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— Au fait, lord Astor n’en sort jamais ? s’enquit la marquise.

— Sauf, par exemple, pour une séance particulièrement importante à la Chambre des lords, ou alors une invitation royale, mais c’est plutôt rare. Notre bon roi George n’aime pas les cérémonies à grand spectacle. C’est, vous le savez peut-être, un timide dont on s’est demandé un moment s’il pourrait régner en raison d’un terrible bégaiement. Il a réussi à s’en débarrasser, mais il n’aime rien tant que la vie de famille... Pas grand-chose à vous proposer de ce côté-là. Il y a tout de même une idée que je peux vous proposer. Ce n’est pas facile parce que le domaine est aussi bien gardé que le château – ou à peu près ! –, mais je peux tenter de m’y introduire de nuit avec l’aide de Finch, ne serait-ce que pour explorer le cottage qu’on leur avait attribué, à condition que ce soit le bon !

— Si c’est possible pour vous, cela doit l’être aussi pour moi ? s’exclama Marie-Angéline dont les yeux se mettaient à briller comme des pièces en or. Je suis très sportive et...

— Je vous arrête tout de suite : c’est non. Vous êtes ici les invitées de lady Sargent et dans la demeure d’un haut personnage de l’empire. On ne sait jamais comment peut tourner ce genre d’aventure et il ne faudrait pas que les Sargent ou les Churchill se trouvent compromis dans ce que l’on qualifierait d’affaire louche...

— Et vous ne craignez pas de compromettre votre famille ? Votre père... le duc de Cartland ?

— Oh moi, je suis l’enfant terrible de la famille ! Une sorte de « doux dingue », comme on dit chez vous, et on ne me prend jamais très au sérieux. D’ailleurs je ne suis que le second fils et le futur duc, c’est mon frère aîné Randolph. Alors cela me laisse une assez large marge de manœuvre plutôt commode, même si ce n’est pas toujours fort agréable ! Mais je vais y réfléchir avec l’assistance de Finch qui est l’un des hommes les plus utiles que je connaisse sous son air sinistre.

— Comment vous remercier ? intervint Mme de Sommières, émue.

— Oh, rien de plus aisé ! Deux doigts de whisky pour la route !

Pendant ce temps, Lisa prenait une nouvelle décision et annonçait à Mary qu’elle partait le soir même pour Zurich :

— Je ne sers strictement à rien ici, qu’à me ronger les sangs et à poser des problèmes à tout le monde.

Alors occupée au portait de lord Gordon, le pinceau de Mary enduit de peinture verte pour retoucher le bonnet écossais orné d’une arrogante plume de coq tressaillit et vint se poser sur le front de celui que l’on avait surnommé le « Roi d’Écosse ».

— Zut ! Sois bonne de prévenir quand tu prends une décision importante ! (Elle lâcha son pinceau, prit un chiffon propre et entreprit d’effacer la verdure intempestive.) Et que vas-tu faire à Zurich ? Si ton père était rentré, on le saurait...

— Avec lui, rien n’est jamais sûr, surtout quand sa passion collectionneuse est en jeu !

— Téléphone !

— Oh, que non ! Tu ne connais pas mon père, et plus le temps passe, plus il cultive le goût du secret.

— Et tu veux interroger quoi ? Les murs, la chambre forte ?

— Simplement Birchauer, son secrétaire très particulier !

— Tant que ça ?

— Plus encore. Oh, tu n’as pas idée. S’il y a un être sur terre qui sait... au moins approximativement où il est, c’est lui, et il a reçu l’ordre formel de ne jamais rien révéler quand il part en expédition, cela à qui que ce soit !

— Même à toi ?

— Il y a des moments où j’en viens à penser que c’est principalement à moi. Il sait que je m’inquiète facilement, et la tendance que j’ai dans ce cas à appeler au secours, alors que cela n’en vaut pas toujours la peine...

Mary ne put s’empêcher de rire :

— Et avec Aldo, tu es servie. Tu aurais dû épouser un notaire !

