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— De quelle manière ?

— J’avais un bot d’arsenic.

— Où se trouvait-il ?

— Dans l’office.

— Il ne s’y trouve plus. Ainsi, voilà une bien étrange lutte entre un mari trompé et l’amant de sa femme, qui s’achève par l’ingestion d’un poison. Ce que nous a affirmé Mme Lardin n’est pas crédible. Son mari a été empoisonné à la suite d’un complot parfaitement ourdi. Car complot il y a depuis le début, et je vais vous en apporter des preuves.

M. de Sartine avait regagné son fauteuil et, le menton dans son poing, il fixait avec admiration le jeune homme enflammé par sa démonstration.

— Il y a complot, dis-je, reprit Nicolas en enflant la voix. J’affirme que Mauval, amant de Louise Lardin, a été chargé de recruter les deux canailles qui vont égorger Saint-Louis. Il leur donne rendez-vous, avec les commanditaires, sur le chantier de la place Louis-XV. Là, ils rencontreront trois personnages en capes de satin noir et masqués ; le carnaval offre de ces facilités... Maître Vachon, votre tailleur, monsieur le lieutenant général, mais aussi celui de Lardin, a confectionné sur sa demande quatre capes noires. Alors, faisons nos comptes. Au Dauphin couronné Semacgus, en cette soirée de carnaval, est naturellement masqué. Lardin, masqué aussi et en cape, en voilà une. Descart masqué et en cape, celle que la Paulet lui a envoyée avec l’invitation, et de deux. Pour qui les deux autres capes ? Une pour Mauval, et de trois. Et l’autre pour Louise Lardin, quatre.

Louise Lardin se leva, l’écume à la bouche, et se mit à hurler.

— Tu mens, charogne, prouve-le !

— Curieuse requête de la part d’une innocente, mais rien ne sert de crier, je le prouverai. Examinons un peu le déroulement de cette soirée. Vers dix heures, Rapace et Bricart attendent place Louis-XV avec une charrette et deux tonneaux. Peu de temps après, trois inconnus masqués les rejoignent. Les instructions sont données et l’avance de la récompense versée. On les conduit rue du Faubourg-Saint-Honoré, à proximité du Dauphin couronné. Une voiture arrive peu avant minuit. Semacgus entre au bordel. C’est alors que son cocher, Saint-Louis, est attiré dans un guet-apens et poignardé. Les deux complices découpent le corps au bord du fleuve et placent les morceaux dans les deux tonneaux. Les deux bandits interrogés ont tenté d’accréditer l’idée que c’était Lardin qui venait d’être tué. Or, à minuit, Semacgus, Lardin et Descart sont ensemble. Nous savons maintenant quand Lardin a été tué et. de plus, je sais l’heure exacte à laquelle Saint-Louis a péri. Sa montre, brisée au cours de la lutte, a été retrouvée dans la poche de Rapace. Elle était arrêtée à minuit et quatre minutes. Entre minuit un quart et une heure du matin, Descart, Lardin, puis Semacgus quittent le Dauphin couronné. Lardin est le premier à revenir rue des Blancs-Manteaux. Il est la deuxième victime du complot après Saint-Louis. Il est empoisonné par sa femme et Mauval, revenu en hâte de la place Louis-XV. Son corps est placé dans le souterrain inconnu où il sera la proie des rats, et bientôt méconnaissable. Quelques jours après, du gibier sera placé dans le caveau pour dissimuler les miasmes suspects. Tout sera fait pour rendre la situation insupportable à Catherine Gauss, la cuisinière, qui aurait pu se douter de quelque chose. Marie Lardin sera enlevée, et moi-même, locataire, je serai naturellement chassé du logis. Oui, il y a eu complot et je maintiens et soutiens mes accusations contre Louise Lardin.

Louise, méprisante, le toisait. Puis elle se tourna vers Sartine.

— J’en appelle, monsieur, tout cela est faux. Qu’on me montre les preuves promises !

