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Elles n’ont rien répondu. Je suis monté.

Elles ont bavassé un bout de temps en bas. Dans la maison, il y avait de plus en plus une ambiance d’enterrement. Enfin elles sont montées se coucher…

J’étais assis dans un fauteuil, les jambes sur l’accoudoir, et je grillais une cigarette lorsque Jacqueline a frappé à ma porte. Avant qu’elle entre, j’ai su que c’était elle. Rien qu’à la façon énergique de toquer.

— Entrez !

Elle portait une robe de chambre rose, qui mettait en valeur ses cheveux châtain clair.

— C’est gentil de venir me souhaiter le bonsoir.

Au lieu de répondre, elle regardait le désordre qui m’entourait. Je venais de faire une perquise en règle de la pièce et tout se trouvait sens dessus dessous.

— Vous tracassez pas, je rangerai, lui ai-je dit en souriant. Vous vouliez me parler ?

Elle a refermé la porte et s’est avancée vers moi. Il y avait une jolie rougeur sur ses joues. Je l’impressionnais, mais elle s’efforçait d’avoir du cran.

— Oui. C’est au sujet de ma mère…

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Elle a le cœur fragile…

— Mince !

— Avec toutes ces émotions… J’ai peur pour elle. Si vous saviez tous les chagrins, tous les soucis qu’elle a…

Elle commençait à me faire tartir. J’allais écoper de la grande tirade sur les malheurs de Maman Broussac. Ses malheurs ! je les connaissais aussi bien qu’elle. Et même je lui en préparais de nouveaux.

Des malheurs bien mijotés, bien saignants… Le cœur fragile ! Pas d’émotions ! C’était bien des idées de bourgeois, ça !

J’ai désigné le lit. Le matelas avait été roulé sur le sommier. Et les draps et les couvertures pliés couronnaient le matelas.

— Ça ne vous ennuie pas de m’aider à faire le lit ? je lui ai demandé. Je suis à peu près aussi manche pour ça que pour la vaisselle !

Elle a hésité, puis elle s’est approchée.

On a commencé à dérouler le matelas.

Je parie que c’est la première fois que vous faites un lit avec un homme ? ai-je dit en riant.

Elle a lâché le drap qu’elle étalait et elle est sortie.

CHAPITRE V

J’ai dormi comme un bienheureux.

C’est de la musique qui m’a réveillé. Une musique douce et plaintive. Je me suis levé. Ça venait de la chambre à côté. En moins de deux, je me suis habillé pour aller voir. J’ai jamais pu résister à une musique, moi. Mon sang italien, je suppose ? Tout môme, je me rappelle, dans les rues de Naples, je courais derrière les fanfares…

Je suis allé frapper à la porte voisine. Personne n’a répondu. Alors j’ai tourné le loquet.

La petite Sylvie jouait du violon. Une merveille ! Elle le tenait contre sa joue, avec amour. Si un jour elle avait un tel geste de tendresse pour un homme, il deviendrait complètement dingue.

Elle était debout près de la croisée, devant un pupitre pliant. Elle portait un pantalon de velours noir, un pull orange et elle avait lié ses cheveux en un énorme chignon derrière la tête.

J’ai fait si doucement qu’elle ne m’a pas entendu entrer…

Elle a continué de jouer jusqu’à la fin du morceau. Quand elle a eu terminé, elle m’a entendu respirer, derrière elle, et elle s’est retournée.

— Continuez, mon petit… C’est rudement bien…

— Que faites-vous ici ?

— J’étais venu visiter votre chambre. Hier je n’ai pas fouillé les meubles. Mais rien ne presse…

Sylvie est allée déposer son violon et l’archet sur l’édredon. On aurait dit un curieux animal, tout luisant, niché dans ce paquet de plumes. Je l’ai caressé du bout des doigts, impressionné.

— C’est pas gros, j’ai soupiré. On ne peut pas se figurer qu’il a toute cette belle musique dans le bide !

