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Il croyait que je le bluffais, et que je parlais ainsi uniquement pour le torturer.

— Seulement je ne peux pas partir comme ça… Tu comprends ?

— Qu’est-ce que tu vas faire ?

— Ta gueule !

J’ai soulevé le canon de l’arme.

— Ne dis rien, ça vaut mieux… Après tout, je ne suis pas tellement sûr de pouvoir me retenir…

— Écoute, Lino…

Je lui ai lancé un coup de pied dans les chevilles. Il a gémi, puis il a rencontré mes yeux et s’est tu instantanément. Je ne devais pas être très beau à contempler.

— Quitte ton imperméable…

Maurice a hésité. Il a déboutonné son vêtement de pluie et l’a laissé couler à ses pieds dans un mouvement presque féminin.

— Ta veste !

Il a quitté sa veste.

— Ta chemise…

Il est resté béant, peureux… Il ne voulait pas, il avait trop peur…

— Ta chemise ! ai-je gueulé…

Il a vite dénoué sa cravate, puis sa chemise a été dégrafée et la vue de sa peau rose de bébé bien talqué où sur la poitrine végétaient quelques poils blonds m’a redonné envie de tirer… J’ai fermé les yeux un bref instant. Je sentais la présence de Mme Broussac dans la maison. Non, je ne pouvais pas lui faire ça.

Il claquait des dents, maintenant… Sa peau se hérissait… J’ai avancé la main vers sa ceinture, je l’ai dégrafée et j’ai tiré sur la boucle, d’un coup sec. La ceinture est sortie des ganses du pantalon, arrachant la dernière… j’ai fait glisser la boucle à terre. J’ai assuré l’extrémité de la lanière dans ma main en lui faisant décrire un tour mort.

Alors la séance a commencé. Au premier coup, la boucle lui a arraché un gros morceau de viande sur l’épaule… Il a crié comme un gosse échauffé. J’ai levé mon fouet improvisé. Ma colère était si terrible que je regrettais de ne pouvoir frapper plus vite ni plus fort.

Je levais mon bras et le laissais retomber avec une puissance de robot. Comme un robot remonté, rien ne pouvait m’arrêter. Maurice courait dans tous les sens, en essayant de se protéger… Mais je marchais sur lui sans hésiter, le rattrapant toujours en deux enjambées… La ceinture frappait. À chaque coup la boucle entaillait sa chair… Il saignait de partout… Son torse n’était qu’une plaie ; du sang coulait dans ses cheveux… Il avait la bouche écrasée, le nez ouvert, un œil énorme.

— C’est pas pour les diams, Maurice, lui ai-je crié à un certain moment… C’est pour elle, là-haut, que tu as tuée… Pour elle que tu as laissé partir comme ça…

— Pardon, Lino ! Je t’en supplie : arrête !

Je n’éprouvais aucune pitié pour sa figure dévastée, pour sa chair meurtrie…

Je cognais toujours… Une grande brûlure naissait dans mon épaule. Je continuais malgré tout. Je savais que je ne m’arrêterais que lorsque je n’aurais plus la force de lever le bras…

Tout à coup, la boucle de la ceinture a voltigé à travers la pièce. La lanière de cuir m’a semblé légère, inefficace… Je l’ai laissé tomber…

Maurice, écorché vif, était quasi évanoui. Il gisait sur le beau parquet trop ciré, geignant faiblement… Essayant de respirer comme il pouvait avec son nez fendu et ses lèvres crevées.

J’ai empoché le revolver que je tenais toujours dans ma main gauche.

— Tu peux m’entendre, Maurice ?

Je me suis penché. Il était étendu sur le plancher, le bras sous le corps, la joue posée sur un patin de feutre.

— Si j’ai un conseil à te donner, c’est de te faire oublier… Fous vite le camp : les autres seront encore moins doux que moi !

Je lui ai mis un dernier coup de pied dans les côtelettes.

— Allez, adieu !

