— Sors de ce bain, ordonne Stéphane.
Elle obéit, attrape une serviette, s'enroule dedans. Il la saisit par le bras, l'emmène dans la chambre, la pousse sur le lit. Avant qu'elle puisse prononcer un mot, il prend le téléphone, enclenche la touche haut-parleur, puis la touche bis. La voix du docteur résonne dans la chambre. « Bonjour, vous êtes chez Léonard Faucleroy. Je suis absent pour l'instant. Vous pouvez me laisser un message. Merci. »
Stéphane lui jette le caleçon au visage.
— Tu me prends pour le dernier des cons.
Colombe tremble. La colère traverse son corps comme une longue onde rouge. Mais les mots ne viennent pas. Elle ne parvient qu'à pousser un cri inarticulé qui reste bloqué dans sa gorge.
— Le voisin du dessus. Ton Léo ! crache Stéphane. Cette connerie de tapage nocturne. Tu m'as bien eu.
Il se rapproche, brandit un poing furieux.
— Ton toubib et ses bouquins de cul, ses roses, ses affaires qui traînent. C'était pour lui, la guêpière, hein ? « Belle de nuit »… C'est lui qui t'a appris ces trucs au lit. Le beau gosse qui excite toutes les bonnes femmes de l'immeuble. C'est du joli ! Du propre !
Le mètre quatre-vingts de Colombe se déplie d'un coup sec comme un fouet. Pour une fois, elle se tient droite. Ses larges épaules osseuses n'ont plus rien de fragile. Elle s'avance vers lui, toujours drapée dans la serviette de bain. Grande, puissante, menaçante.
Stéphane est désarçonné. Il perd de sa superbe, recule d'un pas.
— Et toi ? marmonne Colombe. Tu t'es regardé ?
Elle a une voix bizarre, presque étranglée.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
La lèvre supérieure de Colombe se retrousse, prêtant à sa bouche une expression animale.
— Tu crois que je ne suis pas au courant ? Ta dernière conquête. L'hôtel des Alizés.
Stéphane hausse les épaules, recule encore d'un pas.
— L'hôtel des Alizés ? N'importe quoi.
Colombe le bouscule.
— Oh, ne fais pas l'innocent, va. Je sais tout. La standardiste m'a dit que « Mme Barou » était encore dans la chambre.
— La standardiste s'est trompée, bredouille-t-il, à court d'arguments. J'étais seul.
— Non, tu n'étais pas seul. J'ai entendu la voix de cette femme. Et j'imagine que ce n'était pas la première fois.
— Et toi, alors ? explose Stéphane. C'est pire, ce que tu me fais endurer. C'est bien pire, une épouse infidèle.
Léger sourire de Colombe.
— Tu sais, je me fiche pas mal de tes tromperies.
Stéphane se redresse, piqué.
— Comment ça, tu t'en fiches ? Mais tu te prends pour qui, ma pauvre ? Tu m'as trahi. Tu as terni mon nom.
— Je ne t'ai jamais trompé.
— Tu mens. Tu mens comme tu respires.
La colère de Stéphane décuple devant le calme de sa femme. Sa main se lève. Le sang gicle du nez de Colombe. Un instant, ils se regardent, hébétés, mais Stéphane a perdu tout contrôle. Un coup de poing, et l'arcade sourcilière de Colombe éclate. Elle crie. La serviette tombe. La vue de son corps nu le rend plus furieux encore. Il s'acharne. Colombe se protège comme elle peut, encaisse les coups de pied répétés, roulée en boule dans un coin de la chambre. Il va la tuer, il a perdu la tête. Rester là, se faire taper dessus ? Non ! Réagir, lui casser la gueule. Elle se lève. Oui, lui casser la gueule, minus, va, pauvre minus ! Se rebiffer, rendre coup pour coup, s'abandonner à la violence, lui faire mal, viser, lancer le poing, le pied, si facile, si bon. Une gifle, et il vacille, un coup de pied bien placé, et il gémit, bien fait pour lui. Son mépris explose, son dégoût, aussi. Elle est ivre de violence. Maintenant elle sait pourquoi les gens sont capables de tuer, maintenant elle les comprend. Le combat se prolonge, le choc des coups, les halètements de Colombe, les grognements de Stéphane. Ils tournent dans la chambre comme des fauves, ne se quittent pas du regard. Stéphane l'attrape par le bras, la projette contre le mur de toutes ses forces. Colombe heurte la commode, tombe de tout son long. Son poignet droit se coince sous elle.