Elle a crié :

— N’y touchez pas !

Son regard bleu était mauvais. J’aurais essayé de la tripoter, elle n’aurait pas eu une réaction plus spontanée.

Ça m’a rappelé aux réalités. Max m’aurait vu, bêlant devant ce violon de rien du tout, il aurait voulu faire vilain !

J’ai coincé Sylvie dans l’angle formé par son lit et le mur. Elle a élevé ses mains à la hauteur de ses petits seins de pucelle.

— Ne me touchez pas !

— Eh, dites, c’est une maladie ! Alors il ne faut rien toucher, ici !

Son geste de défense n’était pas si bête. Elle avait compris avant moi ce qui se passait dans ma tête. Les femmes, même toutes jeunettes, ont un instinct extraordinaire.

Il m’est venu une bouffée curieuse, en pleine figure. Comme si mon sang voulait sortir par mes yeux… J’ai avancé la main. Je ne savais pas encore où j’allais la poser. Tout me tentait dans ce petit corps souple.

Je me suis ressaisi à la dernière seconde et je lui ai pris le menton.

Elle avait fermé les yeux.

— Regardez-moi, Sylvie !

Elle a soulevé ses paupières, intriguée par ma voix. Il faut dire que j’avais moi-même du mal à la reconnaître. On aurait dit que je parlais depuis le fond d’un puits…

— Vous êtes certaine que votre frère ne vous a pas confié les bijoux ?

— Vous êtes fou !

Je l’ai lâchée. Elle a eu le culot de me repousser. Ses poings menus ont pris appui contre ma poitrine. Elle était forte, cette petite bougresse.

— Pour qui me prenez-vous ! a-t-elle continué.

— Mais… pour la sœur de votre frère…

Je me suis reculé parce que c’était ridicule, cette gamine qui me repoussait. J’avais l’air de quoi ?

Pour me donner une contenance, je suis allé droit à la commode : un vieux meuble avec des pieds Louis quelque chose. J’ai ouvert le tiroir du haut. Il contenait de la lingerie… Des chemises, des combinaisons…

Sylvie a filé à la porte et elle est ressortie en la claquant aussi fort qu’elle a pu pour me montrer combien elle était fâchée.

Drôle de petite fille… L’idée m’était venue, en regardant sa lingerie, que ça devrait être intéressant de se l’envoyer ! Seize ans ! Vous parlez d’une aubaine ! Seulement fallait y aller mollo, attendre son heure…

Mes doigts s’égaraient sur la soie blanche d’une culotte. Ça m’agaçait les ongles. Mes jambes tremblaient un peu… J’avais l’impression de violer Sylvie.

Elle est revenue pour récupérer son violon. Elle avait sûrement peur que je l’esquinte. Quand elle m’a surpris avec cette culotte dans les pattes, elle est devenue écarlate.

— C’est joli, ai-je murmuré en clignant de l’œil. J’aime bien le blanc. Les dames que je connais en ont des noires. À la fin, ça finit par faire un peu deuil !

Elle s’est sauvée sans demander son reste.

Je me suis rendu compte que je venais d’y aller un peu fort. Si la gosse rapinait ça à sa mère et à sa sœur aînée, j’étais certain que les choses se gâteraient.

Je suis descendu sur la pointe des pieds.

* * *

Naturellement, il y avait conseil de guerre en bas. Tout l’état-major était réuni dans le vieux bureau.

— Écoute, Maman, disait Sylvie, la présence de cet homme sous notre toit est intolérable. Il a des façons…

— Il t’a manqué de respect ? a questionné Mme Broussac d’un ton anxieux.

— Non, mais…

Tiens, tiens ! Elle ne chargeait pas trop, la petite violoniste. Peut-être qu’elle voulait ménager le cœur de Maman, à moins qu’elle ait honte, tout bonnement.

— Je me demande s’il s’agit vraiment d’un policier, a murmuré Jacqueline.