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— Je voulais savoir si vous alliez mieux, dit-il.

Elle hoche la tête.

— C'est à n'y rien comprendre, avoue-t-il. Mon frère s'est volatilisé. Pourtant, toutes ses affaires sont là, ses papiers, ses vêtements.

— Il est peut-être parti en voyage ? hasarde Stéphane.

— Léonard voyage souvent, et loin. Mais ses patients, son confrère n'ont pas été prévenus. Il a trop de responsabilités pour s'envoler sans rien dire. Ce n'est pas son style. Et de surcroît, il n'a pas pris son passeport. Je suis assez inquiet, vous savez.

— Les policiers ont fouillé partout ? demande Colombe d'une voix faible.

Philippe Faucleroy hoche la tête.

— Chaque centimètre au peigne fin. Je les ai suivis pas à pas. Ils n'ont rien trouvé. Rien du tout.

12

DE L'ANÉMIE, et une fatigue due au manque de sommeil. Une crise d'angoisse également. Voilà tout ce que le docteur Ducruet a décelé. Il lui a prescrit du fer, des vitamines et un calmant. Il faut que Colombe se repose, qu'elle se remplume. Elle n'a jamais pris de calmants. Stéphane la force. Le médicament lui rend son sommeil, une certaine sérénité.

Le lendemain matin, Colombe flotte dans un état d'apesanteur étrange. Ses gestes sont lents, sa voix un peu cassée. Rester chez elle l'ennuie. Rien à faire, à la maison. Elle décide de sortir, de prendre l'air. Dans la vitrine d'un magasin, surgit une créature échevelée au visage hagard. C'est elle, ça ? Elle ne se reconnaît pas.

Colombe erre le long de l'avenue de La Jostellerie, se perd dans les dédales d'un centre commercial surchauffé. Vers midi, la faim la tenaille. Elle s'achète un sandwich. Assise sur un banc, elle regarde les clients du centre commercial aller et venir avec leurs caddies. Le sandwich est trop gras. Elle n'a rien pour s'essuyer les mains. Longtemps elle reste là, les yeux vides. Où est-il ? Pourquoi n'était-il pas dans l'appartement ? Depuis hier, elle n'a pas cessé de se poser les mêmes questions.

Elle n'aurait jamais dû prendre de calmant. Elle se sent vide, amorphe, bête. Bouger est un effort surhumain. Comment va-t-elle faire pour rentrer chez elle ? Pour se mettre debout ? La valse des caddies continue. Une musique synthétisée envahit le grand hall bariolé. Des mères de famille défilent, des gamins braillards, des vieillards au pas hésitant. Trois heures qu'elle est là, sur ce banc, les doigts imprégnés de gras, somnolente, molle. Si son mari la voyait… Un sursaut d'énergie. Oh, ça suffit, avec son mari. Elle n'en a plus rien à cirer de son mari, elle ne le supporte plus. Eh bien voilà ! Elle se l'est avoué, elle se l'est dit.

Les caddies défilent toujours, en rythme avec la musique sirupeuse. Colombe ne les voit pas, n'entend rien. Le docteur Faucleroy reviendra-t-il ? Et s'il avait décidé de quitter la ville… À cause d'elle ? Sans aucun doute. Elle l'avait chassé. Elle avait tout fait pour le chasser. Fabriqué un double de ses clefs. Fouillé dans ses affaires. Lu ses lettres. Trafiqué toutes sortes de choses chez lui. Failli le tuer.

Elle est rentrée d'une longue promenade au parc Cobert. L'air est froid et vif. Elle a le bout du nez tout rose. Dans la cuisine, elle met de l'eau à chauffer pour son thé. Ses lèvres sont légèrement gercées, elle va chercher sa pommade hydratante dans la salle de bains. Les travaux pour réparer les dégâts de la fuite n'ont pas encore commencé. La pièce sent toujours l'humidité. Les murs sont maculés de longues traînées noirâtres, le plafond est orné de boursouflures. Colombe ne les voit plus.

