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Lino se sent responsable. C’est lui qui a amené Maurice dans le coup.

T’en fais pas, halète-t-il… Je le repiquerai…

— Je te le souhaite, dit Max.

Il sort son fume-cigarette d’or de la poche intérieure de son veston. Il visse une cigarette dans le petit tube. Mais sa main tremble.

Lino a un goût de meurtre dans la bouche. Il regrette que Maurice ne soit qu’un. Il aimerait qu’il ait le don d’ubiquité pour pouvoir tuer une quantité folle de Maurice, les uns après les autres, en prenant son temps.

CHAPITRE PREMIER

Je suis arrivé chez ces dames sur le soir. J’avais eu du mal à trouver, parce que la maison cachait derrière un atelier construit en léger et qu’il n’y avait pas de plaque sur l’atelier. Comme je ne tenais pas trop à me faire remarquer dans le patelin, je n’avais demandé mon chemin à personne, ce qui m’a obligé de parcourir, au ralenti, toutes les petites rues mal pavées du pays.

Chez Broussac, c’était nettement en dehors de l’agglomération. On longeait le mur branlant d’une espèce de vieux château pourri et puis, brusquement, ça faisait comme un renfoncement et c’était là.

L’atelier en ciment armé ressemblait à une énorme guérite. À sa gauche, un portail rouillé, fermé par une chaîne à cadenas, s’ornait d’une ravissante bordure d’orties pour bien montrer que depuis belle lurette on ne l’avait pas ouvert. Le tout faisait triste et vieux.

J’ai poussé la porte vitrée de l’atelier. Celui-ci n’était éclairé que par une lampe de cinquante bougies, qui n’en finissait pas de pendre du plafond. Le type qui avait installé l’électricité dans ce local ne s’était vraiment pas cassé le chou. Et pourtant l’endroit valait le coup d’œil.

Figurez-vous une espèce d’entrepôt pour musée Grévin. Quand on entrait là-dedans, on croyait faire un cauchemar. Il y avait des masques partout : sur des rayonnages et plein des mannes d’osier. On les écrasait en marchant. Des masques ratés… on ne se donnait pas la peine de balayer… En guise de tapis, on piétinait la figure de Maurice Chevalier… Son grand rire était tout aplati.

Dans le fond, un vieux bonhomme minable, avec une blouse grise, un béret, une moustache trouée par les mégots fumés trop courts et des lunettes rafistolées, peignait le portrait de je ne sais pas qui avec du vermillon… Il tirait la langue en s’appliquant, comme les mômes à l’école. Une sale langue blanche avec du papier de cigarette collé au bout.

Près de lui, une petite jeune fille bigleuse, moche à pleurer, faisait des paquets sans avoir l’air d’y croire.

Ils discutaillaient tellement, tous les deux, qu’ils ne m’ont pas entendu venir.

— T’as expédié les Khrouchtchev ? demandait le bonhomme à la moustache mitée.

— Oui, m’sieur Victor, bêlait l’autre idiote.

— Et les Eisenhower ?

— Je suis en train.

— Attention de ne pas les confondre… Ils se ressemblent comme deux gouttes d’eau !

J’ai toussé sur cette bonne réplique. Le vieux a relevé la tête et il s’est contorsionné pour essayer de me regarder par-dessus ses lunettes déglinguées.

— Qu’est-ce que c’est ? m’a-t-il demandé d’une voix qui n’osait pas me dire merde mais qui s’y préparait.

J’ai mis un doigt à hauteur de mon chapeau, parce que j’ai toujours respecté les ancêtres, même lorsqu’ils n’ont pas une vieillesse très présentable.

— Je voudrais causer à M. Broussac. Pas le père… le fils…

— Heureusement, a marmonné le vieux type, en se mouchant avec la manche de sa blouse, parce que pour le père, faut s’adresser au cimetière maintenant !

À sa voix, on sentait qu’il était assez content que son patron l’ait précédé au pays des allongés.

