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— Calmez-vous, je vous en prie ! Asseyez-vous et permettez-moi de vous offrir...

— ... l’appel au secours que vous allez expédier immédiatement à l’auteur de mes jours...

— Madame, madame, calmez-vous, je vous en supplie. Comme à peu près tout le monde en Europe et même plus loin, on sait que les Anglais n’en sont pas à une exagération près et qu’ils sont les champions toutes catégories des mauvaises plaisanteries, sans compter l’usage de n’importe quel stratagème pour se débarrasser d’un adversaire, voire d’un concurrent. C’est le royaume des paris stupides et de l’humour noir.

— Vous avez pris ça pour le mauvais tour d’un concurrent ?

— Dame ! Quand il s’agit du Sancy, que ne ferait-on pas ?

— Si vous ne vous exécutez pas sur-le-champ, vous aurez à expliquer à mon père, quand il reviendra, pour quelle raison il n’a plus de fille ni de petits-enfants. Évidemment, je pourrais employer cela, ajouta-t-elle en sortant l’arme de son sac, mais cela ne m’avancerait à rien dès l’instant où je n’aurais pas ce damné code !

Le silence qui suivit fut bref. Le désespoir écrit en toutes lettres sur le beau visage de Lisa convainquit le secrétaire plus que les paroles et l’arme.

— Je télégraphie tout de suite, fit-il.

— ... après quoi vous me donnerez une copie du code. Mon père n’aura qu’à s’en rechercher un autre pour sa prochaine expédition. Et maintenant, exécution ! Je ne sortirai d’ici que lorsque le message sera parti.

— Dans ce cas, venez avec moi !

Après avoir déclaré à son propre secrétaire qu’il n’y était pour personne, Birchauer ferma à clé la porte de son bureau, en prit une autre de forme particulière d’une poche de son gilet, ôta un livre d’une bibliothèque, découvrant une étroite serrure, et fit tourner un pan de ladite bibliothèque, découvrant une sorte de cagibi obscur où il alluma une lampe. Là, sur une tablette, il y avait sous une housse en forte toile un appareil télégraphique devant lequel il s’assit après avoir offert à sa visiteuse le tabouret voisin, puis se mit au travail.

Passablement surprise malgré tout, Lisa suivait chacun de ses mouvements. Elle savait depuis longtemps qu’une grande fortune permet pratiquement toutes les fantaisies, fussent-elles les plus extravagantes, elle n’ignorait rien des secrets défendant la fabuleuse collection Kledermann dans le domaine familial de la Golden Kuste, mais cela la dépassait un peu. L’impression d’être en train de jouer un rôle dans un film d’espionnage ! Elle se surprit même à se demander si son père ne s’offrirait pas un jour un transatlantique !

— Que lui écrivez-vous ? questionna-t-elle.

— « Rentrez d’urgence. Famille en grave danger... »

— On n’a pas le temps d’attendre qu’il rentre !

— Ne vous tourmentez pas. Faites-lui confiance, il saura quoi faire et d’abord regagner Rio de Janeiro au plus vite. De là, il aura tous les moyens d’agir depuis les banques et les ambassades jusqu’au gouvernement, sans oublier lord Astor, et cela à visage découvert ! Mais, enfin, vous devriez savoir qu’il est le « grand Kledermann » ?

— Oh ! Je ne l’ignore pas, mais toute puissance a ses limites ! Enfin ! Il ne reste plus qu’à attendre la réponse. Combien de temps, selon vous ?

— Ça, c’est ce que j’ignore ! Dans une heure ou trois semaines cela dépend de l’endroit où il est. Qu’allez-vous faire vous-même, à présent ? Regagner Londres ?

— Pas encore. D’abord rejoindre mes enfants à Rudolfskrone ! Ils me manquent à un point que vous ne pouvez imaginer... Quand leur père s’absente – et Dieu sait que cela n’a rien de rare ! – ils sont là, eux, plus ma grand-mère...