Elle se sent mieux qu'hier. À l'insu de Stéphane, elle n'a pas repris le calmant. Plus question de jouer les épaves dans les supermarchés. Elle applique la pommade sur ses lèvres, se regarde dans la glace. Oui, elle a meilleure mine. Ses joues sont moins pâles. Un coup de peigne, et elle se trouve presque normale. Ses yeux atterrissent sur un mince cercle d'or qui brille sur le lavabo, juste à côté du savon. Elle pose le peigne, saisit la bague entre le pouce et l'index, examine l'intérieur.

« Stéphane et Colombe Barou ». Son alliance.

Une vague d'horreur la parcourt. Son alliance. Mais que fait-elle ici ? Qui l'a mise sur le lavabo ? Dans la cuisine, la bouilloire siffle à tue-tête. « Lui »… Ça ne peut être que lui. Comment est-il entré ici ? Quand ? Pendant qu'elle se promenait ? La bouilloire crie comme un cochon qu'on égorge. « Il » est revenu. Il sait tout. Affolée, elle court dans la cuisine, éteint la bouilloire, tourne en rond. Ses gestes sont désordonnés, maladroits. « Lui ». Il est venu chez elle. Non ! C'est impossible. Mais alors que fait cette bague sur le lavabo ? Elle regarde par la fenêtre vers l'appartement du docteur Faucleroy. Rien derrière les vitres. Vite, chez Mme Georges. L'escalier dévalé en quelques secondes. Non, le docteur Faucleroy n'est pas là, pensez-vous, elle l'aurait su. D'autant plus que son frère a fait changer la serrure. Le docteur devra passer par la loge pour obtenir ses nouvelles clefs.

Lentement, Colombe remonte chez elle. L'alliance brûle son doigt comme si l'or était chauffé à blanc. Elle sait une chose. Une chose irréfutable.

S'il est revenu, c'est pour se venger d'elle. C'est pour la faire payer.

Plus tard, lorsque Stéphane rentre, elle se sent rassurée. Il ne peut rien lui arriver. Tant que son mari est à la maison, Léonard Faucleroy se tiendra à distance.

Stéphane est fatigué. Il a des soucis au travail. Son mal de dos le reprend. Après le dîner, une fois les jumeaux couchés, il s'installe dans le salon pour regarder la télévision.

— C'est toi qui lis ça ? demande Stéphane.

Colombe sort de la cuisine, un torchon à la main. Stéphane brandit un roman. Vox, de Nicholson Baker. Colombe serre le torchon avec violence.

— Corsé, on dirait ! Stéphane feuillette le livre en gloussant Pas le genre de bouquin à laisser traîner au salon, Coco.

Colombe s'est approchée. Le roman que tient son mari est bien celui qu'elle a vu chez le docteur Faucleroy, celui qu'elle avait fait tomber.

— Dis donc, qui c'est, ce « Léo » ?

Colombe lui arrache le livre des mains.

Sur la page de garde, une dédicace au feutre rouge.

À ma belle de nuit, ma jolie Colombe

Tendresses,

Léo

Une date. Celle d'aujourd'hui.

Colombe sent ses joues se vider de leur couleur.

— Qui est ce type ? aboie Stéphane. Qui t'a donné ce livre ?

Colombe regarde la page, puis son mari.

— Je ne sais pas, murmure-t-elle. Je ne sais rien.

Stéphane la dévisage, sort de la pièce, claque la porte de toutes ses forces.

Colombe téléphone à un serrurier, précise qu'il faut changer la serrure le plus rapidement possible. L'homme arrive peu après, étudie la porte d'entrée.

— Vous avez un blindage, une serrure à trois points… Ça va faire dans les quatre mille francs, madame. Sans compter un nouveau jeu de clefs.

Colombe hésite. Une somme d'argent importante. Les époux Barou ont un compte commun. Stéphane remarquera tout de suite un tel trou, il surveille de près ses comptes. De surcroît, si elle fait changer la serrure, elle sera bien obligée de fournir une nouvelle clef à son mari. Il ne manquera pas de lui réclamer des explications. Elle sera obligée de broder, de raconter qu'elle a perdu ses clefs, qu'on lui a volé son sac, qu'on a forcé la serrure. Colombe se sent incapable de mentir. Elle renonce au changement de verrou, demande au serrurier de poser une chaîne de sécurité sur la porte. Mais elle a toujours peur. Peur d'apercevoir une partie de « son » visage, ses yeux surtout, de voir sa main se glisser à l'intérieur de l'appartement.