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Le sac se balança en biais et se cogna quelque part. À l’intérieur, les gnomes s’accrochèrent désespérément. Angalo ne pouvait se servir que d’une main. De l’autre, il tentait de garder sa page.

— Je recommence à avoir faim, dit Gurder. Il n’y a rien à manger, dans ce sac ?

— Du dentifrice, dans ce tube.

— Je vais sauter mon tour, pour le dentifrice, merci bien.

Un grondement s’éleva. Angalo redressa la tête.

— Oh ! ce bruit, je le reconnais. Un moteur à confusion interne. On est dans un véhicule.

— Quoi, encore ? commenta Gurder.

— Nous descendrons à la première occasion, décida Masklinn.

— C’est quoi, comme genre de camion, Truc ? demanda Gurder.

— Un hélicoptère.

— Une aile comment ? demanda Gurder qui ne connaissait pas le terme.

— C’est comme un avion sans ailes, expliqua Angalo qui le connaissait, lui.

Une peur pleine de circonspection laissa Gurder songeur quelques secondes.

— Truc ? demanda-t-il d’une voix très posée.

— Oui ?

— Qu’est-ce qui le fait tenir en l’…

— La Science.

— Oh ! d’accord… La Science ? Je vois. Alors, en ce cas, tout va bien.

Le bruit se poursuivit longtemps. Au bout d’un moment, il devint partie intégrante du monde des gnomes, si bien qu’à son arrêt, le silence leur fit un choc.

Ils étaient au fond du sac, tellement découragés qu’ils n’avaient même plus envie de se disputer. Ils sentirent qu’on soulevait le sac, qu’on le posait, qu’on le reprenait, qu’on le portait encore, qu’on le reposait, qu’on le saisissait une nouvelle fois, puis qu’on le jetait sur une surface molle.

Puis il y eut un calme bienfaisant.

Finalement, la voix de Gurder s’éleva :

— Bon. Et il est à quel parfum, ce dentifrice ?

Masklinn retrouva le Truc dans l’amas de trombones, de poussière et de bouts de papier froissés qui tapissait le fond du sac.

— Tu as la moindre idée de l’endroit où nous sommes, Truc ?

— Chambre 103, Hôtel Nouveaux Horizons de Cocoa Beach. Je surveille les communications.

Gurder écarta Masklinn.

— Il faut que je sorte. Je ne supporte plus de rester enfermé là-dedans. Fais-moi la courte échelle, Angalo. Je pense que je devrais atteindre le haut du sac…

Ils entendirent le grommellement prolongé de la fermeture Éclair. La lumière envahit le sac qu’on ouvrait. Les gnomes se ruèrent vers les refuges disponibles.

Masklinn observa une main plus grande que lui plonger dans les entrailles du sac, se refermer sur une sacoche de taille plus réduite renfermant le dentifrice et du tissu-éponge, et la tirer à l’extérieur.

Les gnomes restèrent figés sur place.

Au bout d’un moment, on perçut le son lointain de l’eau qui coule.

Les gnomes ne bougeaient toujours pas.

Wabadaboum badaboum badaboum badabam… Bam… BaDaaamm…

La voix humaine montait au-dessus du bruit de l’eau. Elle était encore plus caverneuse que d’habitude.

— On dirait… on dirait qu’il… chante ? souffla Angalo.

… Boum boum boum boum bidouuWaaah…

— Truc, qu’est-ce qui se passe ? siffla Masklinn.

— Il s’est rendu dans une pièce pour se recevoir une averse d’eau sur la tête.

— Et pour quelle raison fait-il ça ?

— Je présume qu’il cherche à rester propre.

— Donc, on peut sortir du sac en toute sécurité ?

— Le terme « sécurité » est à relativiser.

— Hein ? Divisé par quoi ?

— Je voulais dire que nul n’est jamais en parfaite sécurité. Mais je pronostiquerais que l’humain va continuer à se mouiller pendant un moment encore.