CHAPITRE XVIII

Je n’arrivais pas à descendre les quatre marches moussues du perron. Le soleil semblait me clouer sur le seuil de la porte. Et puis, je sentais bien que jamais plus je ne revivrais une pareille aventure… Pendant trois jours, j’avais réussi à être un homme comme les autres, ou du moins à m’en donner l’illusion. Un homme au milieu de vraies femmes… Un homme dans de la chaleur, dans de la douceur… Un homme qui marchait sur des morceaux de feutre pour ne pas salir le parquet ciré, qui essuyait la vaisselle, en cassant des assiettes… Un homme surtout qui achetait des bonnes choses dans des magasins et qui les ramenait avec le doigt passé dans la boucle de la ficelle. Un homme enfin qui chaussait des pantoufles et lisait le journal en regardant une mère jouer aux dames avec sa fille…

J’avais percé le grand mystère… celui qui tourmente les truands ! Je savais maintenant ce que faisaient les honnêtes gens, chez eux, derrière leurs sacrés volets fermés. Ils essayaient d’être heureux, et ils y parvenaient à leur manière…

Moi j’allais retrouver mes bars, mes potes, les pétasses… La vie d’aventure que j’avais choisie sans le vouloir… Pendant quelque temps encore, je penserais à ces trois jours-là. Et puis, mon souvenir durcirait comme durcit le ciment en séchant…

Et ce serait fini…

J’ai descendu une marche… Deux marches… Le jardin avait l’air d’un tableau fraîchement peint. Il était lumineux et immobile.

J’ai descendu la troisième marche… L’odeur de la vieille maison commençait déjà à s’estomper. Son odeur de vieux bois, de cire et d’eau de Javel… son odeur d’images pieuses moisissant dans des cadres noirs… La quatrième marche enfin…

J’ai pris l’allée semée de graviers… C’est alors qu’il y a eu un bruit de vitre brisée. Je me suis retourné. J’ai aperçu le masque sanguinolent de Maurice accroupi derrière la fenêtre du bureau.

Il venait de briser l’un des carreaux avec son revolver… J’avais eu tort de céder au louche enchantement de la propriété. Ça lui avait donné le temps de fouiller ses fringues, de récupérer son revolver…

— Alors, ai-je fait, tu deviens donc un homme maintenant ?…

Il a grimacé derrière les languettes de vitre restant en place. Il y a eu un éclair bleuté… Une détonation… La balle a déchiré le feuillage au-dessus de ma tête et s’est plantée dans le toit de l’atelier.

J’ai haussé les épaules.

— Manche !

Il connaissait donc la vengeance, Maurice ? Il n’était pas complètement mort, alors ? Il y avait peut-être un peu d’espoir pour lui… Ce coup de feu, c’était déjà un début de guérison, non ? Mme Broussac devait être contente, là-haut, bien qu’elle eût détesté la violence…

Un second coup de feu a déchiré le silence. Dans un poulailler proche, une poule a poussé un cri bizarre, pareil à un glapissement. Comme en poussent les mères-poules quand elles voient planer un oiseau de proie au-dessus de leurs poussins.

Cette fois-ci, le coup de feu est allé frapper le vieux portail, dans un jaillissement de rouille pulvérisée.

Il n’avait rien du tireur d’élite, Maurice…

Pourtant, comme retentissait la troisième détonation, j’ai senti un coup dans mes reins… Un coup de poing, aurait-on dit. Il m’a fait trébucher… Mais j’ai continué ma route… Mine de rien. L’atelier avec les masques ricaneurs… La ruelle baignée de lumière…

Je me demandais où la balle m’avait atteint. Je respirais avec difficulté… Je ressentais une lourdeur dans le dos… J’avais l’impression d’avoir fourni un effort terrible et de subir un coup de pompe…

Je me suis adossé au mur de pierre…

— Ça ne va pas, Lino ?

Je n’avais pas entendu arriver l’auto. Il faut dire que Max avait repris sa belle Chevrolet chromée et que ces outils-là ne font pas de bruit…