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Mise au point

Mise au point

Clic !

Masklinn traversa les herbes en rampant pour regagner le campement des gnomes, si on pouvait qualifier ainsi un petit espace dégagé au sec sous une feuille de plastique jetée par les humains.

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis qu’ils s’étaient sauvés en courant devant le Petit-Fils Richard, selon la formule que Gurder ressassait inlassablement. Le soleil commençait à se lever derrière des nuages de pluie.

Ils avaient traversé une autoroute en profitant d’un moment où il n’y avait pas de circulation, ils avaient erré dans des fourrés humides, prenant leurs jambes à leur cou à chaque crissement et chaque coassement mystérieux, et ils avaient fini par trouver le morceau de plastique. Et ils avaient dormi. Masklinn avait monté la garde un moment, mais contre quoi, il n’en était pas très sûr.

La situation avait des aspects positifs. Le Truc avait écouté la radio et la télévision et localisé l’endroit d’où partaient les navettes verticales. Ce n’était qu’à une trentaine de kilomètres de distance. Et ils avaient parcouru pas mal de chemin. Ils avaient bien marché… oh ! allez, disons un kilomètre. Et au moins, il faisait chaud. Même la pluie était chaude. Et le sandwich bacon laitue tomate tenait bien le coup.

Mais il leur restait encore presque une trentaine de kilomètres à parcourir.

— Quand as-tu dit que le lancement devait avoir lieu ? s’enquit Masklinn.

— Dans quatre heures, répondit le Truc.

— Ce qui signifie que nous allons devoir progresser à plus de sept kilomètres par heure, calcula Angalo, la mine sombre.

Masklinn opina. En s’évertuant, un gnome pouvait probablement parcourir un kilomètre cinq cents, en une heure et en terrain découvert.

Il n’avait pas beaucoup réfléchi à la façon dont ils enverraient le Truc dans l’espace. S’il y avait vaguement songé, ç’avait été pour imaginer qu’ils pourraient dénicher le jet navette et qu’ils fourreraient le Truc à bord, quelque part. Si c’était possible, ils partiraient avec lui, encore que le gnome n’en soit pas bien certain. Le Truc avait dit qu’il faisait froid dans l’espace, et que ça manquait d’air.

— Tu aurais pu demander au Petit-Fils Richard de nous aider ! reprocha Gurder. Pourquoi t’es-tu enfui ?

— Je ne sais pas. Je crois qu’on devrait se débrouiller par nous-mêmes, peut-être.

— Mais vous vous êtes servis du Camion. Les gnomes vivaient dans le Grand Magasin. Vous avez pris le Concorde. Vous mangez de la nourriture humaine.

Masklinn fut surpris. Le Truc n’entrait pas souvent ainsi dans les discussions.

— Ce n’est pas pareil, répondit-il.

— Comment ça ?

— Ils ignoraient notre existence. Nous avons pris ce dont nous avions besoin. Ils pensent que ce monde leur appartient, Truc ! Que tout ce qu’il contient est à eux ! Ils donnent des noms à tout, ils possèdent tout ! Je l’ai regardé et je me suis dit : c’est un humain, dans une pièce d’humain, qui fait des choses d’humain. Comment pourrait-il comprendre des gnomes ? Comment s’imaginerait-il que de tout petits bonshommes sont de vraies gens, qui pensent vraiment ? Je ne peux pas confier le contrôle de la situation à un humain. Pas aussi facilement que ça !

Le Truc fit clignoter quelques voyants.

— Nous sommes allés trop loin pour ne pas aller nous-mêmes jusqu’au bout, marmonna Masklinn.

Il leva les yeux pour regarder Gurder.

— Et puis, sur le coup, il ne me semble pas que tu te sois beaucoup précipité pour aller lui serrer le doigt, poursuivit-il.

— J’étais ému. C’est toujours très gênant de rencontrer des divinités, expliqua Gurder.

