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— J’espère que tu vas arriver tout de suite. Ton absence serait… serait… odieuse ! Quoi ?

Il lâchait la grosse question qui lui nouait les tripes.

Jacqueline a eu vers moi un nouveau regard plein d’éloquence.

— Oui, il est toujours ici !

— Non, tu ne crains rien… Attends, je te le passe…

Elle a brandi le combiné dans ma direction.

J’ai eu un moment d’indécision, puis je l’ai pris.

— Allô, Maurice ?

Silence. J’ai cru qu’il n’était plus en ligne, mais j’ai perçu sa respiration.

— Écoute, Maurice… Maintenant que ta vieille est morte, ça n’est plus tout à fait pareil… Tu peux t’amener, on s’arrangera… Tu ne vas pas la laisser mettre dans les planches sans l’embrasser ! Elle t’a demandé avant de passer… Ton nom, ç’a été son dernier mot ! Tu comprends !

Je me surveillais pour ne pas chialer encore. J’étais devenu une femmelette parmi ces femmes !

— Alors, arrive ! Tu as ma parole, Maurice…

J’ai raccroché.

— Il ne tardera pas, ai-je promis à Jacqueline.

* * *

Il n’est pas venu.

Nous avons passé vingt-quatre heures à l’attendre. Chaque fois qu’on frappait à la porte ou que nous entendions une auto stopper devant la maison, nous pensions que c’était Maurice, et chaque fois notre attente était déçue…

Jacqueline a fait retarder le plus longtemps possible la fermeture du cercueil… Et puis, quand elle a compris que son frère était le type le plus lâche, le fils le plus immonde de la terre, elle a laissé faire les menuisiers…

Cette absence de Maurice anéantissait les deux sœurs plus que tous ses méfaits antérieurs, plus que le vol dont il s’était rendu coupable. Des instincts meurtriers se réveillaient dans mon cœur. Ce gars-là ne méritait pas de vivre. Je ne pouvais plus penser à lui lui sans serrer les poings. Quel plaisir j’aurais pris à le massacrer !

Songer qu’il était quelque part, à l’affût, en sachant que sa mère reposait dans une boîte de sapin, qu’on allait revisser le couvercle sur elle, pour toujours… et s’abstenir de paraître… Je ne pouvais pas l’admettre. C’était une faute qui concernait l’humanité tout entière. Même moi, quand j’avais appris la mort de ma garce de mère, j’avais fait le voyage à Napoli pour aller lui souhaiter le bonsoir… Et pourtant ça n’avait jamais représenté à mes yeux qu’un ventre de femelle dans lequel j’avais été conçu un soir de bringue !

Il est des circonstances où la peur doit tomber… Où les plus poltrons reprennent courage. Où les lavettes redeviennent des hommes !

Je me suis demandé, à la fin, si Max et ses amis ne l’avaient pas par hasard intercepté au passage. Mais un coup de fil, le matin de l’enterrement, m’a détrompé.

La voix de Max, toujours froide et suspicieuse, m’a écorché le tympan.

— Alors, Lino, ce deuil ?

Une fois de plus, je me suis demandé ce qui m’avait poussé à me marier avec ce truand pour le coup de la bijouterie. Lui, il était plus insensible que la pierre d’un tombeau. Rien ne pouvait l’émouvoir.

Comme je ne trouvais rien à lui dire, il a repris :

— L’enfant chéri est venu balancer l’eau bénite ?

— Non, pas encore…

— Mince, il attend quoi ?

— Je ne sais pas. Il a dû piger l’astuce.

— C’est à quelle heure, les funérailles ?

— À trois heures, tantôt !

— Il s’annoncera peut-être à la levée du corps ?

— Peut-être…

— Cette fois, un conseil, Lino : le rate pas !

— Fais-moi confiance.