— Ouais, y a une sacrée surface à nettoyer, jugea Angalo. Allons-y au travail.

Le sac était posé sur un lit. Il leur fut relativement aisé de descendre jusqu’au sol en s’aidant des couvertures.

… Wahhh baboum badaboum badoum badam…

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? demanda Angalo.

— Une fois qu’on aura mangé, entendons-nous bien, rectifia Gurder de façon catégorique.

Masklinn traversa l’épaisse moquette en trottinant. Sur le mur le plus proche se trouvait une porte. Elle était entrebâillée, laissant passer une douce brise et les bruits de la nuit.

Un humain aurait discerné le chuintement et le crissement des grillons et autres créatures mystérieuses dont l’emploi du temps exige qu’ils passent la nuit assis dans les broussailles à produire des bruits bien plus gros qu’eux. Mais les gnomes entendent les sons au ralenti, plus longs, plus graves qu’ils ne le sont, comme un tourne-disque quand on coupe le courant. Les ténèbres étaient peuplées des chocs et des feulements des bêtes sauvages.

Gurder rejoignit Masklinn et scruta les ténèbres en plissant les yeux.

— Tu pourrais sortir voir s’il y a quelque chose à manger ? demanda-t-il.

— J’ai l’horrible impression que si je sors maintenant, il y aura bel et bien quelque chose à manger, et ce sera moi.

Derrière eux, la voix humaine continuait son chant.

… Bomp Bobomp boumboumboum Boumboum Baaa-bomp…

— Qu’est-ce que chante l’humain. Truc ?

— C’est assez difficile à suivre, mais apparemment le chanteur tient à faire savoir qu’il possède un appareil très efficace.

— Quel genre d’appareil ?

— Données insuffisantes pour l’instant. Les seules indications sont que l’objet fait crac boum huuuue au cours de sa mise en service…

On frappa à la porte. La chanson s’arrêta, ainsi que le bruit d’eau qui coulait. Les gnomes coururent vers les ombres de la pièce.

— Ça m’a l’air un peu fragile, chuchota Angalo. Quelque chose qui fait crac, ça doit pas être très solide. En général, quand ça fait crac…

Richard Quadragénaire sortit de la pièce de douche, une serviette autour de la taille. Il ouvrit la porte. Un autre humain, équipé, lui, de tous ses vêtements, entra, porteur d’un plateau. Ils échangèrent quelques brefs hululements, l’humain habillé posa le plateau et ressortit. Le Petit-Fils Richard disparut de nouveau dans la pièce de douche.

… Boum boumboum boumboum Houm…

— De la nourriture ! chuchota Gurder. Je la sens ! Il y a de la nourriture sur ce plateau !

— Un sandwich bacon, laitue et tomate avec du chou en salade, annonça le Truc. Et un café.

— Comment sais-tu tout ça ? s’exclamèrent les trois gnomes en chœur.

— Il l’a commandé en arrivant.

— Du chou en salade ! gémit Gurder en pleine extase. Du bacon ! Du café !

Masklinn leva les yeux au ciel. On avait posé le plateau en bord de table.

Tout près se dressait une lampe. Masklinn avait suffisamment vécu dans le Grand Magasin pour savoir que quand il y a de la lampe, il y a du fil électrique.

Et le fil auquel il aurait été incapable de se hisser n’était pas encore né.

Les repas réguliers, voilà la source de tous leurs problèmes. Pour sa part, il n’avait jamais réussi à en prendre l’habitude. Quand il vivait au-Dehors, avant le temps du Grand Magasin, il s’était accoutumé à rester des journées entières sans rien manger et puis, quand de la nourriture se matérialisait enfin, à se goinfrer jusqu’à avoir les sourcils barbouillés de gras.

Mais les gnomes du Grand Magasin exigeaient de manger un morceau plusieurs fois par heure. Les gnomes du Grand Magasin se nourrissaient en permanence. Qu’ils manquent une petite demi-douzaine de repas, et ils commençaient à se plaindre.