Ils n’avaient pas réussi à allumer un feu. Tout était trop humide. Non qu’ils en aient besoin ; mais un feu, ça faisait plus civilisé. Quelqu’un avait déjà réussi à en allumer un à l’endroit où ils se trouvaient, car on distinguait encore quelques cendres détrempées.

— Je me demande comment les choses se passent à la maison ? finit par dire Angalo au bout d’un moment de silence.

— Bien, je suppose, répondit Masklinn.

— Vraiment ?

— Bon, je devrais plutôt dire j’espère.

— Ta Grimma a dû tout organiser, je suppose, fit Angalo en esquissant un vague sourire.

— Ce n’est pas ma Grimma, rétorqua aussitôt Masklinn.

— Ah bon ? Et c’est la Grimma de qui, alors ?

Masklinn hésita.

— De… personne. La sienne, je suppose, finit-il par déclarer avec un peu d’embarras.

— Oh ! Je croyais que tous les deux, vous alliez… commença Angalo.

— Non, on ne va pas. Quand je lui ai dit qu’on allait se marier, tout ce qu’elle a trouvé à répondre, c’est une histoire de grenouilles.

— Ça, c’est bien les femmes, intervint Gurder. Je l’avais dit que c’était une mauvaise idée de leur apprendre à lire. Ça leur échauffe la cervelle.

— Elle a dit que la chose la plus importante au monde, c’étaient de petites grenouilles qui vivent dans une fleur, continua Masklinn.

Il tentait de retrouver le fil de cette voix dans ses souvenirs. Il n’avait pas écouté très attentivement sur le coup. Il était trop en colère pour ça.

— On dirait qu’on arriverait même à faire bouillir de l’eau sur son crâne, jugea Angalo.

— Elle avait lu ça dans un livre, elle m’a expliqué.

— Exactement ce que je disais. Tu sais que je n’ai jamais été très d’accord pour que tout le monde apprenne à lire. Ça énerve les gens.

Masklinn contempla la pluie avec une mine lugubre.

— En y réfléchissant, ce n’étaient pas les grenouilles, précisément. C’était l’idée des grenouilles. Elle disait qu’il y a des collines où il fait chaud et où il pleut tout le temps, et dans les forêts que ça fait pousser, il existe de très très grands arbres et, au sommet des plus hautes branches, il y a de très très grandes fleurs qui s’appellent des… broméliacées, je crois. Et l’eau qui pleut dans les fleurs forme de petites mares, et il existe une espèce de grenouille qui pond ses œufs dans ces mares. Ça donne des têtards, qui deviennent de nouvelles grenouilles et elles passent toute leur vie au sommet des arbres, sans jamais savoir que le sol existe. Et une fois qu’on sait que le monde est plein de choses comme ça, on ne peut plus jamais vivre comme avant.

Il reprit sa respiration.

— Enfin, une histoire comme ça, quoi.

Gurder échangea un regard avec Angalo.

— J’ai rien compris, dit-il.

— C’est une métaphore, intervint le Truc.

Personne ne l’écoutait.

Masklinn se gratta l’oreille.

— Ça avait l’air de beaucoup compter pour elle, dit-il.

— C’est une métaphore, répéta le Truc.

— Oh ! les femmes… Il y a toujours quelque chose, avec elles, fit Angalo. La mienne me rebat sans arrêt les oreilles avec des histoires de robes.

— Je suis sûr qu’il nous aurait aidés, remarqua Gurder. Si on lui avait parlé. Il nous aurait sans doute donné un repas convenable, et, et…

— Nous aurait logés dans une boîte à chaussures, compléta Masklinn.

— Nous aurait logés dans une boîte à chaussures, répéta Gurder automatiquement. Non ! Enfin, je veux dire, peut-être. Pourquoi pas, après tout ? Connaître une véritable heure de sommeil, pour changer. Et ensuite, on…

— On aurait voyagé dans ses poches, acheva Masklinn.

— Pas forcément. Pas forcément.