— Je ne vois pas là matière à plaisanter ! Tout ce que j’ai le droit de savoir est qu’il est en Amérique du Sud pour essayer de mettre la main sur je ne sais quel trésor. Or, le monde des collectionneurs est impitoyable On y emploie les moyens les plus tordus pour couper l’herbe sous le pied du voisin. Mais cette fois, l’affaire est trop grave et il va bien falloir que Birchauer me donne une indication. Je ne dis pas qu’il connaît l’endroit exact, mais je suis persuadée qu’il possède une adresse ou un numéro de téléphone codé au moyen duquel on a une chance de l’atteindre.

— Il chasse quoi, ton père, à l’heure actuelle ?

— Des émeraudes, je pense, mais en réalité je l’ignore ! Birchauer, lui, doit le savoir.

— C’est idiot ! Il n’est jamais qu’un être humain et tout être humain peut s’acheter. Il suffit peut-être d’y mettre le prix !

— Personne ne paiera Birchauer ce que mon père le paie !

— Dans ce cas, vas-y, mais n’oublie pas de me donner des nouvelles. Ou plutôt, reviens ! Je vais me faire une bile de tous les diables !

Lisa la prit dans ses bras :

— Je reviendrai, je te le promets ! Mais avant, j’irai embrasser mes enfants.

Elle s’apprêtait à quitter l’atelier quand Mary la retint :

— Un instant !

Elle ouvrit l’un des tiroirs du secrétaire qui était le seul meuble n’ayant rien à voir avec la peinture, y prit un objet dans un étui de cuir bleu qu’elle lui tendit :

— Tiens, garde-le avec toi, cela peut t’être utile. Ne fût-ce que pour convaincre un serviteur trop zélé !

L’étui contenait un browning d’acier, bleu lui aussi.

Le soir même, Lisa s’envolait pour Zurich.

Ce ne fut pas sans inquiétude que Birchauer accueillit la jeune femme au seuil de son cabinet de travail. D’abord elle n’avait pas repris son aspect habituel, en outre aucune toilette élégante, aucun maquillage n’aurait pu dissimuler l’angoisse dans laquelle elle vivait. Il pensa aussitôt qu’il devrait livrer bataille pour rester fidèle à son devoir. Elle ne le laissa d’ailleurs pas longtemps dans le doute :

— Birchauer, demanda-t-elle d’entrée de jeu, où est mon père ?

— Vous le savez aussi bien que moi, Madame la princesse : en Amérique du Sud dans l’espoir de se procurer des pierres assez exceptionnelles pour qu’il souhaite les acquérir à tout prix.

— Ne vous moquez pas de moi : c’est immense, l’Amérique du Sud, et je veux savoir où il se trouve au juste.

— Au Brésil ! Je crois !

— Comment cela, vous croyez ? Sachez que je n’ignore rien des conventions que mon père vous impose pour rencontrer le moins d’obstacles possible sur son chemin. Rien que le fait qu’il se déplace en personne est significatif. Il faut qu’il rentre d’urgence ! Et ne venez pas me dire que l’Amérique du Sud se traverse en quelques heures. Comment communiquez-vous avec lui si le besoin s’en fait sentir ?

— Un courrier codé à une adresse sans intérêt apparent... Pourquoi ?

La stupeur retint encore un instant la colère que Lisa sentait monter. Elle vint s’appuyer des deux mains sur le bureau du secrétaire pour pouvoir le regarder sous le nez :

— Dites-moi un peu, Birchauer, où nous sommes, ici ? Au fin fond de l’Asie, au cœur d’une forêt africaine ou de n’importe quel désert ? C’est Zurich, ici, l’une des principales villes suisses, l’une des plus riches, et au centre même de l’Europe. Alors ne me racontez pas que l’on ne sait rien de ce qui passe dans le monde. En Angleterre par exemple, où vient d’éclater un scandale qui risque non seulement de nous ruiner mais aussi de détruire notre famille : le prince Morosini, le grand expert européen, accusé d’avoir volé le Sancy chez lord Astor of Hever, l’un des rares amis de mon père, et dénoncé par celui-ci qui ne l’a jamais rencontré. Et cela ne vous inspire pas l’heureuse initiative d’en référer à mon père ? Que vous faut-il de plus pour user de votre fameux...