Prostrée, le nez écrasé dans la moquette, elle ne peut plus bouger. Stéphane, pantelant, contemple sa femme inerte, son corps couvert d'ecchymoses. Elle sanglote. Stéphane veut la relever.
— Ne me touche pas ! crie-t-elle. Laisse-moi.
Stéphane s'effondre.
— Pardonne-moi. Je t'en supplie, pardonne-moi.
Colombe pleure. Il s'approche, lui caresse le front avec maladresse. À bout de forces, elle le laisse faire. Stéphane tamponne le nez tuméfié de Colombe, son sourcil ensanglanté, mais elle le repousse, se redresse, essaie de se mettre debout. Ses pieds se dérobent sous elle. Il veut l'aider. Elle hurle. Son poignet tordu gonfle à vue d'œil.
— Bouge ta main, lui demande-t-il doucement.
Elle a des nausées de douleur.
— Je ne peux pas. Trop mal…
Il ne reste qu'une chose faire : l'emmener aux urgences.
14
— Tu leur diras que tu es tombée, hein, Coco ?
Elle ne répond pas. Stéphane pose une main penaude sur sa cuisse.
— Ne dis pas que c'est moi… Ne leur dis pas.
Colombe regarde par la vitre de la voiture. La ville endormie défile devant ses yeux. Lâche, avec ça, violent et lâche. Elle a trop mal pour déloger cette grosse patte. Mais sa voix ne tremble pas. Une voix sûre, une voix glaciale.
— Tais-toi, Stéphane. Je ne veux plus t'écouter. Ni maintenant ni jamais.
Stéphane freine brutalement. Il est devenu pâle.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu as dit ?
Colombe répète :
— Ni maintenant ni jamais.
Stéphane la regarde, atterré.
— Mais enfin, Colombe, une petite dispute de rien du tout… On va s'expliquer, ça va s'arranger. On s'aime, hein ? Hein, ma chérie ?
Toujours cette sale main sur sa cuisse. Il se penche vers elle pour embrasser ses lèvres.
— Ma chérie, on va oublier tout ça, tu verras.
Elle a un visage si froid, si terrible, qu'il reste figé à mi-baiser.
— Laisse-moi, dit-elle. Démarre.
Il obéit. L'entrée de l'hôpital est déserte. Colombe a froid dans ses vêtements enfilés à la hâte. Une infirmière les emmène dans une petite salle d'attente éclairée par un néon verdâtre. Une vieille en peignoir y somnole.
— Il faut attendre le médecin de garde, dit l'infirmière. Il ne va pas tarder.
Stéphane fait les cent pas. Prostrée sur sa chaise, Colombe lutte contre les larmes. Son poignet gonflé pend au bout de son bras. L'attente se prolonge. La vieille s'avachit, sa tête roule sur sa poitrine affaissée. Elle a le visage bouffi, les traits empâtés d'une alcoolique. L'hôpital résonne de bruits sourds, de portes claquées, de grincements d'ascenseur, de conversations lointaines. De temps en temps, un malade transporté sur un brancard à roulettes passe devant la porte ouverte.
— Veux-tu boire quelque chose ? demande Stéphane.
Elle fait oui de la tête. Qu'il s'en aille, ne plus le regarder, ne plus le voir.
Dès qu'il est sorti de la pièce, la vieille lève le menton.
— Il t'a tabassée, hein ? dit-elle d'une voix enrouée.
Pendant un court instant, Colombe a honte. Mais qu'est-ce qu'elle en a à faire, après tout, de cette clocharde avec son peignoir miteux ?
— Oui, avoue-t-elle.
— Faut pas rester avec un mec pareil, grogne la vieille. Il recommencera. Tu verras.
L'infirmière entre, poussant une chaise roulante devant elle. Elle aide la vieille s'installer.