— Madame, que votre volonté soit faite. Vous voulez des preuves, j’ai beaucoup mieux que cela, un témoin. Rappelez-vous ce rendez-vous sur le chantier de la place Louis-XV et ces deux hommes avec qui vous aviez négocié le meurtre horrible d’un innocent. Rappelez-vous la tempête menaçante de ce soir-là, avec ses rafales d’ouest qui annonçaient la neige de la nuit. Vous ne pouvez pas avoir oublié que l’une d’entre elles vous a décoiffée et a presque arraché le masque qui couvrait votre visage, suffisamment en tout cas pour que l’un des deux hommes en question ait conservé le souvenir de vos traits. Dans certaines situations, les détails s’impriment dans la mémoire des moins observateurs.

Louise Lardin se tordait les mains en hurlant.

— C’est faux !

— Vous savez bien, madame, que malheureusement pour vous je ne mens pas.

Nicolas se tourna vers Bourdeau.

— Monsieur l’inspecteur, veuillez introduire le prévenu.

Bourdeau ouvrit la porte, leva la main et fit un signe. Alors, le silence épais qui pesait sur l’assistance fut brisé par l’écho sonore d’un pas incertain, d’un pas déséquilibré, qui résonnait sur le dallage du vieux palais. Ce bruit s’amplifia et se confondit avec le battement des cœurs des assistants. Soudain, Louise Lardin se leva, bouscula Nicolas et, saisissant le stylet d’argent avec lequel M. de Sartine jouait quelque temps auparavant, se le plongea dans la poitrine avec un grand cri et s’effondra. À la porte, ahuri, le père Marie apparut, une canne à la main.

Nicolas rompit le silence consterné qui avait suivi cette scène.

— Elle savait que Bricart l’avait dévisagée ce soir-là. Elle connaissait aussi l’infirmité de ce vieux soldat et le bruit de son pilon. Elle était assurée qu’il allait la reconnaître.

— Il convenait qu’une affaire aussi sinistre, entièrement fondée sur le mensonge et sur le faux-semblant, s’achevât sur un coup de théâtre ! s’exclama M. de Sartine.

Bourdeau, aidé du père Marie, s’empressa de faire sortir l’assistance puis fit quérir des aides et un brancard pour évacuer le corps de Louise Lardin, dont Sanson et Semacgus avaient constaté le décès. Il irait rejoindre les gisants de la Basse-Geôle, parmi lesquels deux de ses victimes et son amant Mauval.

Nicolas et le lieutenant général de police demeurèrent seuls. Il y eut un long silence entre les deux hommes, et Nicolas dit enfin :

— Je crois, monsieur, que la Paulet devrait être relâchée. Elle peut nous être utile et elle a joué franc jeu avec nous. Elle est, comme nous savons, un assez bon auxiliaire de police. Pour le reste...

M. de Sartine s’était levé. Il s’approcha de Nicolas et mit une main sur son épaule. Nicolas retint un cri : c’était celle qui avait été blessée par l’épée de Mauval.

— Mes compliments, Nicolas. Vous avez démêlé cette intrigue avec une sagacité qui justifie le jugement que j’avais dès l’abord porté sur vous. Je vous laisse juge de l’opportunité des poursuites ou des grâces. Pour la Paulet, vous avez raison. La police d’une grande ville ne peut s’exercer qu’en employant les instruments les plus débiles ou les mieux placés de la société. Nous ne pouvons faire la fine bouche. Mais une question : qui vous a donné l’idée de ce deus ex machina du dernier acte ? Même moi, j’ai tourné la tête vers la porte.

— L’idée m’en a été inspirée par une remarque de M. de Noblecourt, répondit Nicolas. Il m’avait conseillé de « faire comme si ». Une femme comme Louise Lardin n’aurait jamais avoué, peut-être même pas sous la question. Il fallait trouver un biais pour la prendre en défaut et surprendre ses défenses.