— Ça fait déjà un bout de temps que je te fais confiance, Lino, je commence à trouver le temps long…

Il a raccroché. Son souci, quand il tubait à quelqu’un, c’était de couper la communication en premier. Il se serait cru déshonoré qu’on lui foute le petit déclic dans l’oreille.

J’ai usé les dernières heures à tourner en rond dans le jardin. À force de piétiner les herbes folles, j’avais pratiqué une sorte de petite clairière à la place des anciens massifs.

Une heure avant la levée du corps, Jacqueline est venue me rejoindre. Elle était déjà prête : toute en noir… Il ne lui manquait que le chapeau avec le crêpe.

— Viendrez-vous aux obsèques, Lino ?

— Pourquoi ?

— Je voudrais que vous veniez…

— Alors j’irai.

Elle a eu l’air satisfaite.

— J’avais peur que vous ne refusiez.

— Croyez-vous que les assassins doivent absolument aller à l’enterrement de leurs victimes ?

— Quand ils le peuvent, oui !

Je n’avais rien de convenable pour suivre un enterrement. Je ne me voyais pas avec ma veste sport et mon pantalon défraîchi derrière le corbillard de Mme Broussac. Je l’ai dit à Jacqueline…

— Venez avec moi… Il reste des vêtements de mon père dans une malle. Maman les conservait pieusement… C’était un homme trapu comme vous… Ça devrait vous aller…

Nous sommes allés dans une vieille penderie située avant le grenier. Je connaissais la malle en question pour l’avoir fouillée lors de mes perquisitions.

Les fringues qu’elles contenaient étaient moisies et sentaient le cadavre. Et comme coupe, il fallait voir ! Pour se déguiser en plénipotentiaire 1918, à la rigueur je ne dis pas…

Jacqueline a été la première à convenir que ça n’était pas possible.

— Ne vous tourmentez pas, lui ai-je fait, je suivrai à distance. J’ai déjà vu des chiens derrière des corbillards… Ma place dans le cortège, c’est après celle des chiens !

CHAPITRE XVII

Les croque-morts avaient du mal à descendre la bière par l’escalier, car celui-ci faisait un coude brusque, au premier. Et pourtant, il n’était pas lourd, le cercueil. Je me rappelais combien Mme Broussac était légère, dans mes bras, lorsque je l’avais relevée dans la rue.

Peu de monde attendait dans le couloir… Les deux filles, Victor, avec des décorations plein son pardessus, Jeanne, une voisine, le maire et sa femme… Le curé…

Je voyais bien que les gens étaient intrigués par ma présence. Ils chuchotaient en se poussant du coude. Jacqueline leur a dit que j’étais l’associé de son frère et que je représentais Maurice, retenu à Paris par une maladie… Cette fois, il ne restait plus qu’à souhaiter que le fumier ne se montrât pas, pour sauver les apparences…

On a traversé le jardin. Le cercueil dansait sur les épaules des porteurs. Le soleil de ce jour-là brillait sur les poignées et le crucifix d’argent…

Le curé chantait ses choses tristes qui font penser, à cause de l’intonation, à de l’arabe.

Je voulais rester à l’écart, comme convenu… Mais au dernier moment, comme nous sortions de l’atelier où les masques continuaient de rire férocement, Sylvie a eu comme une défaillance et s’est agrippée à mon bras. J’ai voulu la passer à quelqu’un, seulement elle s’est cramponnée ferme et m’a entraîné. Ce n’était pas une défaillance, mais plutôt une ruse.

— Lino, a-t-elle chuchoté sous son voile… Lino, il faut que je vous parle.

— Pas maintenant, ai-je balbutié avec le coin de la bouche.

— Au contraire, c’est le moment que j’attendais… C’est derrière le cercueil de maman que je veux vous dire ça…

Qu’allait-elle m’apprendre ? Sa voix était coupée de sanglots rauques qu’elle s’efforçait de réprimer. Il lui fallait un sacré cran pour pouvoir parler. Jacqueline allait, un peu plus à droite, tête basse…