloque a déjà dégainé son feu. Il va pour me braquer, le monstre. Une manœuvre pivotante d'Antonio. La balle part à deux millimètres de la nuque de Marie-Marie ! Je me jette alors sur le bras armé de Sasser Akdal et le tords éperdument.

Putain ce qu'il est fort ! C'eût été le général Gamelin, voire le maréchal Pétrin, j'en venais à bout. Mais lui, d'une secousse, il se dégage. Son geste me renverse. Il avance sa main. Saut de côté d'Antonio. Balle sur le sol. Elle ricoche après avoir écailler la mosaïque. Et puis tout cesse.

J'attends la mort. Rien ne vient. Un choc sourd ! Le général est à terre. Je m'agenouille. Sa balle a fait retour à l'envoyeur. Elle lui est entrée dans l'oeil, le foudroyant net ! Il me semble percevoir alors une sorte de rire lointain. Un rire qui tomberait de nuées orageuses. Je n'ai pas tué le général, mais il est mort de moi, en voulant m'abattre. Mort de la balle que j'ai su éviter !

Je l'ai tué, en somme, en évitant qu'il ne me tue ! Ainsi donc, envers et contre tout, se réalise le maléfice fomenté par le mystérieux, le très puissant Ditawu Monkhu ! L'homme de Bornéo a fini par obtenir ce qu'il voulait, après mille et mille contrecarres, et même, après qu'il fut mort soi-même ! O étrangeté du destin ! O mystère insondable ! O mouvance ésotérique ! La vie, la mort ! Ce qui était prévu ! L'imprévisible ! Tout cela confondu ! Et nous, pauvres êtres fragiles et ignorants, jetés dans le cosmos, grains mourants aux louches germinations ! Nous, impuissants, médusés.

Un contact glacé sur ma nuque ! Le feu du capitaine Fouad Kanar ! Va-t-il tirer ?

Je m'entends lui demander, très calmement :

— Pourquoi vous comporter ainsi avec nous qui sommes des victimes et qui vous avons aidé à déjouer l'attentat ? Est-ce ma faute si le général est mort du retour de sa balle ?

— Maléfice ! il riposte. Tout ce qui est maléfique doit périr par le feu ! Le feu purifie. Et d'ailleurs, le général ne voulait pas que vous restiez en vie pour aller clamer partout ce qui s'est passé.

Et v'lan ! Il me flanque un monstre parpaing sur la coupole. Noir complet !

Musique céleste ! Fondu enchaîné.

* * *

Acre fumée ! Crépitements ! Chaleur intense.

Nous sommes rassemblés tous les quatre Marie-Marie, Jérémie, Ditawu Monkhu et moi. Ligotés serrés, sauf le Mage qui n'a pas besoin de ça pour se tenir tranquille !

M. Blanc prononce des incantations dans ses langages forestiers, datant du début du quaternaire. Mais le feu gagne. Jérémie tente de rompre ses liens, seulement la chienlit avec le nylon, c'est que plus tu tires dessus, plus il pénètre dans ta bidoche.

— Je crois que cette fois, c'est foutu, grand ! murmuré-je.

Je respire avec difficulté. Me dis que, de toute manière, ça allait être râpé complet pour nous. La mort du général nous est fatalement fatale. On aura trop tirés sur le cordon du poêle.

— Je vais essayer de rouler vers toi et de couper tes liens avec mes dents ! halète Jérémie.

— Ça mon pote, me dis-je, c'est un coup vieux comme mes robes ! J'ai jamais vu une série « B » sans qu'il y ait l'épisode des liens défaits avec les dents !

Seulement, ce qu'il n'a pas prévu, le beau Jérémie, c'est qu'il y a Marie-Marie et Ditawu Monkhu entre nous, que nous sommes saucissonnés à bloc et qu'en un tel état, nous ne pourrons nous joindre à temps car le feu se développe et nous sommes aux deux tiers asphyxiés. Seigneur ! invoqué-je, faites quelque chose dans les meilleurs délais, sinon nous sommes perdus. Et, à la fleur de l'âge, c'est triste !

Qu'à peine ai-je eu cette superbe élévation de l'âme, mon vieux, un barouf terrible s'opère. Tout un pan de mur du salon s'écroule. Méfaits de l'incendie ? que non pas. Tu sais quoi ? Un blindé ! Oui, mon « vieux », un tank déguisé en char d'assaut, et pas un mince ! Magine-toi un monument de ferraille haut comme une maison de deux étages ! Son museau peint aux classiques couleurs du camouflage de campagne est à demi engagé dans le salon ! A travers la noire fumée et la monstre poussière de gravats, on voit s'agiter deux ombres. Elles se précipitent à l'intérieur de la taule !

— Par ici ! hurle M. Blanc.

Alors les ombres nous arrivent. Elles cessent d'être confuses. Sont en tenue léopard et béret. Des lames luisent. Nos liens sont sectionnés. On nous aide à se relever. Nous entraîne vers le monstre qui halète dans la brèche, tel un animal préhistorique à l'orée d'une caverne (je n'ai pas dit caserne) antédiluvienne. L'incendie, attisé par l'écroulement du mur, croît, ronfle, s'enrage. Soufflet de forge, tu sais ? Ça, la comparaison immanquable ! Soufflet de forge !

Notre peau cuit comme pomme au four ! Nos yeux nous brûlent. Nous étouffons.

— Bougez-vous le cul, merde ! crie la plus grosse des deux ombres.

On me guide et propulse jusqu'à un trou noir. M'y fait engouffrer. Dedans ça pue l'huile, la ferraille surchauffée, le pet stagnant. Marie-Marie est déjà affalée sur une plaque rivetée. Je l'y rejoins. Suis entre vie et mort un peu plus près de la seconde que de la première ! Présent par souffrances multiples seulement.

M. Blanc ! Comprimé ! Mais pas d'aspirine ! Il sent le noirpiot en sueur ! Les autres odeurs s'inclinent, laissent le champ libre à la sienne.

Un monstrueux vrombissement. Le mastodonte s'ébranle, s'arrache de la maison défoncée, dodeline, titube, puis repart en avant et cahin-cahate.

La fumée et la poussière qui ont pénétré dans l'engin de guerre se dissipent peu à peu. Je lève les yeux et aperçois des pieds, un cul énorme amplifié par la tenue léopard. Il balance une louise qui couvre le bruit infernal du moteur !

« Béru », me dis-je, en état second.

Une frite rouge comme un souci se penche sur moi.

Ces cheveux carotte, sous le béret ! Ces milliers de taches de rousseur fourmillant sur les pommettes et les joues…

— Mathias ? je demande.

— Oui, commissaire.

J'entends le grand rire vorace de M. Blanc.

La voix chaleureuse de M. Blanc.

— Toi, le rouquin, t'es chié, loqué en para ! J'ai déjà vu des bidasses chiés, mais chiés autant que toi, je décommande tous mes rendez-vous pour te contempler à perte de vue !