Le visage plutôt sévère de Birchauer s’éclaira soudain d’un sourire plein de gentillesse qui le rajeunit de vingt ans :

— Ne vous tourmentez pas trop tout de même. Dès que j’ai une réponse, je vous en avertis.

Il prit dans un casier près de lui un carnet, où il remplit quelques lignes d’un texte qui, en apparence, n’avait rien d’ésotérique. C’était d’une incroyable banalité. Puis en face, il écrivit la traduction au crayon.

— Le mieux sera que vous appreniez cela par cœur...

— J’ai une excellente mémoire !

Idem si possible pour les codes relais. Il y en a deux pour le Brésil... Et maintenant, pardonnez-moi de m’être si lourdement trompé sur la gravité de la situation. Je pense sincèrement que les Anglais sont capables de tout et de n’importe quoi, mais j’aurais dû prendre en compte l’absence de Gordon Warren. Jamais il n’aurait laissé s’étaler un pareil scandale et cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille ! Dorénavant, je vais faire l’impossible pour vous aider !

Pour seule réponse elle se pencha, l’embrassa et dit :

— Merci ! De tout mon cœur, merci !

Elle allait sortir, il la retint :

— Un dernier avis : si vous quittez l’Autriche et où que vous alliez, prévenez-moi avec le code...

À peine Lisa eut-elle réintégré son cadre familial qu’elle appelait Mary pour lui annoncer qu’elle était bien rentrée, que sa tribu au château était en pleine forme, que la maisonnée l’embrassait... etc., surtout pour la rassurer sur son entrevue avec Birchauer. Elle parvint à lui laisser entendre que les couleurs de l’avenir lui paraissaient un peu moins sombres.

— Quant à toi, donne-moi de tes nouvelles plus souvent ! Tu te fais vraiment trop rare.

— Mon époux en dit autant. Il est très fier de moi, mais veux-tu me dire ce que je pourrais faire à Peshawar à avaler du thé à longueur de journée en compagnie des autres femmes d’officiers, à écouter les potins du coin alors que j’ai tant de travail ?

— Tu n’as pas peur qu’il te trouve une remplaçante momentanée ? C’est un homme, tu sais ?

— L’important, c’est que nous nous aimons et que j’ai confiance en lui. J’ai peine à croire qu’un couple puisse passer une vie entière sans se permettre le plus petit accroc. Pour l’homme, du moins ! N’importe, il va bientôt venir en permission et mon général de beau-père a décidé de s’occuper sérieusement de sa carrière. Lui aussi en a plus qu’assez des confins de l’Afghanistan, et c’est son seul fils ! L’invitation à nous transporter, mes pinceaux et moi, à Buckingham le remplit de joie et d’espoir ! Il a l’air d’un vieil ours, mais c’est un tendre au fond...

Ce bavardage à bâtons rompus avait fait d’autant plus de bien à Lisa que la poste lui avait livré un bref message de Zurich :

« Quitté Manaus il y a trois semaines. »

— C’est tout ? s’était exclamée Mme von Adlerstein.

Naturellement Lisa n’avait rien caché à sa grand-mère des petits secrets de la banque Kledermann, lui fournissant ainsi une magnifique occasion de se mettre en colère :

— Je commence à croire que ce vieux fou a raté sa vocation ! Ce n’est pas banquier qu’il devrait être mais agent secret, général des Jésuites, voire nonce du pape dont chacun sait qu’ils sont les champions toutes catégories de la politique souterraine...

— En ce cas je ne serais pas là, avait répondu Lisa en riant.

— Pourquoi pas ? Tu aurais un autre père, voilà tout ! Quant à Moritz, il fait passer sa passion des bijoux avant ses activités sérieuses et cela devient intolérable. Je sais – et toi aussi tu es payée pour le savoir ! – qu’il fait ce qu’il veut de son temps comme de son argent, mais disparaître comme ça sans prévenir et sans laisser de traces ! Surtout sans imaginer un seul instant les retombées que cela pourrait avoir sur sa famille, c’est vraiment pénible ! Ah si, il a dit qu’il partait pour l’Amérique du Sud ! Vaste programme !