— C’est Mme Broussac qui s’occupe de l’affaire, m’a-t-il expliqué.

— J’ignorais, mande pardon !

L’autre, aussi sec, s’est mis à tout me raconter : Mme Broussac veuve depuis six ans… Son courage édifiant… Ses deux grandes filles si gentilles ! Il allait attaquer sur son ordure de fils lorsque je lui ai rappelé que c’était justement lui que je venais voir.

— Vous avez de la chance, a-t-il soupiré. Maurice est justement là… Et pourtant ça faisait quatre ans qu’on ne l’avait pas vu…

C’était de la chance en effet ! Une chance en échange de laquelle j’aurais donné dix ans de ma vie sans rechigner, si on pouvait tirer des chèques sur sa vie en étant sûr qu’ils seront approvisionnés.

— On peut le voir, ce brave garçon ?

— Prenez la porte du fond remontez l’allée… La maison est juste derrière.

— Merci.

J’ai eu l’idée de lui offrir une cigarette, tellement j’étais content ; mais il avait la tête à fumer du bois mort plutôt que des blondes !

Si l’atelier était pittoresque, le jardin n’était pas sale non plus. Il y poussait plus de ronces que des poireaux ; d’ailleurs elles faisaient plus joli que des poireaux. On apercevait une tonnelle rouillée avec des rosiers grimpants autour, des bancs de pierre verdis, d’anciens massifs qui se distinguaient encore à travers la mauvaise herbe, et puis, partout, de vieux arbres aux troncs éclatés qui constituaient une aubaine pour les oiseaux flemmards.

À quelques mètres de l’atelier se dressait la maison. Quand on l’avait construite elle devait faire rupin, on le comprenait tout de suite au fromage prétentieux qui ornait les fenêtres, au toit d’ardoises, au perron en forme d’éventail. Mais maintenant elle faisait fauché, ni plus ni moins. Fauché de province, pour être précis. La façade décrépite ressemblait à la gueule d’une vieille dame qui a essayé de sauver les apparences tant qu’elle a pu et puis qui, un matin, a dit merde en se regardant dans une glace. Elle partait en morceaux. Elle était couverte de grandes plaques pareilles à une maladie. Dans un sens, c’en était une : la maladie de la fauche !

J’ai grimpé les marches, une main passée à l’intérieur de ma veste, pas du tout pour réprimer les battements de mon cœur.

J’ai tourné le loquet de cuivre. Le corridor puait la misère confortable. Une odeur bizarre, que j’avais reniflée je ne me rappelais plus où, il y avait très longtemps. Une odeur de cire, de vieux bois, de linges repassés… Une odeur ! Ah oui… Je m’en souvenais : une odeur de sacristie. Il devait y avoir des gravures pieuses un peu moisies par là… dans des cadres noirs.

Les murs étaient couverts de lézardes qu’on avait colmatées avec du plâtre. Le dallage brisé, lui, avait été rafistolé avec du ciment. De chaque côté du couloir s’ouvraient deux portes en bois vernis. Elles avaient l’air neuves parce que le vernis coûte pas cher et qu’on les fourbissait à tout berzingue, histoire de sauver l’honneur.

Derrière la première de droite, s’élevait un murmure de voix. Deux voix de femmes. Je me suis approché, l’oreille frémissante.

— Pourquoi a-t-il fait ça, soupirait l’une d’elle.

— Parce que c’est devenu un ignoble petit voyou, a répondu la seconde, très sèche.

— Qu’allons-nous devenir ?

— Vends les titres !

J’ai frappé discrètement.

— Entrez !

La pièce était un bureau. Un bureau pour directeur de pensionnat libre en faillite, si vous voyez ce que je veux dire ?

Papier de tapisserie pisseux, à rayures jaunes… Chaises rococos, bureau à volet, brillant de cire ; et puis les inévitables gravures pieuses que j’attendais.